«La corruption à l'échelle internationale est estimée à environ 1 000 milliards de dollars EU, et le fardeau de la corruption pèse énormément sur le milliard de personnes au bas de l'échelle qui vivent dans une extrême pauvreté», estime Daniel Kaufmann, coauteur du rapport sur «Les problèmes de gouvernance, 2007: Indicateurs de gouvernance dans le monde pour la période 1996-2006», publié le 10 juillet par l'Institut de la Banque Mondiale (BM). La corruption représenterait donc près de 1,7% du PIB mondial, qui s'élève, selon une estimation avancée par Hassen Zargouni, directeur général de Sigma Conseil et président de l'Association des Tunisiens des grandes écoles (ATUGE), à 60 000 milliards de dollars US. Dans une conférence donnée, le 10 juillet, à la Maison de l'Entreprise, à l'initiative de cette association, sur le thème «Croissance économique et bonne gouvernance», l'économiste américain Robert Smolik, a expliqué, pour sa part, que l'argent qui quitte les pays d'Afrique subsaharienne sous forme de commissions et de pots de vin équivaut au montant de la dette globale de cette région. Selon les chiffres du FMI, de la BM et de l'OCDE, cette dette est passée de 60,7 milliards de dollars en 1980 à 218,4 milliards de dollars en 2004. Transparency International estime, pour sa part, à plus de 140 milliards de dollars les sommes qui ont été illégalement et vénalement obtenues de l'Afrique, aux cours des dernières décennies, par les politiciens, commerçants et autres dirigeants, et déposées à l'étranger en espèces, actions et bons, ou investies dans l'immobilier et autres secteurs. Il suffirait donc de limiter la corruption et d'améliorer la gouvernance pour relancer la croissance économique de l'Afrique et améliorer le standing de ses populations. D'autant que, comme l'a aussi expliqué M. Smolik, il existe un lien de causalité entre, d'un côté la démocratie, c'est-à-dire la participation de la population au processus de prise de décision, et de l'autre, la production de richesses, la création d'emplois et l'élévation du niveau de vie des populations. Selon ce même raisonnement, il suffirait aussi que le système de gouvernance soit vicié ou que l'un de ses principes ne soit plus respecté pour que la confiance qui le commande soit rompue, et avec elle le cercle vertueux de l'investissement, de la croissance et du progrès. On sait aussi que, pour fonctionner, le système de la corruption a besoin d'une convergence d'intérêt entre des corrompus et des... corrupteurs. Les corrompus, on les connaît. Ce sont, la plupart du temps, les hauts responsables des pays en développement, souvent protégés par des systèmes politiques hermétiques qui les soustraient au contrôle démocratique et leur assure une totale impunité. Mais qui sont les corrupteurs sinon les dirigeants des multinationales et les hauts cadres des pays développés qui, moyennant commissions et pots de vin versés aux dirigeants des pays en développement, parviennent à détourner les règles de la concurrence à leur profit, se sucrant souvent eux-mêmes au passage. Résultat des courses: le creusement du fossé séparant les pays développés des pays pauvres, les premiers continuant de s'enrichir aux dépens des seconds, et le creusement d'un autre fossé non moins grave entre les dirigeants de ces derniers pays et leurs citoyens. Pour rompre le cercle de la «grande corruption» - qui se distingue de la «petite corruption» gangrenant les administrations à l'intérieur de chaque pays -, les Etats-Unis ont promulgué une première loi, en 1977 qui prévoit des sanctions civiles et pénales à l'encontre des sociétés qui se rendent coupables d'un tel délit et de leurs dirigeants, dont beaucoup ont d'ailleurs écopé de peines de prison. Les Etats-unis n'ont pas tardé, cependant, à se rendre compte que cette politique anti-corruption désavantageait considérablement leurs entreprises au profit de leurs concurrentes japonaises, françaises, canadiennes et autres, qui ont continué à recourir à la corruption active pour remporter les gros marchés à l'étranger. Ils ont donc décidé, à partir de 1982, de porter le débat à l'OCDE et d'œuvrer, au sein de cette instance, pour la mise en place d'une convention mettant à niveau les lois anti-corruption en vigueur dans les différents pays membres. Cette ''Convention Against the Bribery of Foreign Public Officials'' (Convention contre la corruption des hauts fonctionnaires publics) a vu le jour en 1991. Dans la foulée, de nombreuses autres lois internationales ont été promulguées, telles que la ''United Nations Convention against Corruption'', l'''African Union Convention for the Combating of and Prevention of Corruption'', l'''Extractive Industries Transparency Initiative'' et autres instruments visant à accélérer le processus de suivi, de recouvrement et de rapatriement des richesses africaines volées et sorties, mais aussi à assurer l'étanchéité des systèmes de gouvernance et à réclamer la coopération internationale des acteurs non gouvernementaux tels que les corporations et les institutions financières où il y a des soupçons biens fondés d'activités clandestines, et la liquidation et le rapatriement obligatoire des fonds frauduleusement acquis. Mais, malgré ce dispositif dense et complexe, la corruption n'a pas baissé d'intensité. Car les pays signataires des conventions citées, à commencer par les leaders économiques du monde, ont rivalisé d'ingéniosité pour interpréter les textes dans le sens de leurs intérêts ou pour les détourner. Résultat: «En moyenne, la qualité de la gouvernance dans le monde entier ne s'est pas véritablement améliorée au cours de la dernière décennie, en dépit des avancées observée au niveau des pays». C'est ce qu'indique, en tout cas, le dernier rapport de la BM sur la gouvernance, cité plus haut, et qui couvre 212 pays. «La corruption n'est pas un problème que l'on peut maîtriser au bout de quelques années», concède M. Robert Smolik. L'économiste états-unien, qui admet l'existence de formes sophistiquées de corruption dans son propre pays, ajoute cependant que le combat contre cette pratique doit se poursuivre, car celle-ci ne pose pas seulement un problème moral; elle provoque aussi des dysfonctionnements économiques, fausse les règles de la concurrence, décourage les investisseurs et nuit à l'image de marque des entreprises qui y recourent. Il en va de même des pays, dont les comportements économiques sont désormais soumis à l'observation de scrutateurs internationaux, experts des secteurs privé, public et ONG, qui examinent à la loupe leurs indicateurs de gouvernance, à savoir la participation des citoyens à la sélection de leurs gouvernants, la stabilité politique et l'absence de violence, l'efficacité des pouvoirs publics, la qualité de la réglementation et de son application, l'Etat de droit et, bien sûr, la maîtrise de la corruption. Pour évaluer ce dernier indicateur, les experts de la BM mesurent «l'utilisation des pouvoirs publics à des fins d'enrichissement personnel, y compris la grande et petite corruption, ainsi que ''la prise d'otage'' de l'Etat par les élites et les intérêts privés» (pour en savoir plus sur les indicateurs de bonne gouvernance, les lecteurs peuvent consulter ce site web: www.govindicators.org).