La ‘Haut Instance' a fini par adopter le projet de décret-loi relatif aux élections des membres de la future Assemblée constituante. Diverses questions ont suscité des débats souvent houleux, comme notamment, la représentation des femmes et l'exclusion des anciens responsables du RCD, parti dissous par décision judiciaire le mois dernier. Mais c'est la question du système électoral qui a été à l'origine des plus vives discussions, le choix offert aux membres de cette commission opposant le système ‘uninominal' au ‘scrutin de liste'. C'est ce dernier système qui a été finalement choisi. – On peut cependant, se demander si la commission a réellement fait le bon choix. Diverses considérations doivent être exposées à ce sujet. Les élections qui vont être organisées sur la base de ce projet de décret-loi, ne sont pas des élections banales : elles sont destinées à l'élection des membres de la future Constituante. Le but essentiel est de porter à la future Assemblée nationale constituante une représentation strictement fidèle du corps politique tunisien, une sorte de photocopie conforme à l'original de la réalité politique tunisienne, dans le respect de ses choix fondamentaux et de ses inclinations profondes. Le système qui répond le plus strictement à cette exigence et qui se rapprochera le plus de la volonté réelle de la population, et qui est en même temps le plus simple et le plus pratique pour les futurs électeurs, est le ‘système uninominal à deux tours'. La raison en est que ce système, parce qu'il implique des circonscriptions électorales de dimensions réduites correspondant à un siège pour chaque circonscription, permet aux électeurs de connaître chacun des candidats qui se présentent à leurs votations, d'établir une relation de confiance entre eux et aussi, la possibilité pour les électeurs de contrôler l'accomplissement par leur député de la mission qui lui a été confiée. Pour ces mêmes raisons, les dépenses de la campagne électorale seront réduites et contrôlables, et les risques de malversations seront réduites au maximum, facilement repérables et rapidement sanctionnables. Compte tenu des particularités de la conjoncture politique actuelle, ces avantages sont très importants et ils auront permis à la ‘Révolution du 14 janvier' de passer sans difficultés majeures et même avec succès, son premier apprentissage de la démocratie. Ce n'est hélas ! pas dans cette direction que la commission a choisi de s'engager. Elle a donné sa préférence au système dit ‘scrutin de liste' mitigé de ‘proportionnalité'. Elle affirme que ce système est le mieux adapté aux circonstances actuelles et à l'objectif même des élections à la future ‘Constituante', qu'il sera le plus fidèle possible à la volonté du peuple souverain, et encore, qu'il est très facile à comprendre et à appliquer par l'électeur moyen. Nous pensons, au contraire, que ces arguments sont infondés et que loin de donner au peuple la possibilité d'exprimer sa volonté librement et sincèrement, le système choisi va introduire une profonde et regrettable déformation de cette volonté. Ainsi qu'on va le voir dans ce qui suit, on peut se demander si par ce système électoral, la commission n'a pas introduit dans l'opération électorale ce que certains ont appelé un véritable ‘Cheval de Troie', avec des effets déformateurs de la volonté du peuple souverain aussi inattendus qu'indésirables. Le ‘scrutin de liste' choisi implique des circonscriptions électorales de taille importante, puiqu'elles peuvent prendre les dimensions de tout un Gouvernorat. La relation personnelle qi doit être établie entre l'électeur et le candidat est du coup, réduite à néant. L'électeur n'aura dans la plupart des cas, qu'une connaissance photographique du candidat. La ‘liste' va embrouiller la vision de l'électeur, surtout que par le nombre des partis, il va se trouver en présence d'un grand nombre de ‘listes'. Le choix par ‘exaspération', par ‘lassitude' ou tout simplement, la non participation à l'opération électorale, seront dans un grand nombre de cas, le seul choix laissé à l'électeur moyen. Ensuite, l'électeur ne va pas pouvoir maîtriser le résultat de son choix électoral en raison du fait que c'est la définition du ‘quotient électoral', inconnu jusqu'à la dernière minute, et ensuite, le jeu de la ‘proportionnelle', dont les données ne sont prévisibles compte tenu des résultats de la première distribution des sièges, qui vont déterminer le résultat final des élections. Avec ce système, l'électeur sait quand il participe à l'opération électorale, mais il ne peut connaître le résultat final de sa participation à ces élections. Il y a plus grave : l'effet d'écran déformateur de l'intervention des partis politiques dans le système de ‘listes'. L'électeur ne va pas choisir directement et librement son futur représentant : ce dernier va lui être présenté par les partis, même s'il est vrai que la ‘liste des indépendants' est possible. En dernière analyse, le candidat est ‘présélectionné' par le parti politique qui l'a investi de sa confiance. L'électeur n'intervient qu'en deuxième lieu pour exprimer son choix. Voici donc, une deuxième déformation de la volonté de l'électeur. Une troisième déformation de cette volonté, qui va en réalité correspondre à une véritable confiscation de la volonté du peuple souverain, va consister pour les partis politiques, une fois les élections terminées, de manœuvrer comme ils l'entendent, au sein de la future assemblée constituante. Ils sont libérés du contrôle de l'Electorat. Ils pourront organiser les jeux d'alliances qu'ils désirent en toute liberté. Un véritable ‘Cheval de Troie' aura été ainsi, introduit dans l'assemblée constituante, avec tous les effets dévastateurs que le virus du même nom peut faire dans un ordinateur… En bref, la volonté du Souverain aura été ainsi, confisquée. Les partis politiques, qui en toute objectivité, ne représentent aujourd'hui rien du tout, ou presque, vont subtiliser l'usage de cette volonté souveraine et en même temps, l'esprit de la ‘Révolution du 14 janvier', à la naissance et au succès de laquelle ils n'auront fait aucune contribution, ou presque… Ancien doyen de la Faculté de Droit de Tunis