Amel Mathlouthi a réussi dignement à s'imposer à travers le monde, mais surtout en son pays. Elle était à côté de son peuple durant la révolution. Elle a chanté la liberté et la dignité. Avec ses mots et sa guitare, elle nous a éblouispar musique contestataire et patriotique. Son grand succès « Kelmti Horra »( Ma parole est libre) est un hymne pour la liberté d'expression dédié au peuple tunisien. Elle parle autant de politique que de musique dans cette interview car elle rêve d'une Tunisie libre et démocratique . Le Temps: Tout d'abord, cette rencontre avec le public. Est-ce pour vous une manière d'apporter une contribution à la révolution ? A.Mathlouthi: chanter pour défendre les droits des citoyens leur liberté d'expression et de pensée est une contribution. Aider avec mes mots et ma guitare les Tunisiens à rêver et à croire en un monde meilleur est aussi un grand message que je véhicule durant cette révolution. Chanter afin de récolter des fonds pour aider la Tunisie et les plus démunis est aussi une plus belle contribution humanitaire Comment Amel vit-elle cette révolution ? Je n'y crois toujours pas, mais je le vis très bien et je continue le combat, tout reste à faire maintenant! Tout reste à chanter et à écrire. Nous commençons à écrire l'histoire, l'histoire de la nouvelle Tunisie démocratique et libérée de ses chaînes, la Tunisie de tout le monde, j'espère qu'on peut commencer à parler du "rêve tunisien" Jean Ferrat disait «il y a une bouffée d'espoir quand les gens se lèvent » Qu'en pensez-vous ? Quand les gens se lèvent il y a non seulement une grande bouffée d'air mais de vie également. C'est extraordinaire, j'ai vu les gens se lever dès que je prononçais dans ma bouche un mot avec lequel nous serons tous seigneurs. J'ai toujours parlé de la liberté et de dignité lors de mes derniers concerts en plein début de soulèvements en décembre dernier. Je m'étais dit ce sont les prémices d'une grande vague de changements. Je salue toutes les personnes qui se lèvent sous l'impulsion de leurssimples émotions, dans une envie d'étreindre ce qu'on disait impossible: leur liberté Vous essayez sans doute de vous inspirer de cette nouvelle ère de la démocratie ? Nous sommes encore entrain de réaliser ce qui nous arrive, nous sommes encore entrain de construire notre ère, de respirer les débuts de la démocratie, il est difficile d'être inspiré par autre chose que la fierté de sa nation. Nous essaierons d'inspirer aux gens une démocratie qui leur parle, une démocratie saine et dans laquelle nous nous sentons tous protégés sans que l'on se sente menacés par les idéaux des uns et des autres. Amel, vous êtes une chanteuse d'une cause, celle de la liberté, mais aussi de ceux qui luttent contre l'oppression, pour un monde plus juste ? Certainement, avec un maître tel que Cheikh Imam ou Marcel Khalifa à mon adolescence, je me vois mal lutter par une musique légère. On me reproche la mélancolie de ma musique mais c'est qu'elle s'imprègne tellement des maux de ce monde. Désormais, la révolution tunisienne m'apporte à moi et à tant d'autres de l'espoir, de l'optimisme que nous avions perdus autre fois, malgré le jeune âge. J'emprunterai ce chemin dans mes mélodies pour le rendre bien à cette grande révolution. Merci ma Tunisie merci mon peuple Jeter un regard critique sur la gestion de ceux qui ont choisi de présider aux destinées du peuple tunisien, appeler à la liberté, sensibiliser la jeunesse à travers vos paroles. Est-ce la mission de tout chanteur durant cette révolution ? Bien évidemment! Et pas que durant la révolution! Pour moi qui ai refusé toutes les étiquettes y compris celle de chanteuse engagée, cela me semble vital et contre toutes les mauvaises langues, de défendre un art militant. Je tente de militer contre l'indifférence, l'injustice, l'individualisme, l'abrutissement des peuples, toutes les oppressions dont sont victimes les peuples dont je fais partie. Pour moi il n'y a pas d'art apolitique, et il n'existe pas de milieu comme disait Youtkevitch, "le juste milieu » l'indifférence et le métier du bûcheron". Mes propos ont toujours pris position, mes chansons en démontrent et je l'ai toujours assumé, en Tunisie comme à l'étranger. Pensez-vous que cette révolution contribuera à changer le goût musical du public ? Je ne veux pas me placer en juge du goût public mais personnellement je pense que souvent en Tunisie comme ailleurs on dresse le goût public et on l'habitue à la musique vide à coup de matraquage médiatique. Il est nécessaire de diversifier son écoute et je suis persuadée que grâce à cette révolution, comme le peuple a refusé d'être abruti par le langage politique vide et naïf, j'espère qu'il réclamera une nourriture cérébrale artistique et musicale plus à l'écoute de ses sentiments de nouvel émancipé et qui puisse répondre à ces nouveaux besoins. Cette révolution donnera-t-elle un nouvel élan à la création artistique en Tunisie ? Certainement, C'est déjà le cas! Il est aussi important de dire qu'un nouvel élan artistique traverse la Tunisie depuis quelques années déjà, depuis le début des années 2000 et je pense que ça a largement participé à ouvrir la conscience des gens et plus particulièrement les jeunes et de façon considérable à la révolution. Malheureusement cet élan de créativité n'avait pas les moyens médiatiques et financiers nécessaires pour faire parler de lui sur un plan national et même international. Depuis quelques années en France il est très difficile pour les quelques artistes tunisiens expatriés dans le domaine de la musique, de se frayer ce chemin vers le grand public, car les professionnels restent persuadés que dans le Maghreb ce sont les Algériens et les Marocains qui détiennent les vrais talents, et c'est uniquement dû à notre propre politique de dénigrement. Alors j'espère que cette révolution va ouvrir les yeux de la Tunisie et du monde sur les talents et les trésors artistiques tunisiens. Propos recueillis par Kamel Bouaouina