Jusqu'à hier, beaucoup de gens trouvaient curieux que les taxistes, comme on aime les appeler chez nous, n'avaient pas encore fait grève depuis le 14 janvier dernier. Après tout, presqu'aucun secteur professionnel tunisien ne nous a épargné ses grèves surprises, ses grèves sauvages, ses grèves du zèle, ses grèves illimitées, ses grèves tournantes, ses grèves à la japonaise, ses grèves sur le tas, ni ses grèves perlées. Les chauffeurs de taxis ont donc décidé de suivre le courant gréviste et de « disparaître de la circulation »pour une durée indéterminée. En réalité, les voitures jaunes restaient encore visibles, tout au long de la journée d'hier. Sauf que l'écrasante majorité de ces véhicules circulaient dans les artères de Tunis sans leurs plaques lumineuses. Autre bizarrerie : tous les taxis que nous avons vu passer sous nos yeux entre 8 heures et midi avaient des passagers à bord ! A 11 heures, nous avons même hélé l'un d'eux et il nous a transporté jusqu'à Mégrine. En centre-ville, on pouvait également voir quelques « briseurs » convaincus qui travaillaient le plus ordinairement du monde et qui donc circulaient avec leur plaque sur le toit de la voiture. D'après le chauffeur qui nous a fait monter jusqu'à Mégrine, c'est seulement en apparence que le mouvement est massivement suivi. En ce qui le concerne, il a un manque à gagner surtout que pendant les mois de mars et d'avril et aussi durant la première semaine de mai, ses recettes ont considérablement baissé à cause des manifestations, du couvre-feu, des braquages, et de la crainte généralisée de circuler à plusieurs endroits de la capitale. « De plus, ajoute notre interlocuteur, comme les gens se permettent maintenant de prendre le métro et le bus sans payer, cela nous fait beaucoup de clients en moins. Personnellement, j'ai choisi de transporter clandestinement les voyageurs parce que franchement je ne sais même pas pourquoi cette grève est déclenchée et, pour vous dire toute la vérité, je ne suis que le chauffeur ici ; et le patron est d'accord pour que je prenne des passagers comme je le fais. » Nous rappelons que les revendications pour lesquelles les taxis au compteur sont entrés en grève concernent d'abord les autorisations de taxis collectifs, délivrées en trop grand nombre, selon le syndicat des chauffeurs, par le gouverneur de la capitale, ensuite la suspension pour 5 ans au minimum des concours de permis de place et la reconnaissance de la pénibilité du métier de taxiste en vue d'accorder la retraite à 55 ans.