Un million d'inscrits pour les élections de la Constituante à laquelle on a appelé lors de deux sit-in ayant mobilisé des milliers de personnes. Elles se sont rassemblées de la Kasbah arrivant de toutes les régions du pays, se donnant rendez-vous et ne voulant quitter les lieux qu'une fois la décision prise. Et pourtant, aujourd'hui, très peu sont intéressés par les votes… Remontant encore dans le temps, jusqu'à la période s'étendant entre le 17 décembre et le 14 janvier, sanglante et mouvementée de l'histoire de la Tunisie Benaliste. Le peuple, jusque là soumis et résigné s'est révolté et ne s'est calmé que lorsqu'il a détrôné le dictateur et ait pris son destin en main. Et pourtant, aujourd'hui, il semble lâché ce destin et fataliste, le laisse se modeler comme le voudrait bien la providence. En quelques mois, le peuple tunisien serait passé du défi de la mort à l'inertie presque totale, retombant dans un train de vie monotone dont les seuls soucis sont les prix des aliments, la sécurité et les meilleurs moyens d'échapper à la grande chaleur. En quelques mois, le peuple tunisien est passé de l'euphorie de vouloir tout changer et reconstruire un nouvel état au désengagement presque le plus total. Pourquoi ces personnes et surtout les jeunes ont-ils laissé tomber ce dont pourquoi ils auraient été prêts à y laisser leur vie il y a quelques mois? Rupture avec le gouvernement D'un côté un gouvernement qui agit surtout sur le plan socio-économique et qui s'est trouvé tout d'un coup submergé par les grèves, les protestations et les exigences des augmentations salariales et d'un autre côté, une population de jeunes qui s'est retrouvée tout d'un coup débordant de "politique" la découvrant pourtant tout d'un coup. A l'absence d'apprentissage méthodique de la politique s'ajoute le sentiment de n'avoir rien changé aux choses puisque à la répression benaliste s'est substituée l'indifférence du nouveau gouvernement face à leurs exigences de changement et surtout marginalisée dans la prise des décisions. Il est vrai que la liberté d'expression leur a été accordée et il n'est plus interdit de donner son avis, de critiquer une personnalité politique ou une décision et le mot dégage devient si facile "à crier". Mais il est également vrai qu'en général, la politique reste une affaire de cafés pour les jeunes et le gouvernement quant à lui, semble travailler plus dans les coulisses qu'en élaborant une vraie communication avec le peuple. Opportunisme des partis Dans cette rupture entre les jeunes et le gouvernement, les partis politiques semblent non seulement prospérer, mais aussi en tirer profit. De l'ancienne opposition qui gagne du terrain en profitant souvent de la misère et de l'ignorance des tunisiens en matière de politique aux nouveaux partis qui se font de la place, chacun a sa part du gâteau. Ils sont partout dans les médias, se font des noms, se procurent du pouvoir et essayent d'influencer la rue. Hélas, pas toujours pour le bien de la Tunisie ni pour le bien des Tunisiens, mais pour gagner des sièges dans la constituante. Entre temps, les Tunisiens et surtout les jeunes sont perdus entre les orientations politiques et idéologiques, la manipulation des partis et les rumeurs que lancent certains parfois pour faire sortir la rue, ou alors casser un adversaire ou encore faire peur aux Tunisiens afin qu'ils n'abordent point tel ou tel sujet politique… Le nombre de partis naissants, l'existence de partis dont les créateurs sont des personnes suspectes au peuple tunisien de par leur passé RCDiste ou de par leur passé pas très net ont approfondi, dans l'ombre de la rupture entre le gouvernement et le peuple, l'indifférence, voir le désengagement de ce dernier, qui en reculant laisse le terrain aux partis ou alors se laisse aller à leur manipulation. La police, entre répression et réconciliation Depuis la révolution, la relation entre les jeunes et la police vacille entre la haine, la méfiance, la répression et la réconciliation. L'impression de n'avoir pas "changé de police" a découragé beaucoup de jeunes, tandis que d'autres passent des revendications politiques à la violence et aux appels d'incendie et d'attaques contre les agents de la police. Cette dernière, qui une fois tend la main et d'autres sévit restent suspect aux jeunes, haïe par certains d'entre eux, malgré qu'il existe des agents, cadres et responsables qui ont toujours été honnêtes et au service du pays, mais, peut-être que le maintien de certains responsables, pourtant suspecte de réprimer les libertés, non seulement désengage les jeunes, mais entretient la relation mouvementée entre eux et le ministère de l'Intérieur. Problèmes sociaux, économiques et sécuritaires Il existe également un facteur très important dans le désengagement des jeunes : l'insécurité et les problèmes sociaux économiques qui ont bouleversé un pays qui s'est fait l'éloge d'être sécuritaire depuis des décennies. Pourtant, les crimes et braquages ont toujours existé en Tunisie Benaliste, mais sont aujourd'hui encore plus médiatisés. Les casseurs et voyous qui apparaissent à chaque manifestation décourage aussi les manifestants, donne raison à la répression policière et pousse la population à appeler les jeunes à arrêter de manifester. Or, c'est dans la rue que la révolution a commencé et loin des coulisses de la politique, c'est dans la rue et les places importantes telle la Kasbah que les jeunes entendaient finir leur révolution. La majorité silencieuse, a elle aussi également participé à "vider la rue" puisqu'elle jugeait les sit-in comme paralysant la vie économique. Pourtant, ceux qui ont fait des grèves à répétitions pour des augmentations de salaire ont largement participé à cela… La Constituante ne changera rien Ainsi, les jeunes d'aujourd'hui, sauf quelques exceptions sont non seulement découragés, mais également indifférents. Pour eux, et selon les commentaires de Twitter et de Facebook, la constituante est déjà "sélectionnée" d'avance et les votes ne changeront rien. Les anciens de Ben Ali seront toujours là et ils n'auront jamais vraiment l'occasion de participer à la construction de la nouvelle Tunisie. Ils boudent le gouvernement, la police, les partis et perdent confiance en les partis. Des milliers de commentaires expriment le désespoir et le fatalisme, contre seulement des dizaines qui, malgré le fait qu'ils disent bien n'avoir rien changé, insistent sur l'importance de continuer "le combat"… Hajer AJROUDI