Le Temps-Agences - Plus de 42 millions de Turcs vont voter aujourd'hui pour des législatives dont le parti au pouvoir issu de la mouvance islamiste est le grand favori, après la crise qui a opposé le gouvernement et les milieux laïques. "Le résultat des élections sera un test difficile pour notre démocratie", soulignait samedi le quotidien à grand tirage Hürriyet. L'inconnue de ce scrutin anticipé est le score que réalisera le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) et la marge de manoeuvre dont disposera le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. M. Erdogan a d'ores et déjà averti qu'il refuserait de former une coalition, annonçant qu'il prendrait sa retraite politique si l'AKP n'était pas en mesure de gouverner seul, comme il l'a fait depuis son arrivée au pouvoir aux dernières législatives de 2002. Selon les dernières enquêtes d'opinion, l'AKP obtiendrait environ 40 % des voix, voire jusqu'à plus de 47 %, ce qui lui permettrait de rafler au minimum quelque 300 sièges sur les 550 du Parlement, soit plus que la majorité absolue. Une partie de la presse a toutefois mis en garde contre ces sondages très favorables à l'AKP, estimant qu'ils relevaient de la "propagande". Lors du précédent scrutin de 2002, l'AKP avait recueilli 34 % des voix, obtenant 351 députés. Créé sur les cendres d'un parti pro-islamiste en 2001, l'AKP se défend de vouloir islamiser l'Etat mais les milieux laïques restent extrêmement méfiants. C'est d'ailleurs cette question cruciale en Turquie, pays à 99 % musulman, de la laïcité de l'Etat qui a été le détonateur de la crise lorsque l'AKP a tenté d'imposer au Parlement l'élection de son candidat à la présidentielle, le chef de la diplomatie Abdullah Gül, ex-figure de la mouvance islamiste. L'armée, qui a fait tomber quatre gouvernements depuis 1960, a lancé une mise en garde contre toute remise en cause du principe de laïcité. Pour les milieux laïcs (armée, bureaucratie, justice, enseignement supérieur notamment), qui ont massivement manifesté contre l'AKP, le président est considéré comme un "rempart" contre l'islamisation. Bien que doté de pouvoirs limités, il nomme les plus hauts fonctionnaires de l'Etat et dispose du droit de renvoyer une fois au parlement les textes auxquels il s'oppose. Après l'annulation du 1er tour de la présidentielle par la Cour constitutionnelle le 1er mai, M. Erdogan décidait finalement de convoquer des élections, théoriquement prévues en novembre, pour sortir de l'impasse. Le scrutin pourrait cependant ne pas régler la crise. Le nouveau Parlement devra en effet désigner rapidement un nouveau président, le mandat de l'actuel chef de l'Etat Ahmet Necdet Sezer ayant expiré le 16 mai. Le quotidien Milliyet appelait hier à un candidat de "compromis". Quel que soit le score de l'AKP, le Parlement ne devrait plus être le même avec l'arrivée annoncée d'un troisième parti d'opposition, le Parti de l'action nationaliste (MHP), en plus de l'actuel Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), défenseur de la laïcité. Les sondages prédisent aussi l'arrivée de députés "indépendants", en particulier pro-kurdes, qui ont choisi cette étiquette pour échapper au barrage des 10 % de voix au niveau national, nécessaires à un parti pour entrer au Parlement selon un mode de scrutin à la proportionnelle. Quelque 10 millions de Turcs sur environ 42,5 millions d'électeurs ont dû interrompre leurs vacances pour retourner voter, selon les médias. Les premiers bureaux de vote ouvriront à 06H00 HT et les derniers fermeront à 16H00 HT avec de premières estimations attendues à partir de 20H00 HT.