Par Khaled Guezmir - Le 20 mars 2012, l'anniversaire « 56 » de l'indépendance nationale célébré dans la ferveur par la moitié de la Tunisie si l'on se réfère à certains sondages radiophoniques et autres et au-delà de l'ombre de Bourguiba dont il a été l'un des artisans majeurs, nous renvoie à la nostalgie d'une certaine «Tunisie»! Une jeune femme tunisienne brandissant, avec fierté, le drapeau bien rouge et blanc, symbole de la souveraineté nationale depuis le 18ème siècle husseïnite, a redit au micro de la T.V Nationale 1 ce qu'elle avait à dire : « Nous voulons sauvegarder la Tunisie… Celle qui a toujours été… comme elle est ! », j'aurai ajouté « radieuse et belle ni tout à fait orientale et ni tout à fait occidentale » ! D'autres citoyens et citoyennes ont reparlé de Bourguiba le « père de la Nation », l'homme propre malgré les quelques erreurs de fin de parcours. Au fait, pourquoi ce retour à Bourguiba alors que Ben Ali a voulu l'enterrer deux fois en le marginalisant pendant près d'un quart de siècle et que certains nouveaux acteurs politiques veulent le « réenterrer » encore une troisième fois en le classant parmi les « dictateurs » « illégitimes » et « laïc » de surcroît ! Les jeunes générations, d'ailleurs, sont déconnectées du « Bourguibisme » parce qu'elles ne l'ont pas vécu et parce que Bourguiba a été interdit de radio, de télévision et de presse écrite, pendant les 23 de règne du régime totalitaire. Je vois de temps en temps des jeunes jouer au face-book et sur le net pour tirer de l'oubli certaines phrases célèbres du « Zaïm Al Jalil » qu'était Bourguiba. Ils sont surtout très fiers du discours du Palmarium de 1972, quand Bourguiba a remonté les bretelles de Kadhafi, pour le ramener à la raison. Mais, il serait utile de rappeler ce qui a fait la différence entre Bourguiba et certains acteurs potentiels de la classe politique surtout dans la période de transition, un peu comme la nôtre, aujourd'hui. D'abord, il faut souligner que Bourguiba a toujours été un homme de terrain (Al ittisal al Moubacher), le contact direct avec le peuple était sa devise. Ce qui ne l'empêchait pas de lui dire certaines vérités à contre-courant. C'est le courage politique à l'état pur qu'il tire de son intégrité morale et matérielle, de son pragmatisme et de sa politique « des étapes » et qui consistait à ne pas mentir au peuple ou à lui miroiter de fausses promesses et des miracles. Il compensait, d'ailleurs, cela par une grande dose d'optimisme en finissant ses discours par : « Tounès bi khayr » ! (la Tunisie va bien). Autre caractéristique, cet homme est plus un homme d'Etat qu'un chef de parti. Il a presque toujours transcendé les structures du Néo-Destour et plus tard le PSD, en laissant le contrôle de l'appareil au leader, feu Salah Ben Youssef, puis Taïeb El M'hiri et Ahmed Mestiri qui chapeautait les services spéciaux et secrets du Néo-Destour quand Bourguiba et les membres du bureau politique ont été arrêtés en janvier 1952. Homme d'Etat et très peu homme d'appareil, Bourguiba avait un sens aigu de la souveraineté nationale mais aussi de l'ordre. En cela, c'est la synthèse même entre Aristote et Machiavel, qui, tous deux, craignaient la rue et les mouvements de foule, parce que générateurs de passions, de haines et de fanatismes. A cet égard, il faut se rappeler que le symbole de la première République, n'en déplaise à ceux qui la mettent, aujourd'hui, en cause, « liberté-ordre-justice », a été interverti sur ses ordres, pour donner la primauté à l'ordre, en devenant : « Ordre-Liberté-Justice ». Enfin, Bourguiba, en plus de son charisme et de son éloquence de tribun incomparable, était un homme de culture avec une large connaissance de l'histoire de la Tunisie et de la civilisation universelle. C'est pour cela qu'il était de fait le meilleur « diplomate » arabe et musulman de son époque, puisqu'avec lui, la Tunisie n'avait que des « amis », aussi opposés que l'étaient l'Amérique et la Russie, l'Angleterre, la Chine, l'Allemagne et le Vietnam ou encore Cuba et les Corées du Nord et du Sud. Aujourd'hui, ses détracteurs lui reprochent d'avoir été très autoritaire et il l'était d'avoir gardé trop longtemps le pouvoir et de n'avoir pas préparé le pays à l'institutionnalisation et à la démocratie, et c'est encore bien vrai, mais de là à dire que Bourguiba n'avait pas de légitimité électorale et que les élections du 23 octobre dernier ont été les seules « libres, transparentes » et ont donné à la Tunisie, le premier gouvernement et le premier Président légitimes, c'est aller trop vite en besogne et nous risquons les mêmes erreurs du temps de Ben Ali, quand ses « éminences » grises » faisaient croire au peuple tunisien et à ses élites que la Tunisie est née le 7 novembre 1987 ! Allons, donc, soyons plus « modestes » comme l'a rappelé le Premier ministre, Si Hamadi Jebali dans son discours, ce 20 mars, à la Nation et rendons à César ce qui est à César ! La grandeur de la Tunisie, ce sont ses 3000 ans d'Histoire et ceux qui veulent faire partie des années à venir doivent tout simplement le prouver comme l'a fait Bourguiba, même avec ses erreurs. « Wal Kamalou Lillah Soubhanou wa Taâla ! ».