La plupart de ceux qui t'ont aimé trainent la patte en ce moment. Ils sont vieux. Je sais que dans ta générosité tu leur as déjà pardonné parce que tout-en vivant parmi eux et pour eux, tu as toujours été ailleurs. Dans cet ailleurs que toi seul connaissais. Aucune autorité n'avait de pouvoir sur toi. Et de gauche ou de droite –alors que la droite n'existait pas encore- tout le monde attendait la caricature du grand seigneur que tu as été. Mieux que tous les pseudo-princes parlant de l'époque tu étais silencieux et religieux. De cette religion dont personne ne se rendait compte, qui n'offensait personne parce qu'elle t'était personnelle. Le peu de temps où je t'ai vu, tu passais avec la tête baissée non par humiliation ni soumission mais par cette affreuse qualité dont plus personne ne se souvient aujourd'hui et qu'on appelait pudeur. C'est cette même pudeur qui me permet aujourd'hui de vous tutoyer et il m'est même arrivé de vous oublier, mais quand on est perdu à l'orée des chemins interdits les anges qu'on croyait irrévocablement partis réapparaissent pour nous dire quel chemin suivre ou ne pas suivre. Après tout les anges ne sont que des êtres humains malencontreusement échoués parmi nous sur cette terre que nous avons tant aimée. Tes caricatures étaient le seul discours qu'on écoutait. Malheureusement ou heureusement pour nous elles étaient muettes. Elles n'avaient pas besoin de mots. Elles n'avaient pas besoin de verbe même si le Verbe était au début et le début de toute vie. Aujourd'hui elles sont dotées de sons. Je voudrais vous demander où vous êtes et où tu en es mais je ne peux oser. Ce n'est rien qu'une pensée, une toute petite pensée que demain je vais sûrement oublier. Merci Monsieur Ali Abid pour le vide que tu n'as jamais laissé.