Par Ahmed NEMLAGHI - Les avocats ont toujours joué un rôle d'avant-garde dans la défense des droits de l'Homme et continuent à tenir ce rôle, après le déclenchement de la Révolution. Durant le régime du président déchu, un bon nombre des défenseurs de la veuve et de l'orphelin ont été préoccupés par la situation dans laquelle se trouvait le pays, et plusieurs d'entre eux ont été en butte à des persécutions diverses de la part des services de la police politique, celle-ci étant l'organe le plus vigilant et le plus redoutable. C'est que cette profession consistant à défendre les droits de l'Homme, existait depuis l'antiquité. En Grèce et à Rome, l'accusé pouvait recourir à l'office d'un avocat pour le défendre. En Arabie l'idée de la défense des droits existait depuis la Jahilya (période d'avant l'Islam) où les différends étaient tranchés par les chefs de tribus selon les us et coutumes du pays mais surtout, sur la base de l'équité. L'idée de Justice a été consolidée avec l'avènement de l'Islam. La justice est parmi les préceptes islamiques qui ressortent à travers les versets coraniques incitant à la préservation des droits ( Al Hak) et à combattre l'injustice (Al Batil). En France le métier d'avocat a été réglementé depuis une ordonnance de Philippe III . En 1881, date du protectorat, il y avait dèjà des « Oukils » qui intervenaient pour la défense des musulmans devant le Diwan ou tribunal charâique. Durant la période coloniale, les juridictions différaient selon que le justiciable était français ou autochtone. Le tribunal (actuel palais de Justice à Bab Benat) était le seul devant lequel les Français pouvaient comparaître. Les autochtones comparaissaient devant la Driba, pour les affaires pénales et civiles, ou le Diwan pour les affaires matrimoniales (divorce, pension alimentaire etc..) ou les affaires de succession (héritage).ils pouvaient comparaître également devant le tribunal, en cas de litige les opposant à un français, demandeurs ou défendeurs fussent-ils. A cette époque, il y avait déjà des avocats tunisiens, qui plaidaient devant le tribunal français, étant bilingues et ayant des diplômes français. Bon nombre parmi ces avocats ont contribué à la lutte contre le colonialisme, mus par cet engouement à défendre les droits de l'Homme. Ils sont nombreux, à commencer par les leaders Bourguiba, et Ben Youssef, Chedlly Khalladi Mohamed Nôomane, et bien d'autres avocats chevronnés, qui ont bravé tous les obstacles et supporté les affres de la prison et tout qui s‘ensuivait comme exactions, sans s'être découragés ou lâcher prise jusqu'à la réalisation du but escompté, à savoir la libération du pays du joug du colonialisme. A cette époque, les avocats n'avaient pas peur de dénoncer cette parodie de justice qui a existé durant toute la période coloniale. A l'aube de l'indépendance, Bourguiba président de la République ne pouvait pas se dédire ni se contredire, lui qui s'était tant battu pour la défense de la démocratie et de la liberté. Les avocats auxquels il avait fait appel pour faire partie du gouvernement ont fait de leur mieux pour asseoir un régime où les libertés devaient être préservés. Ahmed Mestiri, avocat chevronné, et qui fut nommé ministre de la Justice, a été parmi ceux qui furent à la base de l'institution du code de statut personnel, promulgué en 1956. Il avait également institué le code de procédure civile et commerciale, et procédé à l'organisation judiciaire. Béji Caied Essebsi a été à la tête du ministère de l'intérieur, portefeuille qui a été attribué également à Ahmed Mestiri. Ce dernier a éprouvé le besoin de se retirer du gouvernement, puis du parti du Destour, (rebaptisé à l'époque PSD) au moment où il avait jugé que Bourguiba, n'était plus en mesure de tenir les rênes et qu'il était influencé par un certain nombre d'opportunistes qui se souciaient peu de l'intérêt du pays et ne pensaient qu'à en profiter au maximum. Il a fondé un parti d'opposition avec un certain nombre d'ancien militants, dont Béji Caied Essebsi. Ce parti a été baptisé, Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS). Ce parti a travaillé au début dans la clandestinité puis a été autorisé, avec l'autorisation du multipartisme. L'histoire étant un éternel recommencement, Bourguiba qui détrôna le Bey, a été écarté par Ben Ali lequel usurpa le pouvoir par des subterfuges en faisant croire à l'application de la constitution. Les abus qu'a commis ce dernier durant plus de deux décennies ont été souvent dénoncés par des avocats aux côtés de plusieurs autres militants des droits de l'Homme. Parmi ces derniers, ceux qui s'étaient expatriés pouvaient s'exprimer à leur guise à partir de l'étranger. D'autres ont été arrêtés pour subir les pires exactions. Les avocats qui les ont défendus n'ont pas hésité à dénoncer les exactions dont ils faisaient l'objet. A la Révolution, la plupart des avocats, qui croyaient fermement à la défense des droits et des libertés, n'ont pas hésité à descendre dans la rue aux côtés des manifestants. A la fuite de Ben Ali, un avocat était sorti dans la rue, et en dépit du couvre feu pourclamer haut et fort que le dictateur a été déboulonné et que la Tunisie a recouvré sa liberté. Le bâtonnier de l'ordre des avocats tunisien, Abderrazak Kilani a reçu le prix des droits de l'Homme,décerné par le Barreau Européen, pour le rôle édifiant qu'il a joué ainsi que les avocats pendant la Révolution. Lors de l'accueil chaleureux réservé par M. Beji Caied Essebsi, au bâtonnier, Me Abderrazk Kilani, ce dernier a surtout insisté sur la nécessité d'assainir le secteur de la Justice. Hier il a été entendu par le tribunal militaire, à titre de témoin, afin de confirmer un entretien téléphonique avec le président déchu, le 10 janvier 2011, au cours duquel, le bâtonnier a protesté contre le fait de tirer à bout portant sur les manifestants. La profession d'avocat n'est-elle pas en effet sacerdotale ?