Le cinéma turc était représenté à Cannes par un de ses réalisateurs les plus talentueux Nuri Bilge Ceylan avec un film, le plus long du festival 2h37. « Il était une fois en Anatolie » qui a décroché le Grand Prix du jury. Grand Prix 2003 pour « Uzak » et Prix de la mise en scène 2008 pour «Les trois singes », le cinéaste turc revient en compétition avec un road movie à travers les routes montagneuses d'Anatolie à la recherche d'un cadavre. A première vue, cela paraît macabre mais au final, le film ne manque pas d'humour. Un humour sournois qui ne s'affiche pas directement. L'ambition de Ceylan n'est pas de faire du racolage selon un schéma hollywoodien convenu, mais d'aller à contre courant des lois du marché commercial. « Il était une fois en Anatolie » est une enquête policière aux allures d'un voyage dans les steppes qui conduisent à un village isolé où se cache peut-être l'énigme. Les investigations des enquêteurs se déroulent la nuit éclairée par la lune. Dans une voiture, un procureur de province flanqué d'un policier nerveux, d'un médecin légiste et du tueur présumé et de son complice sont à la recherche d'un cadavre. Deux autres voitures suivent. Après quelques recherches infructueuses, le cadavre est retrouvé et mené à la morgue pour ne pas dire tout simplement malmené de façon rocambolesque dans la malle de la voiture de police. Le film se termine là où il aurait pu commencer. En suivant le mode opératoire de l'investigation policière, le film ne met pas l'accent sur les causes et les effets qui ont poussé le meurtrier présumé à commettre son crime, mais insiste sur la routine d'un travail exigeant beaucoup de précision et de sang froid et qui a un rapport distant avec la mort mais aussi la vie. La communauté que décrit Ceylan de manière contemplative semble détachée, écrasée par le rouleau compresseur d'une vie monotone, banale, sans surprise à l'image de cette investigation nocturne où tous ensemble : enquêteurs et meurtriers sont embarqués dans la même galère en train de partager un repas ou un verre de thé. « Il était une fois en Anatolie » est une œuvre mélancolique et énigmatique, une sorte de parabole sur le rythme cyclique de la vie et la mort, une réflexion sur le sens profond des choses. La scène d'autopsie pratiquée sur la dépouille est à la fois rebutante et cocasse. Elle en dit long sur l'absurdité de la vie et le rapport avec la mort. Le processus filmique mis en œuvre et la lenteur du rythme correspondent parfaitement à l'état d'âme des personnages et à l'ambiance angoissante du déroulement de la procédure policière. La banalité des dialogues aussi entre les personnages, montre à quel point la communication est limitée à des formules toutes faites servant à faire des rapports administratifs de routine. D'autre part, la simplicité et la justesse de jeu des acteurs donnent aux personnages une épaisseur particulière. Ils s'effacent derrière leur rôle pour mieux le mettre en valeur. La force de Nuri Bilge Ceylan est d'avoir réussi à gérer les émotions des uns et des autres et à nous faire vivre une histoire profondément humaine et très touchante.