Depuis l'avènement de la colonisation en Tunisie, en 1881, aucun des Beys qui se succédèrent dont notamment Sadok Bey, le signataire du fameux traité du Bardo, n'avait manifesté sa résistance ou sa désapprobation à l'égard de l'action coloniale menée avec force et agressivité par l'occupant. Déjà avant cette date, les Beys cherchaient à gagner l'amitié de la France, afin de se détacher de l'Empire Ottoman qu'il considérait sous sa coupe. Ce fut, d'ailleurs, ce qui avait favorisé la colonisation du pays par la France qui sut habilement profiter de la situation. Ahmed Bey 1er tomba dans le piège engageant des dépenses pour les multiples réalisations entreprises sous le conseil notamment du proconsul français en Tunisie, qui profita de l'occasion pour s'adonner à des malversations avec l'appui et la complicité de certains personnages de la Cour, dont le ministre Khaznadar. Quand les caisses de l'Etat se vidèrent, Ahmed Bey et les souverains qui lui succédèrent se retournèrent vers la France pour demander aide et conseil. Avec Sadok Bey, « la poire tunisienne était mûre » comme l'avait déclaré en 1879 Bismark, à l'ambassadeur de France à Berlin. La poire était effectivement cueillie en 1881, par une double épreuve de force, que fit subir le colonisateur aux Tunisiens et à leur souverain. En effet, alors que des attaques militaires avaient lieu dans plusieurs régions, le palais du Bey était également cerné et Sadok fut obligé de signer le traité d'un soi-disant protectorat, mais qui constituait une violation de la souveraineté nationale. Les Beys étaient devenus des sortes de pantins que le colonisateur pouvait manipuler à sa guise et leur dicter sa volonté et ses directives qu'ils suivaient à la lettre. Toutefois, un souverain qui monta sur le trône en juin 1942, s'avéra d'une autre trempe. Il s'agit, bien entendu, du martyr Moncef Bey. Il avait une nouvelle façon de gouverner qui consistait à communiquer directement avec le peuple, en ne manquant pas de l'assurer de tout son soutien pour toutes ses revendications dont notamment celles de recouvrer sa liberté et sa dignité. Cette attitude du nouveau souverain n'était pas à plaire au colonisateur qui, pour le limoger, prétexta sa collaboration avec les allemands. Le 11 mai 1943, le général Juin, l'obligea d'abdiquer. Le vendredi 14 mai 1943, alors que l'arrêté de déposition de Moncef Bey était signé, celui-ci était déjà exilé à Laghouat, en Algérie. Il fut accueilli à son arrivée la veille, par un officier militaire qui le traita en tant que prisonnier. Il résida à l'hôtel Transatlantique, transformé pratiquement en camp militaire. Moncef Bey manifesta son désir d'aller accomplir la prière du Vendredi à la mosquée de Laghouat. Mais l'officier lui opposa une fin de non-recevoir. « Vous plaisantez, ironisa-t-il, cyniquement, vous voulez ameuter les Musulmans d'Algérie ! ». Puis, continuant sur sa lancée, il ajouta : « Vous voyez les tentes qui sont placées au jardin de l'hôtel ? Eh bien, c'est pour recevoir vos amis qui vont souffrir tels que Materi, Chenik, Bourguiba et les autres. Moncef Bey au fond de lui-même a dû se réjouir de la nouvelle, c'était, en effet, une heureuse occasion de retrouver ses compatriotes militants. Cependant, le colonisateur renonça à cette idée, et Moncef Bey se sentit de plus en plus malade et isolé. Transféré à Pau, il mourut en septembre 1948, dans des conditions assez obscures, d'autant plus que son bulletin de santé ne signalait, une semaine avant sa mort rien d'inquiétant à part l'hypertension, maladie chronique qu'il traînait depuis longtemps. Ses funérailles en Tunisie, avaient réuni toutes les couches sociales, ce qui leur donna tout l'élan dû à un martyr.