Les Editions Elysad viennent de rééditer la première biographie non autorisée de Bourguiba, écrite par Sophie Bessis et Souhayr Belhassen, publiée une première fois par les Editions Jeune Afrique en deux tomes. Le premier, intitulé «À la conquête d'un destin 1901-1957», est paru en 1988, un an après le coup d'Etat de Ben Ali. Le second tome, intitulé «Un si long règne 1957-1989», est mis en librairie en 1989. Alors que la Tunisie postrévolutionnaire est prise d'une étrange Bourguibamania, entretenue par d'anciens responsables du temps de Bourguiba , des journalistes et des intellectuels modernistes, le livre réédité par Elysad , en un seul volume qui réunit les deux premières éditions et qui s'intitule sobrement Bourguiba vient contribuer au débat national sur l'héritage de Bourguiba. Elisabeth Daldoul, l'éditrice du livre, que nous avons rencontrée dans le 18° Maghreb des livres organisé les 11 et 12 février 2012 à Paris, pense que « c'était dommage que cet ouvrage de référence ne soit pas mis à la disposition des plus jeunes et même de leurs parents ». Elle soutient que ce livre épuisé depuis des années « est aussi un ouvrage de référence ». Pour elle, « ce n'est pas une œuvre d'un homme du sérail, ou d'un proche. C'est une biographie qui n'était pas une commande, qui a été rédigée par deux femmes indépendantes par rapport au pouvoir de l'époque. En ce sens, cette biographie a sûrement plus d'objectivité qu' un autre livre et peut compléter les autres biographies qui existent sur Bourguiba. » Le livre ne semble avoir pris aucune ride bien que des faits, des études et des témoignages soient venus plus tard compléter, étoffer, affiner, rectifier certains aspects de la biographie de Bourguiba. Sophie Bessis et Souhayr Belhassen ont su, dès le départ de leur aventure dans la somme considérable que constitue la vie de Bourguiba déceler les points forts de ses réalisations et les défaillances de sa doctrine. C'est un écrit sans complaisance, mais avec une certaine empathie pour la dimension moderniste et réformatrice de Bourguiba, que les deux auteures ont pu relever à chaud. La biographie, dans son premier tome, paraissait un an après la destitution du « Combattant Suprême ». Le choix de rééditer le livre « sans en avoir changé une ligne » s'explique pour Sophie Bessis par le fait que la somme d'informations révélées après la destitution de Bourguiba imposait d'écrire un autre livre. Cependant les deux ans de travail et de préparation pour rédiger la biographie et son résultat ont déterminé le choix de ne rien changer. Cette première biographie indépendante garde une unité d'analyse, un regard lucide qui restitue la dimension contrastée de l'œuvre de Bourguiba, réformiste moderniste et despote. Pour tous ceux qui n'ont pas pu lire cette biographie, notamment les jeunes de la « génération Ben Ali », ceux qui ont participé à la révolution et ceux qui l'ont regardée advenir, c'est un livre à lire pour se replonger dans la constitution de l'Etat moderne qui nous est laissé en héritage. Le « séisme politique » survenu avec la révolution ouvre de nouvelles perspectives que cette biographie de Bourguiba aide à situer dans le devenir historique de l'Etat tunisien et les transformations à l'œuvre dans la société tunisienne d'aujourd'hui.