Par Khaled Guezmir - Jusqu'à la Révolution Tunisienne puis Egyptienne, l'espace politique arabe était gouverné soit par des Monarques – présidentiels soit par des présidents monarchiques. Aussi bien les Monarchies que les Républiques, n'avaient ni institutions représentatives élues démocratiquement, ni justice indépendante. La confusion des pouvoirs était telle que seule la tutelle despotique du Roi-Président ou du Président-Roi était considérée comme légitime presque de droit divin. Tout cela au nom de quoi… au nom de la « stabilité » politique. Il fallait par conséquent pour permettre la sûreté et la quiétude sociale que les Rois et les Présidents aussi bien en Monarchie qu'en République « règnent » et « gouvernent » en même temps, ce qui se traduit par un contrat social digne de Thomas Hobbes dans le « Léviathan » où les citoyens abandonnent la totalité de leurs libertés et de leurs droits naturels au profit d'une autorité supérieure et ascendante, en échange d'une vie sécurisée. Mais alors que les sociétés arabes se sont arrêtées à Hobbes depuis des siècles, les sociétés occidentales ont inventé et adopté tour à tour John Locke, Montesquieu, De Tocqueville jusqu'aux plus récents Max Weber, Raymond Aron et toute la science politique américaine moderne. Il s'agit là d'un véritable déficit arabe et musulman au niveau de la culture politique démocratique devenue un peu partout universelle sauf dans les « déserts » arabes. Cette culture qui a fait défaut à la pensée arabe et musulmane c'est celle d'un contrat social aménagé : Les citoyens en toute liberté acceptent de limiter l'exercice de certaines de leurs libertés et de leurs droits naturels, au profit non pas d'une personne, mais de l'Etat, à condition que ce dernier non seulement assure la quiétude des gens et la vie sociale mais protège l'exercice des droits et des libertés restantes. John Locke le père de cette école libérale va même plus loin : Tout gouvernement qui ne protège pas les libertés individuelles et collectives, ainsi que les droits naturels de l'Homme est illégitime et peut être combattu. La résistance à l'oppression est ainsi codifiée et permise par la loi en cas de dictature ou de despotisme des gouvernants. Le plus triste c'est que certains monarques et présidents arabes qui sont relativement jeunes et qui ont eu une formation politique de première qualité dans les plus prestigieuses universités européennes et américaines s'attardent à pérenniser dans leurs pays le statu quo hérité de siècles de décadence politique depuis le Moyen-âge. Leurs peuples et leurs élites ne comprennent pas pourquoi on s'attache à préserver des mécanismes de pouvoirs totalement déclassés par l'évolution humaine depuis le siècle des lumières en Europe. Les Marocains rêvent d'un Maroc comme l'Espagne post-franquiste ! Ils attendent avec impatience de voir leur monarchie, à laquelle ils sont très attachés, évoluer comme l'Espagne avec le Roi Juan Carlos qui en l'espace de vingt ans en a fait une des plus belles démocraties au monde après la longue dictature du « Caudillo ». Idem pour la Jordanie. Le Roi Abdallah II est très populaire et apprécié aussi par son peuple, comme le jeune souverain marocain Mohamed VI, mais on le voit « rouler » en deça du rythme attendu par son peuple et ses élites qui veulent clairement une monarchie constitutionnelle, parlementaire, où le Roi « règne » mais « ne gouverne pas ». C'est pourtant si simple pourquoi ne pas suivre l'exemple espagnol ! L'Espagne est-elle plus instable avec son système actuel que la Jordanie ou le Maroc ! A-t-elle plus de spécificités qui imposent, encore au 21e siècle, un style de monarchie totalement vétuste et dépassé. Nous ne le pensons pas et c'est par amour et respect de ces pays si proches de nos cœurs que nous appelons de tous nos vœux à un changement qualitatif d'importance afin qu'ils fassent l'économie de « révolutions » hasardeuses pouvant mettre leurs monarchies en danger. La même démarche s'impose du côté des Républiques « monarchiques ». Si pour le Yémen et la Libye il est un peu trop tard d'espérer quoique ce soit en dehors d'un changement radical des systèmes, parce que le sang a trop coulé du fait de la tyrannie des pouvoirs en place, la Syrie a peut être encore une petite chance de s'en sortir. Mais là encore les mesures engagées par le président Bachar Al Assad paraissent bien insuffisantes et limitées. Les jeunes générations syriennes veulent d'un président qui « règne » mais « ne gouverne pas ». Ils veulent une séparation effective des pouvoirs. Ils veulent la fin du système du « Parti-Etat »./ En toute simplicité, et pas simplisme, ils veulent un système politique pluraliste, démocratique et libéral moderne avec une participation citoyenne effective au pouvoir. Ils ne veulent plus de la milice politique, de la répression et de tout ce que la désinformation totalitaire et la propagande, d'une autre époque, essayent de présenter comme « un complot » la révolte d'un peuple. Franchement ça ne colle plus et tout le monde en rit ! A notre humble avis et nous le disons avec une immense tristesse, le Docteur Bachar El Assad en laissant faire la répression est peut être entrain de rater un rendez-vous crucial avec l'histoire. Aristote disait bien qu'il n'y a pas de plus détestable que l'injustice armée. Alors qu'avec une vision plus déterminée et plus courageuse, il peut encore sauver la situation et se positionner à l'avant-garde de la réforme arabe. Continuer à mépriser les peuples et leurs élites ne mène qu'à la déconfiture, tôt ou tard, des systèmes despotiques arabes. Il ne faut pas être grand visionnaire pour comprendre que le vent arabe a bien tourné et le souffle de la liberté est désormais irréversible !