Farhat Rajhi a effectivement mis le feu aux poudres. Des manifestants s'étaient donné le mot pour se rassembler et le « soutenir ». Les forces de l'ordre les attendaient. Quelles étaient les instructions ? La persuasion pacifique ou la dissuasion par la matraque. En tout cas l'étincelle mit le feu au brasier… A croire qu'il y avait un défi de part et d'autre. Hier à 13h15 précises, les hommes de l'ordre ont, subitement et contre toute attente, donné le coup d'envoi à un spectacle violent, très violent qui nous a fait oublier pour un moment la Révolution. Tous ceux qui étaient présents avaient l'impression qu'ils vivaient d'autres temps surtout ceux parmi eux qui ont été sonnés par des coups de matraque. Une heure auparavant, une masse constituée principalement de jeunes, élèves et étudiants, s'est rassemblée devant le théâtre municipal scandant des slogans contre le gouvernement. Vers 13heures, le sit-in s'est transformé en marche. Les manifestants ont été arrêtés au niveau du passage à niveau du métro. Ils ont continué à lever leurs slogans « echaâb yourid ethaoura min jadid ( Le peuple veut faire la révolution de nouveau) et « oh Béji ! Babourek zaffer » ( Oh Béji ! Il est temps de partir). Visiblement, c'était ce slogan qui a le plus irrité les agents, puisque cinq minutes après, ils ont riposté avec des gaz lacrymogènes et la matraque sans oublier bien sûr les ingrédients de toujours en pareilles circonstances: les grossièretés. Après des mois de « chômage », nos policiers affichaient la « bonne mine », ils étaient très « en forme » : ils ont fait usage de leurs mains pour arracher les cheveux des filles et des femmes et leur assener des coups de poing. Ils sont allés encore trop loin dans leur zèle : ils ont poursuivi des confrères de La Presse jusqu'à leurs locaux où ils les ont enfermés et molestés et ils ont…tué un jeune par une balle à la tempe !!! Ces « prestations » sont rassurantes pour notre sécurité. Dans ce mouvement de panique générale, personne ne savait plus quelle direction prendre, la vue était devenue quasi impossible à cause de la densité des gaz lacrymogènes et la marche aussi en raison du blocage de toutes les issues par les corps qui jonchaient le sol. Les plus précipités se sont trouvés à leur tour par terre en heurtant d'autres qui les ont précédés. Les chanceux, eux, ont réussi à se frayer un chemin pour sortir de l'enceinte de l'Avenue, mais c'était au prix de risques démesurées en s'engageant dans des rues toutes enveloppées de gaz dont ils étaient obligés de respirer de grandes quantités. Certains parmi eux n'ont pas tenu le coup et se sont effondrés. Le nombre des asphyxiés était très important. Celui des blessés également, la plupart des blessures étaient à la tête. Après avoir vidé l'artère principale, les policiers ont organisé des poursuites jusqu'aux confins de la vieille ville, même les ruelles commerçantes telles que celle des salines n'étaient pas épargnées. Les marchands ambulants qui se croyaient maîtres des lieux ont été délogés et de la plus belle manière, ils se sont retrouvés de la partie, eux, qui se sont toujours tenus à l'écart, de simples spectateurs qui contemplaient ce qui se passait autour d'eux et ceux qui ont le plus profité de la Révolution par leur occupation de la voie publique : ils ont eu leur part de gaz et des coups, leurs marchandises étaient dispersées et foulées aux pieds. Les passants, parmi lesquels des vieillards, non plus n'ont pas pu échapper à la rage policière. Les bombes à gaz ont été jetées partout même dans des balcons. Ce ratissage a atteint Bab El Khadra, l'avenue de Paris, la rue de Rome, le Passage, l'avenue de la Liberté, l'avenue de Carthage, la place de Barcelone, Bab Al Jazira de l'autre côté. Ces poursuites ont été assurées par des voitures civiles, des motos et des blindés de la garde nationale venues renforcer le dispositif déjà présent. C'était comme s'ils avaient une armée en face. Pour se défendre, les jeunes manifestants se sont armés de pierres qu'ils ont arrachées du pavé.
Un comportement très douteux
Au cours de cette journée très violente, la capitale a été meurtrie, elle est encore en train de recenser ses victimes, et elle continuera très probablement à le faire pendant l'après-midi et la soirée. Ce comportement de la police n'est-il pas révélateur ? Ne nous éclaire-t-il pas sur les mois à venir ? N'est-il pas une preuve de la « démocratie » promise ? Est-ce normal qu'on réprime de la sorte une manifestation pacifique ? Le peuple n'a-t-il pas le droit de faire entendre sa voix pour dénoncer des choses, de réagir suite à des révélations très dangereuses menaçant sa Révolution ? En tout cas, la réaction est pour le moins inappropriée et fait planer beaucoup de doute tout en révélant des appréhensions… En agissant de la sorte, ne fait-on pas de Rajhi un héros ?