De notre correspondant permanent à Paris : Khalil KHALSI - Une histoire de renaissance par l'amour. Une histoire de deuil, de musique et de secrets. Le premier film du français Benoît Philippon lasse un peu mais enchante sûrement. Titre anglais («Lullaby for Pi») resté anglais dans la version française («Lullaby» signifie «berceuse »), pour un film réalisé par un jeune français (Benoît Philippon, scénariste de « Sueurs », 2002), avec un acteur britannique, Rupert Friend au charme flegmatique (« Orgueil & Préjugés », « Chéri », etc.), et une comédienne française, la douce Clémende Poésy (repérée dans « Harry Potter »), sur une ville américaine : New York. New York aux couleurs chaudes de la nuit, des petits hôtels et des magasins de disques. New York, ville fantôme où survivent la musique noire, les amours surprenantes et les artistes au talent bridé ou débridé. Et ce serait, selon certains, un New York qui n'existe pas. Mais c'est bien un New York fantasmé, où les gens se rencontrent et s'aiment au gré de quêtes intrinsèques, un peu comme chez Wong Kar-waï ; et les images de « Lullaby » rappellent fortement celles de « My Blueberry Nights », dans le traitement des couleurs, la représentation de la solitude des personnages ainsi que les lenteurs. Mais si ces dites lenteurs sont acceptées et appréciées chez le cinéaste hongkongais, parce que poétiques, elles sont un peu moins subtiles chez Philippon, lequel tâtonne dans l'appréhension de ses personnages et l'expression de leur poésie. À travers la porte Ces personnages, deux solitudes qui semblaient se chercher, sont un homme endeuillé et une femme en quête d'identité. Sam (Rupert Friend), libraire le jour et jazzman la nuit, traîne le souvenir de sa femme morte, dans la chambre d'hôtel – celle de l'inspiration perdue - où il l'a rencontrée de façon incongrue, entrée dans sa vie pour en ressortir dans l'obsession de recevoir un appel de l'au-delà. Pi (Clémence Poésy), comme le nombre, est cette femme qui pousse la porte de sa chambre pour s'enfermer dans sa salle de bains, avec ses pleurs, ses peurs et le mystère de son nom. À travers la porte (rassurante, comme ils disent), commence une relation où les douleurs luttent dans la douceur pour s'annuler. Une tendresse, presque immédiate, se tisse entre les deux personnages qui se fantasment l'un l'autre par la voix. Car c'est un film de voix, dont le traitement entre dans les choix esthétiques et musicaux du réalisateur ; la voix des êtres chers, perdus ou retrouvés, ou alors à reconquérir ; la voix du fils (le jeune Noir que le jeune veuf prend sous son aile musicale) qui n'atteint pas son père ; la voix de la musique, celle du jazz qui fait revivre Sam et du hip-hop qui attendrit les jeunes (extraordinaire scène où, sous la voix jazzy de Sam mêlée à des rythmes de hip-hop, deux jeunes se frappent en dansant, sans oublier la surprise nommée Charlie Winston qui apparaît au début du film dans la peau d'un jeune premier sur scène) ; mais aussi la voix de la guérison... Cependant, cette polyphonie demeure très intimiste, et Philippon imagine chaque scène comme une photographie de l'intime, des moments captés dans la solitude. Autant de détails qui font toute la poésie du propos ; cette poésie, censée harmoniser le tout, s'avère désarticulée par des transitions brusques ou peu inventives, qui donne l'impression que le scénario n'est rien d'autre qu'un amalgame d'idées, de réflexions et d'images – le rôle de l'hôtelier ami, joué par Forest Whitaker (Oscar du meilleur acteur, quand même !), est à la limite anecdotique. Il y a comme une surcharge d'intimité dans laquelle s'enlisent les acteurs, surtout le jeune Rupert Friend qui croule sous le poids d'un deuil trop grand pour son jeu. Il n'empêche que de beaux moments d'enchantement sauvent la mise de ce premier film quelque peu maladroit, et dont la « Lullaby » aurait pu être chantée pour les spectateurs... afin de les endormir. Les promesses d'une belle oeuvre à venir germent déjà dans cette histoire jolie comme une chanson de blues.