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Chronique d'une année de feu
L'an i de la revolution
Publié dans Le Temps le 14 - 01 - 2012

Par Docteur Sliman Doggui, Neurologue à l'hôpital Henri MONDOR PARIS. Militant nationaliste et des Droits de l'Homme. - Au début de l'année 2011, dès le 14 janvier, des mouvements de contestation si forts et si amples se sont succédés en Tunisie que le mot de « Révolution » est très vite apparu. Ces mouvements, commencés dans la partie la plus peuplée du pays, ont eu pour point de départ factuel, l'immolation par le feu de Mohamed Bouaziz, un jeune diplômé réduit à la misère, dans la ville de Sidi Bouzid, terrassée par une situation économique catastrophique comme bien des villes de la Tunisie intérieure où la pauvreté et la misère sont le lot commun.
La rapidité avec laquelle la contestation s'est propagée s'explique par le partage, partout, des mêmes raisons d'exaspération. Chômage, corruption, absence total d'avenir pour les jeunes, sont apparus d'un coup résumer la réalité du pays au point que la seule réponse du Président a été de s'enfuir à l'étranger, incapable de faire face à l'exigence d'une Tunisie enfin démocratique, terre de justice sociale, de dignité, de liberté et de prospérité.
Presque instantanément, le mouvement apparu en Tunisie s'est répandu en Egypte où la Révolution a provoqué la chute du raïs Housni Moubarek. Le poids de l'Egypte, pays arabe le plus peuplé, dont l'influence est à la mesure aussi de la position stratégique, à la charnière de deux continents, cette conjonction a accéléré encore le processus qui s'est étendu à l'ouest jusqu'à l'Algérie et au Maroc, à l'est jusqu'au Bahreïn, passant par la Libye, la Jordanie, la Syrie, la Palestine, l'Irak, jusqu'au Soudan et à la Somalie.
Dans le cadre limité d'un article, il faut se contraindre à n'aborder que les points les plus saillants. L'article s'en tiendra au cas tunisien, celui du pays qui le premier est entré dans le processus, et qui à cette date l'a parcouru le plus loin.
Les causes de la révolution en Tunisie
Il convient de revenir au point de départ le plus ancien, qui est marqué par la lutte de la Tunisie pour acquérir son indépendance, lors de la décolonisation. La révolte avait été menée par Habib Bourguiba et les autres membres du bureau politique du Néo-Destour. Or, dès l'indépendance acquise, Habib Bourguiba et les siens, se sont en priorité attachés à se débarrasser, politiquement et physiquement, de Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, avec l'aide des colonialistes français qui n'avaient pas encore évacué le pays.
Sous le prétexte de « complots », les autres opposants ont été vite neutralisés. Le Parti communiste tunisien, seul parti d‘opposition à Habib Bourguiba, a été interdit, faisant du Néo-Destour le parti unique en Tunisie. Habib Bourguiba a alors créé le culte de sa propre personnalité, se faisant désigner comme « le Combattant suprême », alors que le terme est réservé à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la liberté de leur patrie, tel Farhat Hached, assassiné par la Main rouge, organisation terroriste française.
Bourguiba a changé de lui-même la dénomination du Parti destourien, ajoutant le qualificatif de « socialiste », et parle désormais de Parti socialiste destourien. Cette modification de l'orientation politique du pays s'est faite sans consulter le parti, devenu parti unique. En 1969, pour écarter l'aile gauche du PSD, il fait jeter en prison ses représentants. En réponse, se crée dans l'opposition un premier parti clandestin : le Mouvement d'unité populaire, dont le programme est la création d'une nouvelle et véritable démocratie tunisienne, une démocratie de justice sociale. Bourguiba se fera plus tard nommer président à vie, succédant ainsi au Bey de Tunis écarté dès 1956. Il nomme aussi pour la première fois un général à la tête de la police, le général Ben Ali. Celui-ci s'illustrera pendant les événements du 26 janvier 1978, en faisant mitrailler les manifestants depuis son propre hélicoptère. Bourguiba le nommera alors premier ministre.
Personnalisation encore plus accrue du pouvoir
Le 7 novembre 1986, le général Ben Ali écarte le président Bourguiba, malade, pour « sénilité ». Sa déclaration insiste sur le fait que le peuple tunisien est prêt pour la démocratie et le pluripartisme. Le PSD devient « le Parti démocratique destourien ». Ben Ali personnalise le pouvoir, recrée à son profit le culte de la personnalité, concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Il s'intéresse en particulier à faire fructifier sa fortune et celle de sa famille, confisquant à leur profit et au sien les grands marchés et les bonnes affaires commerciales, provoquant le mécontentement de la bourgeoisie traditionnelle dans tout le pays. Il néglige cependant comme trop peu rentable l'intérieur de la Tunisie, c'est-à- dire les du pays, ce qui réduit au chômage 25% des moins de 30 ans, soit 700 000 personnes, dont 150 000 jeunes diplômés.
Informations et statistiques sont falsifiées, afin de donner l'illusion d'un pays qui avance. En réalité, le chômage a été multiplié par 8. Toute opposition, de gauche ou islamiste est supprimée, par la mise en prison, par le recours à la torture, jusqu'à la mort au besoin. Pendant un quart de siècle, l'Occident s'accommode de cette politique.
On comprend donc le besoin en Tunisie d'une véritable révolution. Certes, la venue de celle-ci en 2011 a eu des conséquences graves sur le plan économique et social. Certes, pendant deux trimestres, la croissance économique a reculé de plus de 3% pour se stabiliser à peu près avec un recul supplémentaire de 0,5 %. Au 3° trimestre 2011 elle n'a atteint que 1,5 %. En mai 2011, le taux de chômage s'est élevé à plus de 18% contre 13 % un an plus tôt, et pendant les dix premiers mois de 2011, les investissements étrangers ont reculé de plus de 27%.
Le temps de la Révolution tunisienne
Le fait qui a déclenché la Révolution est le suicide de Mohamed Bouaziz le 17 décembre 2010. Ce vendeur ambulant de fruits et légumes habitait à Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie. N'ayant pas obtenu l'autorisation d'exercer son emploi, il avait vu à plusieurs reprises sa marchandise confisquée par les employés municipaux. Ayant protesté contre cette confiscation, il avait été brutalisé, et selon les dires, avait été giflé par une femme agent de police. Désespéré, il s'était aspergé d'essence devant la préfecture de Sidi Bouzid, et avait tenté de s'immoler par le feu. C'est le « Kahar ».
Les 19 et 20 décembre, un mouvement de protestation contre le chômage et la vie chère débute en réaction à Sidi Bouzid. De violents affrontements opposent forces de l'ordre et jeunes manifestants. Une vague d'arrestations commence.
Le 24 décembre 2010, la police tire sur les manifestants à Menzel Bouzayane. Le 31 décembre 2010, les avocats manifestent à Tunis et sont violemment réprimés par les forces de l'ordre.
Le 5 janvier 2011, Mohamed Bouaziz, martyr et humilié, meurt de ses blessures à l'hôpital Ben Arous. Cependant que du 3 au 7 janvier 2011 éclatent des violences à Saïda, des manifestations à Thala où des bâtiments officiels sont saccagés, incendiés.
Du 8 au 10 janvier 2011, des émeutes sanglantes éclatent à Kasserine, à Thala, ainsi qu'à Regueb, faisant 21 morts selon la police et plus de 50 selon une source syndicale. Des affrontements ont également lieu à Kairouan, au centre du pays.
Le 11 janvier 2011, les affrontements gagnent Tunis et sa banlieue, tandis que les violences se poursuivent à Kasserine. Les écoles et les universités sont fermées.
Le 12 janvier 2011, les manifestations font à nouveau huit morts dans le pays. L'armée s'est déployée dans Tunis et dans les cités populaires de banlieue où le couvre-feu a été proclamé. Les manifestants se sont acharnés sur les symboles du pouvoir, de la corruption et de l'argent.
Le 13 janvier 2011, le général Rachid Ammar, chef d'état-major de l'armée de terre, refuse de tirer sur les manifestants et exprime de façon directe ses réserves quand à l'utilisation des forces de sécurité. L'armée se retire de Tunis qui demeure quadrillée par les forces spéciales. On compte ce jour-là 13 morts à Tunis, de source médicale, et 2 morts à Kairouan.
14 janvier 2011, des milliers de manifestants se rassemblent dans toutes les villes de Tunisie aux cris de « Benali dégage ». Les événements s'accélèrent, l'état d'urgence est proclamé, Benali s'enfuit et se réfugie en Arabie Saoudite. Mohamed Ghanouchi, premier ministre, est proclamé Président de la république tunisienne, mais sa nomination n'est pas validée par la Constitution tunisienne, et la Casbah de Tunis manifeste violemment son opposition à cette forme de continuité.
15 janvier 2011, le Conseil constitutionnel tunisien annonce « la vacance définitive du pouvoir », et la nomination du président du Parlement Fouad Mbazaa comme Président de la République par intérim.
Le Ministère de la Santé publique a publié un bilan détaillé des victimes de la Révolution entre le 17 décembre 2010 et le 25 janvier 2011. 238 personnes ont été tuées, dont 166 par balles, et 72 détenus sont morts lors de révoltes en prison. Le nombre de blessés graves soignés dans les hôpitaux est de 1 207 personnes.
27 février 2011, M. Béji Caïd Essebsi est nommé Premier ministre.
Le scrutin et les élections à l'Assemblée constituante se dérouleront le 23 octobre 2011, selon le comité indépendant qui est chargé de ces élections, pour des raisons techniques. Il s'agira du 1° scrutin libre depuis l'Indépendance de la Tunisie.
20 juin 2011, verdict du procès Ben Ali. L'ex-président Ben Ali et son épouse Leila Trabelsi ont été condamnés par contumace ce jour à 35 ans de prison chacun, étant poursuivis pour détournement de fonds publics. Ces peines sont assorties d'amendes : l'une de 25 millions d'Euros pour l'ex-président, l'autre de 20,5 d'Euros pour sa femme. 93 autres procès sont en cours (usage de drogues, tortures, assassinats, etc…). Ce procès marque la fin du régime Ben Ali et de la Première république tunisienne.
Une Tunisie nouvelle
Cinq mois après la chute de Ben Ali, on pouvait voir une Tunisie nouvelle, dans laquelle la liberté d'expression est réelle, notamment dans la capitale où fleurit le dialogue entre citoyen, ainsi avenue Bourguiba devant le théâtre municipal. Les libraires peuvent afficher en vitrine des livres interdits par l'ancien régime, ceux consacrés notamment à la vie de l'ancien président et de sa femme. En juin 2011 on comptait plus de 100 partis politiques reconnus. Les gens n'ont plus peur des indicateurs de police, lorsqu'ils parlent entre eux en public.
Cependant la situation économique reste difficile, et la sécurité n'a pas été totalement rétablie dans le pays, ce qui nuit au tourisme. Entre le 1° janvier et le 31 mai 2011, le nombre de touristes décomptés en Tunisie s'est élevé, selon le Gouvernement provisoire, à 670 000, soit une baisse de 54% par rapport à la même période en 2010. A la peur de l'insécurité, la situation dans la Libye frontalière s'est ajouté pour expliquer les freins aux nouveaux investissements étrangers.
Dans la dégradation de cette situation, le mouvement social généré par la transition politique a eu sa part. Le mouvement syndical, la jeunesse et les démocrates avaient joué un rôle déterminant dans la fin de l'ancien régime. La conséquence naturelle de cette implication a été l'attente des salariés qui voulaient voir leurs légitimes revendications satisfaites, et qui les ont appuyées par des grèves. En guise de riposte, certains investisseurs étrangers n'avaient pas hésité à brandir la menace de fermer leurs usines. On retiendra cependant que, sur 3 200 entreprises étrangères installées en Tunisie, 3 seulement ont déjà fermé.
A tout cela il faut joindre la permanence de la profonde fracture qui oppose les régions côtières, moins pauvres, à celles de l'intérieur, minées par la misère, le chômage et la pauvreté, et plongées dans une crise économique endémique. Le Fonds Monétaire International prévoyait pour la Tunisie entière en 2011 une croissance réduite à 1,3% contre 3,7% en 2010. En réalité, la croissance en 2011 sera plus proche de 0,1 %.
Alors que les attentes sociales restent impérieuses, le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi, a fustigé les grèves sauvages, qu'il a jugées préjudiciables à une économie guettée par le ralentissement. Effectivement, les trois premiers mois qui ont suivi la fuite de Ben Ali ont été très difficiles. L'insécurité avait même atteint un tel niveau que des comités de défense des quartiers avaient vu le jour. On ne travaillait pratiquement plus.
Cinq mois après la fuite de Ben Ali, les changements tardent à se mettre en place. L'avenue Habib Bourguiba demeure le rendez-vous à Tunis de toutes les manifestations, les cafés ne désemplissent pas, les seules marques visibles de l'autorité sont les clôtures de barbelés autour du ministère de l'Intérieur et une présence policière renforcée en ville. Le 5 mai 2011, 60 détenus se sont évadés de la prison de Sfax, et des faits similaires se sont produits à Kairouan, à Kasserine et à Gafsa. Du coup, les problèmes de l'ordre et de la sécurité sont devenus préoccupant pour bien des citoyens. Le départ de 23 800 d'entre eux du Sud tunisien pour gagner l'Italie par l'île de Lampedusa montre à quel niveau le désordre s'est accru.
La Libye complique la situation
La crise politique en Libye a également sa part dans la situation économique difficile que la Tunisie connaît. Beaucoup d'entreprises et de cliniques étaient en Tunisie tournées vers ce pays. Le retour des travailleurs tunisiens employés en Libye a encore aggravé le chômage. On ajoutera à ce tableau les dizaines de milliers de réfugiés arrivés de Libye, parmi lesquels sont nombreux les ressortissants de pays africains ou asiatiques. On cite le chiffre de 560 000 personnes au total. On retiendra aussi que 50 000 Libyens ont été hébergés par des familles tunisiennes, dans un mouvement d'hospitalité qui a frappé le monde.
Le jeu au rabais du G8
Nous nous limiterons à citer les jugements les plus récents émis par M. Nicolas Sarkozy et par Mme Michelle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, sur l'ancien régime tunisien à la veille de sa chute. Le premier, reçu en Tunisie par l'ancien dictateur, s'était félicité sur les progrès accomplis en matière de démocratie. La seconde, survolant la Tunisie à bord de l'avion privé d'un riche homme d'affaires proche de Ben Ali, avait proposé l'aide de la France en matière de gestion des foules pour réprimer les premières manifestations. Seule la rapidité de l'effondrement du dictateur avait empêché l'aboutissement du projet. Tous deux étaient certes acquis au despote qui régnait alors, ce qui n'était pas le cas de la plupart des citoyens français.
Lorsque Nicolas Sarkozy rencontre à Rome Silvio Berlusconi, le 26 avril 2011, pour évoquer ensemble le problème posé par les réfugiés tunisiens chassés par la misère, et traversant la Méditerranée au péril de leur vie, tous deux demandent la révision des Accords de Shengen afin de renforcer l'imperméabilité ses frontières européennes. Mais ils se gardent de proposer la moindre aide à la Tunisie pour l'aider à fixer en place, par la création d'emplois, les migrants économiques tunisiens.
Le G 8 avait invité Tunisie et Egypte dans sa réunion à Deauville. Ces 8 grandes puissances possèdent au total 65% de la richesse mondiale, et le premier ministre du Gouvernement intérimaire avait été très honoré de l'invitation. Les économistes tunisiens avaient préparé un programme de 125 Milliards de dollars d'investissements pour les 5 prochaines années. Le premier ministre l'a présenté au G 8 et s'est dit très satisfait de sa participation. Mais le G 8 s'est limité à accorder un prêt de 40 Milliards de dollars, et s'est refusé à réduire la dette tunisienne.
Pourquoi la France officielle qui s'honore d'être la patrie des Droits de l'Homme, a-t-elle émis tant de réserves face à la Révolution tunisienne ? Pourquoi s'attache-t-elle à endiguer cette révolution ? La première explication est sans doute à chercher dans la sauvegarde de ses intérêts. L'ancien régime tunisien avait pour elle l'avantage d'empêcher l'expansion de l'islamisme, en le réprimant par tous les moyens, l'avantage aussi de protéger l'Europe d'une immigration incontrôlable. Ces raisonnements à courte vue ont porté la France officielle à commettre des erreurs d'appréciation, et prouvé qu'elle ne s'était pas donné les moyens de comprendre le Maghreb.
Place aux alliances et contre-alliances
La Révolution du 14 janvier 2011 s'est faite pour que le peuple tunisien accède enfin à la dignité, à la démocratie et à la justice sociale. Elle s'est faite aussi pour que la Tunisie s'achemine enfin vers la prospérité, et notamment la Tunisie de l'intérieur, si longtemps délaissée par l'ancien régime. Elle devrait aboutir à l'élection d'une assemblée constituante le 23 octobre 2011, une élection très importante, car elle déterminera le choix d'une république qui aura un long chemin devant elle, une élection qui sera donc un véritable choix de société.
Car le peuple tunisien souhaite en finir avec le régime présidentiel, synonyme de pouvoir personnel. Il souhaite l'instauration d'un régime parlementaire, et une véritable séparation des quatre pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire, et de l'information. On constate une multiplication des partis politiques, de même qu'une multiplication des candidats indépendants. Mais les nouveaux partis n'ont pas tous les moyens d'être présents dans toutes les circonscriptions, faute de moyens financiers et humains. On remarque aussi la floraison d'une multitude d'associations, culturelles et autres, très significative des rapports de force démocratiques auxquels les Tunisiens aspirent.
Beaucoup des partis qui naissent aujourd'hui seront éphémères, par manque de ressources financières et humaines, mais beaucoup perdureront au travers des alliances et des fronts qui se noueront. Dans l'instant présent, le paysage politique tunisien est construit autour de plusieurs pôles.
Le premier pôle est islamiste. Il est largement représenté par le parti Ennahda (la Renaissance). Très bien organisé, il dispose des moyens financiers nécessaires à être présent dans tout le pays. Il se présente comme un parti modéré. Le discours de ses dirigeants ne fait pas apparaître la volonté d'établir la charia en Tunisie. Il insiste d'ailleurs sur l'exemple que donne en Turquie le Parti pour la Justice et le Développement (AKP). Très réprimé par l'ancien régime, il a été très affaibli par les arrestations, les tortures, les emprisonnements, et par l'exil. Mais il s'est rapidement réorganisé. Son dernier meeting à Bizerte rassemblait plus de 10 000 personnes.
Les partis de gauche et d'extrême-gauche restent très divisés. Ils n'ont pas établi entre eux de front commun, bien que leurs programmes comportent beaucoup de points communs. Un pôle, Démocratie et Modernité, vient de se constituer entre 12 de ces partis. Il se situe au centre gauche, avec le Parti Ettejdid, ancien Parti communiste tunisien. Le PACT, parti ouvrier communiste tunisien, représente l'extrême gauche qui n'a jamais cessé de combattre le despotisme de Ben Ali et des Trabelsi, mais qui semble vouloir faire cavalier seul.
Une grande majorité des partis politiques tunisiens se présentent comme centristes. Leurs programmes se ressemblent, ils ne différent que par leurs leaders politiques et par leurs directions.
Un autre pôle important est constitué par l'Union générale tunisienne du Travail (UGTT). Pour l'instant, elle reste un syndicat qui représente des syndiqués de toutes tendances politiques, grâce à la force de ses réseaux de militants formés à l'action syndicale et à la pratique électorale, et malgré l'apparition d'autres centrales syndicales.
Un autre pôle enfin est constitué par les sympathisants du Rassemblement Constitutionnel démocratique. Si le RCD a disparu, ses sympathisants existent toujours, malgré les réactions allergiques de l'opinion et la méfiance qu'il provoque. Les anciens dirigeants de ce parti vont jouer le rôle d'opposants pendant dix ans au moins, du fait de l'inéligibilité à laquelle les soumettra le projet de code électoral.
Aujourd'hui, nous n'avons plus à craindre un nouveau despotisme, car le pouvoir politique et le pouvoir d'information doivent désormais compter et composer avec une opinion publique consciente des sacrifices du peuple tunisien et de ses martyrs dans la Révolution qui s'est produite. La montée en puissance de la société civile est le principal garde-fou contre un éventuel totalitarisme. L'histoire a souvent montré que les armes sont impuissantes quand souffle le vent de la liberté. Nul ne pouvait percevoir la puissance d'un peuple pourtant déjà inscrite dans un des plus beaux vers d'Alboukacem Echehi.
Il est important de recommander au citoyen tunisien, dans la période électorale qui va s'ouvrir, que la tolérance inspire tous les citoyens dans leurs actes et leurs paroles, et que chacun doit pouvoir s'exprimer librement, qu'aune réunion ne doit être empêchée ou troublée quelque soit les désaccords entre partis.
Dans la période transitoire qui s'ouvre, la communauté tunisienne à l'étranger doit prendre toutes ses responsabilités, s'engager par une mobilisation économique et financière conséquente, et contribuer à reconstruire la Tunisie nouvelle. La diaspora tunisienne peut participer à la construction de la démocratie tunisienne au travers de ses réseaux, c'est un fait indéniable.
La particularité de la Révolution tunisienne réside dans sa capacité à réaliser les acquis démocratiques, tout en donnant du travail à sa jeunesse, en réalisant la justice sociale, et en combattant la dictature et la corruption. On ne peut pas séparer la justice politique et la justice sociale. La démocratie a deux facettes. D'une part, la démocratie politique, avec le droit à s'exprimer et à s'organiser, d'autre part, la démocratie sociale, avec le droit au travail, la sécurité sociale, l'enseignement général et l'égalité complète.


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