Par Ali Chebbi, Professeur d'Economie. Université de Tunis - Le mardi-soir (27 décembre), quatre invités (deux politiques: PDP et Nahdha, et deux économistes : un membre du CA de la BCT et un universitaire) sur le plateau d'une chaîne tv pour traiter du budget de l'Etat (BE) de 2012. Avant de lancer un appel à une cohésion institutionnelle et à une préparation sérieuse des dossiers brûlants, il faudrait d'abord noter que : (1) Pourtant les questions posées par le présentateur étaient claires et au vif du sujet du BE, les moments les plus élancés des interventions des invités étaient objet de digression et moins consacrés à l'analyse du BE, sa portée et ses limites, qui n'a d'ailleurs pas été faite du moins convenablement (ni la structure du BE, ni les hypothèses de ses projections, ni la réalisabilité de ses objectifs autres que la croissance, ni son rôle dans la stabilisation macroéconomique, ni son éventuelle coordination avec la politique monétaire de la BCT… n'ont été traités). (2) Les interventions les plus concises n'était vraisemblablement pas celles des deux économistes invités : simples, majoritairement clairs et suffisamment fondés et ciblés, quoiqu'à portée analytique et opérationnelle limitée. (3) Le représentant de la BCT n'a globalement pas répondu si clairement aux questions précises qui lui ont été posées : tout est presque systématiquement et précipitamment remis aux sit-in, à la trêve annoncée par le Président de la République et à l'Indépendance de la BCT (soudainement réclamée pour une fin de maîtrise de l'inflation, comme si cette dernière était uniquement monétaire, ce qui n'est nullement le cas en Tunisie au moment où les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très réduites comme annoncé). Or, l'inflation n'est jamais un objectif en soi quand il s'agit d'arbitrages, et ne se réalise jamais par la simple indépendance de la BC telle qu'ambigument présentée, car il s'agit d'un concept exigeant des modalités particulières à la fois conceptuelles, techniques et juridictionnelles. Elle requiert même un débat national conduit par les économistes puisque c'est leur propre affaire par excellence, comme évoqué dans les principales références mondiales en la matière, et non celle des Politiques. Même la question de la dévaluation, évoquée candidement par le présentateur, et relative à la politique monétaire possiblement menée par la BCT, a été traitée encore une fois de manière inexacte, car il n'y a plus de dévaluation après la convertibilité courante du dinar depuis 1993. Il s'agit désormais de la ‘'gestion du régime de change'' par des moyens agissant indirectement sur le taux de change nominal seulement, à moins qu'en Tunisie le régime de facto se soit substantiellement écarté de celui de jure. Dans le cas de la convertibilité courante on parle plutôt de dépréciation (appréciation) du dinar et non de dévaluation. La réponse à cette question était que ‘'la dévaluation fut appliquée pendant les années soixante et soixante-dix''… et puis, un retour aux sit-in et à des instructions en politique ostentatoirement délivrées à l'actuelle classe politique. Par ailleurs, en évoquant l'impact de la dépréciation du dinar sur les flux de la dette extérieure, il affirme qu'il ‘'n'y en a pas d'effets'' puisque ‘'les recettes d'exportation en suivront le même sens''. On a du mal à suivre ce raisonnement en dehors des sensibilités différées des exportations au taux de change par rapport à des flux de dette, obéissant à leur tour à d'autres facteurs (or, les flux de dette pourraient amener, comme prévu par les points de vue les plus récents, au sur-ajustement du taux de change avec ses conséquences fragilisant la durabilité des équilibres macro-économiques. De son côté, le taux de change n'est pas sans effet sur les flux de dette en rapport avec la monnaie de libellé). Toujours en un lien pas très évident et en parlant du taux de croissance de 4,5% sur lequel l'actuel Gouvernement table dans le BE de 2012, le représentant de la BCT vaticine que ce taux serait entre 3 et 3,2% (sans aucune démonstration sur les sources de la croissance, ni une référence au modèle de prévision le plus sophistiqué n'étant pas capable d'une marge d'erreur réelle de 0,2 point de pourcentage pour un horizon annuel)! Réplique ratée par le ministre chargé de l'Economie, en dehors de la théorie des cycles permettant de prévoir un retour au trend d'environ 4,8% (déjà établi sur les 20 dernières années), le représentant du CA de la BCT a raté encore une fois l'occasion de relativiser ses propos comme expert en n'ayant pas offert une alternative aux choix budgétaires du gouvernement pour lesquels il semble manquer d'enthousiasme possiblement légitime. En se montrant donc à l'extérieur de la politique macro-économique appelée à être mise en œuvre en Tunisie post-révolution, il ne s'est même pas limité à dire que la croissance économique est pour le moment hypothéquée par sa dimension institutionnelle et que l'implication en responsable dans les choix des politiques macro-économiques est un message de cohésion institutionnelle nécessaire à la relance économique en Tunisie et à sa stabilité macro-économique ; une cohésion nationale plus vitale que jamais.