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Jean Tulard : "L'an 1789 de la révolution tunisienne"
LE MONDE
Publié dans Le Temps le 20 - 01 - 2011

Jean Tulard est historien, spécialiste de la Révolution française et des révolutions en général. Selon lui, l'avenir du soulèvement tunisien dépendra du rôle joué par l'armée.
En un mois de soulèvement, le peuple tunisien a obtenu la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali. S'agit-il d'une révolution ?
Nous sommes en ce moment même dans une phase charnière du soulèvement tunisien. De simple révolte, ce mouvement est en train de devenir une révolution.
Une révolte est un acte spontané, qui naît d'une indignation, d'un ras-le-bol, d'un accès de désespoir. Elle est généralement anarchique, sans chef, sans mot d'ordre, et limitée localement. Autant de caractéristiques qui correspondent parfaitement au cas tunisien, au moins dans ses débuts.
La révolution, elle, prône un changement radical d'hommes, d'institutions, de façon de penser. Pour prendre l'exemple de la Révolution française, le soulèvement était prévisible et ses objectifs connus : égalité, à travers l'abolition des privilèges, suppression des droits féodaux qui pesaient sur les paysans, fin de la monarchie absolue. Le modèle tunisien ne correspond pas à ce schéma, puisqu'il a débuté et perduré sans leader ni assise idéologique.
Mais il suit une trajectoire parallèle à celle de la Révolution française qui rend les deux événements assez comparables. La Révolution est elle aussi passée par une phase d'émeutes avant de pénétrer les esprits d'une part plus importante de la population, comme le 14 juillet 1789 ou le 10 août 1792. Des émeutes de la faim et du chômage, comme en Tunisie.
Une révolte peut donc engendrer une révolution. Pour cela, il faut que les exaspérations de départ trouvent un écho avec des aspirations plus profondes concernant l'ensemble du pays, et non plus un territoire limité. C'est ce qui s'est passé à l'été 1789, quand les paysans français, sans bien comprendre ce qui se passait à Paris, se sont armés et ont pris d'assaut les châteaux des nobles. C'est aussi ce qui s'est passé en Tunisie, ou la révolte a commencé à Sidi Bouzid, loin de la capitale, avant d'essaimer dans tout le pays.
C'est d'ailleurs bien cette distinction entre révolte et révolution qui explique les atermoiements des dirigeants français. Jusqu'à la mi-janvier, on pensait encore avoir affaire à de simples émeutes de la faim, à une révolte limitée. Or, il est facile de mettre fin à une révolte : soit le pouvoir réprime, soit il répond favorablement aux revendications. Arrêter une révolution, c'est une tout autre affaire...
Si l'on suit ce parallèle entre le renversement du régime Ben Ali et la Révolution française, cette dernière peut sans doute livrer des enseignements pour l'avenir de la Tunisie...
Pour filer la comparaison, la Tunisie est sans doute en train de vivre l'année 1789 de sa révolution – qui correspond, pour la France, à la mise en place d'une Assemblée nationale constituante encore dominée par les nobles. L'heure est, en 1789 comme aujourd'hui en Tunisie, à l'enthousiasme, aux espoirs de réforme les plus fous.
Mais les révolutionnaires français ont vite déchanté : dès le début, la Révolution a dû faire face à une situation économique désastreuse et affronter les réactions des autres pays, tout comme les voisins de la Tunisie vont peut-être tenter d'étouffer un mouvement qui les menace. Sans oublier les luttes de clan, qui font que la révolution rebondit en soubresauts parfois sanglants : Montagnards contre Girondins autrefois, islamistes contre progressistes aujourd'hui.
En France, ces soubresauts n'ont pris fin qu'avec le coup d'Etat napoléonien du 18-Brumaire et la mise en place d'un régime dictatorial. Mais loin de moi l'idée de prédire un tel avenir à la Tunisie : je suis historien, pas politologue, et il serait abusif de vouloir calquer des situations très différentes.
La seule constante dans l'histoire des révolutions est le rôle primordial joué par l'armée. Après l'épisode Cromwell, en Angleterre, c'est le général Monk qui rétablit Charles II. Et j'ai déjà parlé de la Révolution française, qui s'achève réellement avec le coup d'Etat de Bonaparte. Il faut surveiller très attentivement ce que va faire l'armée tunisienne.
Vous dites que le soulèvement tunisien a démarré sans assise idéologique ni leader. Comment, dans ce contexte, expliquer son succès ?
On a déjà vu de tels cas de figure dans l'histoire. La révolution anglaise au XVIIe siècle ou la chute des démocraties populaires d'Europe de l'Est, à partir de 1989, se sont bâties sur des exaspérations plus que sur des programmes clairs et définis.
Dans ces cas comme dans le cas tunisien, la révolte a pu se transformer en révolution parce que l'on avait affaire à des régimes déconsidérés, délégitimés. Quand le régime est fort, la révolte ne peut pas se transformer en révolution, elle est écrasée.
C'est bien là l'erreur d'appréciation qu'ont commise aussi bien Ben Ali que les gouvernements occidentaux : ils ont cru le régime plus solide et ancré qu'il ne l'était réellement.
Les cadres de l'ancien régime semblent prêts à rester en place. Une révolution peut-elle réussir sans exclure les élites du régime précédent ?
Oui, cela n'a rien d'exceptionnel. La Révolution française a beau avoir inventé la Terreur, elle a aussi eu ses "girouettes". Sous la Révolution et dans les années qui ont suivi, certains fonctionnaires ont prêté jusqu'à quinze serments. L'exemple du lieutenant-général Henry en est le symbole : chef de la police sous l'Ancien Régime, il était toujours en place au moment de la Restauration. Pendant l'épuration, en 1944, la plupart des fonctionnaires sont restés à leur poste.
Vous ne pouvez pas remplacer rapidement des hommes qui ont des compétences techniques précises. C'est particulièrement valable pour les techniciens.
Et qu'en est-il des dirigeants plus haut placés ? Une révolution peut-elle se contenter de voir partir l'ancien dirigeant en exil, comme c'est le cas pour M. Ben Ali ?
C'est vrai que le jugement puis la mise à mort du dirigeant déchu sont le symbole le plus fort des révolutions. Charles Ier est décapité, Louis XVI guillotiné, Nicolas II fusillé, Ceaucescu mitraillé...
La France a d'ailleurs sans doute refusé d'accueillir Ben Ali pour ne pas se retrouver ensuite avec une demande d'extradition embarrassante. Ceci dit, les mœurs politiques ont évolué, les changements de régime sont aujourd'hui moins sanglants que par le passé.
Le nouveau gouvernement a annoncé la tenue d'élections d'ici à six mois. A-t-on déjà vu une révolution déboucher sur une transition démocratique pacifique sans passer par des périodes de troubles et de violence ?
La révolution des œillets, au Portugal, est peut-être le seul exemple d'une passation de pouvoir en douceur. De façon générale, les troubles et la violence sont la norme, sans parler des règlements de compte.
Mais je ne suis pas pour autant inquiet pour la Tunisie. Le peuple tunisien me paraît assez peu porté sur les émeutes sanglantes et la violence.
Propos recueillis par Benoît Vitkine
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LIBERATION
Perdition
Par Laurent Joffrin - Michèle Alliot-Marie manque d'ambition. La compétence de la police française étant reconnue dans le monde, pourquoi s'est-elle arrêtée au cas du pauvre Ben Ali ? D'autres marchés s'ouvrent à son entreprise d'exportation de matière bleue : Kim Jong-il, Fidel Castro, Hosni Moubarak ou Mahmoud Ahmadinejad auront forcément besoin, un jour ou l'autre, de faire face à des protestations populaires. Fondatrice de SOS-dictateurs, MAM devrait immédiatement poser des jalons. Le rayonnement de la France s'en porterait d'autant mieux…
Mais laissons là l'ironie. La gaffe de la ministre des Affaires étrangères - manifestement étrangère à bien des affaires - restera dans les annales. Avec elle, on est passé sans transition, dans ces événements tunisiens, de la Goulette à la boulette, de la Françafrique… à la France à flics. On entend bien qu'elle n'avait pas en tête de faire tirer les pandores tricolores sur la foule. Juste un maniement diplomatique du flash-ball et du Taser. Mais cela change-t-il les choses ? Il s'agissait bien, en tout cas, de voler au secours d'un tyran en perdition pour qu'il réprime mieux la juste colère du peuple et qu'il garde son poste pour continuer à se remplir les poches. Un tel aveuglement est hors du commun dans la série des bévues internationales. Quel crédit peut-elle conserver auprès du peuple tunisien ? Il ne lui reste qu'une issue : quitter ce poste qu'elle occupe décidément avec trop de balourdise.
Tunisie, Hongrie : l'honneur perdu des socialistes européens
Le groupe socialiste du Parlement européen, présidé par Martin Schulz, a joint ses voix au groupe conservateur du PPE pour bloquer toute résolution sur la révolution tunisienne et sur la suppression de la liberté de la presse en Hongrie à la consternation des Verts, de la GUE (gauche non socialiste) et des… libéraux et démocrates. Ces deux groupes ayant la majorité à eux deux, l'Europarlement restera donc muet, lui qui est si prompt à condamner la moindre atteinte aux droits de l'homme à condition qu'elle ait lieu à l'extérieur de la zone d'influence de l'Union…
Les arguments des socialistes pour se justifier sont pour le moins curieux. Dans le cas tunisien, il s'agit d'attendre que « la situation se stabilise »… On se demande quand ils jugeront qu'il conviendra de soutenir le mouvement démocratique alors que, comme l'a dit Daniel Cohn-Bendit, le coprésident du groupe Vert, « si le dictateur est tombé, la dictature est toujours en place ». Combien de temps a-t-il fallu pour que le Parlement européen salue la chute du communisme ? Combien de temps lui faudrait-il pour se prononcer si la dictature communiste de Biélorussie était renversée ? Le fait que le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) du président déchu Zine El Abidine Ben Ali soit membre de l'Internationale socialiste est peut-être un début d'explication. Ce n'est qu'aujourd'hui (je dis bien aujourd'hui) qu'il a été exclu…
Démocratie, liberté de la presse : les socialistes européens ne semblent vraiment plus savoir ce que sont les valeurs européennes qui fondent l'Union et doivent être défendues tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Après cela, étonnez-vous que la gauche soit en perte de vitesse dans l'Union. Au moins la droite est-elle conséquente en condamnant Cuba et en soutenant la Tunisie de Ben Ali…
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LE FIGARO
Les pistes pour remettre sur pied la Tunisie
•Des milliers de jeunes diplômés sans travail, une industrie textile à bout de souffle, des systèmes mafieux… La Tunisie doit sortir de ce cercle vicieux, recommandent les observateurs.
Une masse de chômeurs diplômés (20% des sans emplois). Un client principal, l'Europe (77% des exportations), qui va mal. De nouveaux concurrents asiatiques qui cassent les prix. Voilà dans quel état se trouve la Tunisie après 24 ans de règne de Ben Ali. Quel programme économique les futurs dirigeants du pays devraient-ils mettre en place pour relever le pays et lutter contre le chômage? Quelques pistes ont été tracées par les institutions internationales et les économistes.
• Aider les plus pauvres. «Etant donné les maigres résultats des politiques de l'emploi, il est temps pour la Tunisie de tous les revoir», critiquait en 2010 la Commission économique pour l'Afrique des Nations unies. Le taux de chômage atteint, selon des chiffres non officiels, plus de 20%. Il est particulièrement élevé parmi les jeunes diplômés. «Les ressources de l'Etat étant limitées, il faut mettre en place des mesures spécifiques destinées aux plus défavorisés», recommande Mohamed Ali Marouani, économiste à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. «Certaines régions sont délaissées, il faut y lancer des projets de développement massifs.» Autant de mesures qui auraient des effets immédiats sur l'emploi.
• Penser à autre chose qu'au textile et au tourisme. «La Tunisie est enfermée dans sa spécialisation dans le textile: il lui faut en sortir», conseille Agnès Chevalier, économiste au CEPII. Ce secteur représente près de la moitié des exportations. Pour combien de temps? La Tunisie subit une très forte concurrence des pays asiatiques, qui pratiquent des prix imbattables. Surtout, le textile n'est pas le secteur rêvé pour des diplômés d'université. De même, l'industrie mécanique, notamment les pièces détachées dans l'automobile, n'est pas un secteur très porteur, étant donné la chute prévisible des ventes de voiture en Europe, principal partenaire commercial de la Tunisie.
Le pays ne devrait pas non plus se contenter du tourisme. Le tourisme représente 5% des activités des services, lesquels comptent pour la moitié du produit intérieurs brut tunisien. «Beaucoup ont investi dans ce secteur, mais les profits sont limités: les propriétaires des hôtels se voient forcés de casser les prix sous la pression des grands tour opérateurs européens», avertit Jean-Raphaël Champonnière, économiste au CEPII. «Certains d'entre eux négocient à un euro seulement la réservation de chambre supplémentaire.»
• Développer les services et le high-tech. La solution? Il n'y en a pas à court terme, il ne s'agit là que de long terme. «Il faut investir massivement dans la recherche et développement, promouvoir les services à forte valeur ajouté», défend Mohamed Ali Marouani. Reste à trouver les secteurs de niche où la Tunisie a une carte à jouer. Certains mentionnent la chirurgie esthétique et les soins dentaires destinés aux étrangers qui veulent se soigner pas cher.
• S'affranchir de l'Europe. «Ces prochaines années, l'Union européenne pourrait importer moitié moins qu'avant la crise», prévient le Fonds monétaire international dans son rapport 2010 sur la Tunisie. Les échanges commerciaux dépendent, selon les secteurs, entre 66% et 90% de l'Union européenne, selon le Fonds monétaire international (FMI). La Tunisie pourrait développer pour cela les échanges avec les autres pays du Maghreb, très peu prisés pour l'instant. L'exemple a fonctionné dans le tourisme durant la crise de 2009 : la venue des Algériens et des Libyens, note le FMI, a compensé l'absence des Européens.
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MARIANNE
Tunisie : le gouvernement français ou la politique de la girouette
La complaisance du gouvernement français envers le régime de Ben Ali jusqu'aux derniers jours de son règne est choquante, estime Philippe Bilger. Mais il est tout aussi choquant de voir que mis devant le fait accompli de la fuite de l'ancien président, la France a fait volte-face, non pas par éthique mais par nécessité.
Pourquoi la joie n'est-elle jamais sans mélange ?
La révolte populaire en Tunisie, en moins d'un mois, a fait « tomber » le président Ben Ali qui s'est réfugié, après avoir pris la fuite avec son épouse, en Arabie Saoudite. Les victimes ont été nombreuses, plus d'une centaine de morts tués par le tir de balles réelles. Le dictateur qui a dominé sans partage ce pays durant plus de 20 ans a été renversé par une fronde devenue révolution dont il n'a pas su prendre la mesure, tant il est vrai que le pouvoir absolu aveugle ceux qu'il veut perdre. Il n'est plus rien sauf pour Kadhafi (Le Post). La Tunisie, mise en coupe réglée tant sur le plan politique qu'économique et financier par le président, son épouse et la famille de celle-ci, connaît actuellement des désordres, des pillages, des violences, des exactions, une atmosphère incertaine et insaisissable quoique rassurante constitutionnellement. On ne sait de quoi l'avenir sera fait mais pourquoi faut-il que derrière les liesses démocratiques, se profile presque inévitablement la menace, la crainte d'un futur qui ne ressemblerait certes plus au passé mais serait tout de même, à sa manière, un brise-espérances, une formidable déception collective ? Une main de fer remplacée par un ordre islamique renaissant après avoir été étouffé durement par le président Ben Ali ?
Surtout, quelle formidable comédie humaine et politique ! Pour l'observateur, ces journées permettent une plongée dans le réalisme des Etats comme dans la psychologie des personnes. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la vie internationale représente le contraire de la reconnaissance, de la cohérence et de la constance. Il n'y a d'ailleurs, en principe, rien de honteux pour un pays à s'adapter à une conjoncture qui change et en un trait de temps fait passer l'ami de la France qu'était le président Ben Ali en une sorte de pestiféré d'autant plus à rejeter qu'on n'a pas cessé avant de faire preuve à son égard d'une indulgence gravement coupable. Car enfin tout ce qu'on découvre et qui se dit dans l'effervescence de la chute du dictateur (pour les forces d'opposition et, semble-t-il, l'immense majorité des Tunisiens) était connu hier. Pour les Etats, pour la France dont les liens avec ce beau pays ont toujours été privilégiés, nulle surprise, rien qui vienne soudain éclairer une diplomatie qui aurait été mal informée. On savait tout et aujourd'hui on fait les dégoûtés ! C'est sans doute de bonne guerre mais ce qui me choque et montre avec beaucoup de cruauté les limites de la « Realpolitik », ce n'est pas le comportement de la France maintenant - nécessité fait loi et elle n'a plus vraiment le choix, le président Obama ayant donné le « la » pour le parler vrai - mais sa complaisance d'avant. De sorte que la volte-face opérée reflète moins la prise en considération d'une éthique internationale que l'expression d'une urgence, contrainte d'oublier sans fard ni excuse les accommodements passés pour ne pas sacrifier les éventuels gains futurs.
Je ne peux pas m'empêcher d'éprouver comme une sorte de vertige devant des soutiens aussi choquants et des reculades aussi ostensibles. Le bonheur mêlé d'angoisse du peuple tunisien - on en a eu une parfaite illustration sur France 2 avec une intervention d'un responsable communiste parlant du président Ben Ali et du caractère explosif de la situation actuelle - ne peut qu'être partagé par tous ceux qui ont le droit de se réjouir dans l'instant d'une liberté conquise sans méconnaître les difficultés de sa sauvegarde demain.
Si trois conclusions, sans doute provisoires, étaient à tirer de ces journées historiques pour nos amis tunisiens, ce seraient à mon sens les suivantes.
On a toujours tort de soutenir une dictature, quel que soit le poids des intérêts. Elle finira toujours par «tomber» un jour et les nouveaux maîtres oublieront difficilement qu'on a favorisé les anciens.
La morale internationale ne devrait pas être un vœu pieux. On gagne plus grâce une constance fondée sur des valeurs et pas naïve pour autant que sur un ajustement cynique et précipité sur les « donnes » que finissent par créer les peuples dans leur lutte victorieuse contre des Pouvoirs profondément illégitimes.
Dans les manifestations et les combats qui ont abouti à la fuite sans grandeur du président Ben Ali, on a vu beaucoup de jeunes femmes, de femmes déterminées et à égalité avec les hommes. J'espère qu'elles ne se laisseront priver de rien et qu'elles sauront peser sur l'avenir.
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LES ECHOS
Quand un peuple se lève
Par Roger-Pol Droit - Moins d'un mois pour que vacille un pouvoir qui passait pour solide. Moins d'un jour pour qu'il s'évanouisse, comme un décor détruit. La Tunisie vient de donner au monde entier une grande leçon. Elle tient, pour l'essentiel, en quelques mots : n'oubliez pas ce que peut le peuple. On le croit assoupi, résigné ou terrorisé. Quand il se lève -résolu, courageux -rien ne semble lui résister. Le vrai mystère, évidemment, c'est le point de révolte, celui où tout bascule soudain, où l'action s'enclenche. Ce moment où l'histoire s'invente, imprévisible et neuve, surgissant comme de nulle part, les philosophes l'ont souvent scruté. Aux politologues d'analyser les rapports de forces, d'évaluer les chances et les risques, les perspectives ouvertes et les menaces éventuelles. L'énigme de la révolte, en revanche, est bien une question philosophique.
Car le propre de l'insurrection est de paraître aussi bien impossible qu'inéluctable. Avant le point de révolte, elle semble exclue. Après lui, elle se donne pour inévitable. Deux auteurs, de part et d'autre de ce point d'inflexion, s'opposent en symétrie inverse : La Boétie et Camus. Avec « De la servitude volontaire », le premier a rédigé, en 1578, le plus intelligent et le plus lucidement désespéré des traités de la tyrannie. Il cherche à comprendre «comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelques fois un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'ils lui donnent, qui n'a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endurer ».
Tyran faible qui perdure, peuple puissant qui courbe la nuque : ce casse-tête, Etienne de La Boétie le résout d'une façon qui, à quatre siècles et demi de distance, n'a pas perdu sa puissance explicative ni sa force provocante. Les peuples aiment le joug, pense-t-il. Ils désirent un maître, réclament sa poigne. Bref, ils désirent leur asservissement. L'idée heurte. Elle paraît choquante. Pourtant, quand on voit comment soudain la police, les geôles, les intimidations cessent de fonctionner devant une foule debout, il faut accorder une part de vérité à cette participation des masses à leur propre écrasement.
Mais une part seulement. Sinon, on ne comprend plus comment, parfois, il est encore possible qu'un peuple se lève, refuse de se taire, de souffrir et d'obéir. Ce moment où chacun éprouve, par tout son être, que ça ne peut plus durer, Albert Camus l'a mis exemplairement en lumière, en 1951, dans « L'Homme révolté ». A ses yeux, la révolte n'est pas simplement lassitude, exaspération, patience perdue. Elle trace une frontière, restaure la dignité. Elle instaure surtout des valeurs positives, une représentation de la justice, de la liberté politique ou de l'humanité.
Pour jeter quelque lumière sur ce point opaque qui fait passer du silence à la parole, de la résignation à la résistance, de la passivité à l'action, il faut retenir la formule-clef de Camus : « Je me révolte, donc nous sommes. » Ce qu'engendre la révolte, c'est un sujet collectif. Passent au second plan calculs personnels, états d'âme subjectifs, trajets individuels. Prendre la Bastille ou renverser Ben Ali n'est pas l'affaire d'un seul, ni d'une simple collection d'individus. Ce qui agit ainsi est d'abord une fusion des volontés, une foule solidaire, un sujet de l'histoire, émergeant brusquement de la grisaille prévue pour créer du neuf.
Voilà ce que dit, sur la scène mondiale, le peuple de Tunisie. Que l'histoire n'est jamais entièrement écrite. Que le désir de servitude peut avoir une fin. Que les dictateurs sont des tigres en papier. Que le peuple existe, parle, pense et agit. Que la liberté, au prix du sang, se conquiert encore...


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