Si les observateurs de l'Union Européenne ou de l'Association Carter avaient émis des remarques très positives sur les élections de la Constituante en Tunisie, l'Association Tunisienne pour l'Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE) a eu plutôt une appréciation plus nuancée. En déployant plus de 12000 observateurs dans la quasi-totalité des bureaux de vote, la société civile tunisienne, a fait preuve d'un grand engagement pour la consolidation du processus de démocratisation du pays. L'ATIDE a mobilisé près de 2000 observateurs accrédités. En présentant, hier, le rapport préliminaire d'observation, Moëz Bouraoui, président de la jeune association, n'a pas manqué de signaler les difficultés rencontrées comme le silence du Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie aux questions posées par l'ATIDE, sur le financement. L'association avait déjà commencé son enquête bien avant les élections pour avoir plus de détails sur les listes et les partis à financement douteux. « Depuis le 14 janvier 2011, le pays évolue dans le sens de la démocratie politique. Or la démocratie n'est pas seulement politique. Elle est aussi sociale. Or aucun texte de loi, ne prévoit la participation de la société civile dans le processus électoral », précise le président de l'association. L'ATIDE après avoir joué un rôle de contrôleur avant le jour du vote, le 23 octobre elle s'est limitée à son rôle d'observateur. Ses observateurs ont visité l'écrasante majorité des circonscriptions en Tunisie et à l'étranger. Le rapport sur le déroulement du vote à l'étranger est prêt. Celui concernant la Tunisie est en cours de finition. 6000 infractions ont été relevées. Les recommandations ne seront formulées que lorsque des réponses soient données aux questions posées par l'Association. Le cadre juridique régissant les élections de la Constituante est composé du décret-loi N° 27 portant création de l'ISIE et le décret loi N°35 relatif à l'élection de la constituante, complété par le décret-loi N°72. Le décret-loi N° 27 stipule la dissolution de l'ISIE, avec l'annonce des résultats définitifs. L'ATIDE voit dans le contenu de cet article un frein potentiel menaçant la durabilité de l'ISIE. L'association est favorable à la pérennisation de cette structure indépendamment des hommes. Concernant le décret-loi N° 35, la prolongation des débats sur le contenu de l'article 15 s'est traduite par un important retard dans la promulgation de texte. Dans l'ensemble les dispositions de ce décret ont été respectées que ce soit à propos du dépôt de candidatures ou du mode de scrutin. Toutefois, certaines dispositions ont été négligées, comme celles se rapportant au contentieux relatif à l'inscription des listes d'électeurs, le déroulement de la campagne électorale, la transparence de son financement, le monitoring des médias… D'ailleurs les sanctions prévues en réponse à la publicité politique en dehors de la période officielle de la campagne n'ont pas été appliquées. Les instances chargées de la supervision des élections n'ont pas donné de réponses aux pratiques amorales et antidémocratiques comme la corruption de voix, l'attribution de dons en nature et en numéraires, le démarchage des électeurs. Des mariages et des circoncisions ont été organisés. Certains ont donné des cours particuliers aux bacheliers, lorsque les élections étaient prévues le 24 juillet. L'origine des sources financières des partis incriminés par ces pratiques n'a fait l'objet d'aucune enquête des institutions publiques compétentes. « Ce sont des pratiques qui rappellent, les années soixante et soixante-dix », dira Moëz Bouraoui. Des campagnes électorales ont été organisées à l'université, dans les mosquées et dans les locaux administratifs. « L'encadrement du rôle des médias en période électorale a également souffert de non application des dispositions légales…A des degrés divers, les médias ont eu tendance à suivre une ligne politique plus ou moins affichée ». Certains médias étrangers comme El Jazira, France 24 et El Moustakila échappent au cadre juridique applicable aux médias nationaux. Le jour du vote l'ATIDE a relevé beaucoup d'irrégularités, quoique dans l'ensemble il n'y a pas eu d'entraves notables à l'observation. La communication entre l'ATIDE et l'ISIE était fructueuse. « Les opérations de vote ont été marquées par des manquements graves à la transparence et aux mesures essentielles à l'intégrité des résultats des bureaux de vote. Lilia Rebaï avancera quelques chiffres révélateurs. « Dans un quart des bureaux de vote, des irrégularités ont été observées. Parmi celles-ci, un cinquième porte sur des problèmes de scellés et la moitié a trait à une désorganisation totale des bureaux de vote. Dans plus de 5% des centres de vote, l'encre indélébile n'a pas fait l'objet d'une utilisation systématique. C'est le cas dans certains centres de vote situés notamment à El Fahs, à Bizerte et Manouba. A Bab El Khadra, les électeurs avaient le choix de tremper leurs doigts dans l'encre ou non. Un bureau sur cinq a été touché par des cas d'influence. Dans un cas sur dix, la disposition des isoloirs ne protégeait pas le secret de vote. Plusieurs cas de connivences entre les partis et les membres de bureaux ont été relevés. Ceci a entraîné notamment la fermeture de certains bureaux et l'intervention dans certains cas des forces de l'ordre à l'Ariana, Ben Arous, Béja, Jebenyana », lit-on dans le rapport établi. A l'étranger aussi, beaucoup d'irrégularités ont été constatées : des urnes non-scellées ou fermées avec un simple ruban adhésifs dans plusieurs bureaux en France, urne emmenée au domicile d'un assesseur à Sarcelles Pantin, urnes déplacées dans la nuit… En fin l'ATIDE affirme que « bien que le processus électoral soit entaché d'un certain nombre d'irrégularités de la part des acteurs politiques et d'un manquement en matière de son administration, il constitue néanmoins une expérience globalement satisfaisante ». Toutefois, l'ATIDE recommande que les auteurs de certains préjudices soient sanctionnés et appelle l'ISIE à publier sans délai les détails des résultats par bureau de vote. Des questions restent posées comme pourquoi avoir annoncé la possibilité de voter même si on n'est pas enregistré et ce, en pleine campagne d'enregistrement ? Pourquoi ne pas avoir affiché publiquement et sur le site web la liste des électeurs, ce qui aurait permis un contrôle citoyen ?... L'ATIDE forte de cette expérience, compte poursuivre ses activités, comme ONG participant à la transition démocratique.