De notre correspondant particulier à Paris Zine Elabidine Hamda - L'affaire Merah de Toulouse n'a pas fini de faire des siennes. Le bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera a reçu par la poste une clé USB contenant l'enregistrement monté des tueries de Montauban et de Toulouse que le meurtrier, Mohamed Merah, avait pu filmer grâce à une caméra sanglée sur lui lors des assassinats. Tollé dans la classe politique française, émotion des familles des victimes, d'autant plus que le tueur s'était proclamé membre d'Al- Qaïda. Depuis que le directeur du bureau d'Al-Jazeera à Paris, le journaliste tunisien Zied Tarrouche, a expliqué sur BFMTV le contenu des images, l'émoi est à son comble. « On voit toutes les attaques perpétrées à Toulouse et à Montauban dans l'ordre chronologique, c'est-à-dire l'assassinat du premier soldat, après les trois soldats et enfin, l'attaque de l'école », a indiqué Zied Tarrouche. « Il y a un mixage de musiques et des chants religieux, des lectures, des récitals de versets coraniques. En montrant les coups de feu au moment des assassinats, on entend la voix de cette personne, les cris des victimes », a-t-il ajouté. Le président français Nicolas Sarkozy monta aussitôt au front, campagne présidentielle oblige, pour demander à la chaîne de ne pas diffuser les images. Il a même téléphoné, à cet effet, à l'Emir du Qatar cheikh Hamad ibn Khalifa al-Thani. Le favori à la présidentielle, le candidat socialiste François Hollande, lui, s'est montré même menaçant à l'égard de la chaîne qatarie concernant la diffusion éventuelle des images: «Cela serait extrêmement grave si elle le faisait et il y aurait tous les moyens de droit à utiliser(…) Pour moi, elle compromettrait sa présence ici comme chaîne d'informations. Non pas que nous puissions l'interdire, mais il y aurait là sérieusement des décisions à prendre, notamment du CSA, mais aussi de l'Etat dans sa relation avec le Qatar», a-t-il souligné. Finalement la chaîne a décidé de surseoir à la diffusion des images et la clé USB a été remise à la justice française. Une lucarne des islamistes ? Les milieux des commentateurs bruissent cependant de questions insidieuses : Pourquoi Merah a-t-il choisi Al-Jazeera, pourquoi pas France 2 ou TF1 ? Pourquoi les terroristes choisissent-ils Al-Jazeera pour envoyer leurs vidéos? Quel rapport entre cette chaîne et Al-Qaïda ? Quel rapport entre le Qatar et Al- Qaïda ? Et certains de rappeler les images d'Oussama Ben Laden revendiquant les attentats du 11 septembre sur cette même chaîne, la diffusion des menaces vidéo d'Al-Qaïda ou les messages des principaux dirigeants terroristes, dont Al Zawahiri et Mollah Omar, ou encore les images des otages français du Niger... Ces questions surgissent au moment même où le Président Sarkozy interdit la venue en France du prédicateur islamiste Youssef al-Qaradhawi, qui officie sur Al-Jazeera, et ce malgré son passeport diplomatique. On lui reprocherait d'avoir appelé les musulmans, sur Al-Jazeera lors de son programme Al Charia Wal Hayat, à finir le travail d'Hitler. Invité par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), dominée par les Frères Musulmans, sa venue était la cible des critiques du Front national du député PS Manuel Valls qui dirige aussi une mairie dans la banlieue parisienne. Les détracteurs de la chaîne en France qui l'accusent de devenir « la lucarne des terroristes islamistes » ou « porte-parole des islamistes », rappellent la formule de Bernard Henri-Lévy, « Ben Laden TV », prononcée après les attentats du 11 septembre 2001. Certains, parmi des opérateurs de télévisions ne voient pas d'un bon œil la razzia qatarie sur le sport français, le rachat des droits de la Ligue1 de football et l'implantation d'Al-Jazeera Sport en France qui vient concurrencer « de façon déloyale », selon leurs dires, les autres opérateurs puisqu'elle ne paie pas d'impôts, bénéficiant d'un accord portant sur les investissements qataris en France. Même si on reconnaît à la chaîne son professionnalisme et le fait qu'elle ait donné à tous les opposants arabes une tribune pour combattre les dictatures arabes, on ne s'empêche pas ici de s'interroger sur ses accointances avec les islamistes de tous bords. Le Qatar et les banlieues Mais c'est Marine Le Pen, présidente du Front National, parti d'extrême droite, qui, la première, dans sa campagne contre l'islam radical, ramène le problème à des dimensions franco-françaises. Rappelant l'implication du Qatar dans le financement de certaines banlieues françaises délaissées, elle a exploité à fond cet événement : «Il y a à refuser les financements de pays étrangers sur notre territoire, et notamment ceux qui sur leur territoire développent l'islamisme le plus radical, comme le Qatar». Elle ne s'arrête pas là : «Il y a à refuser que le Qatar prenne des investissements dans nos entreprises stratégiques [...] à refuser que le Qatar investisse dans nos banlieues.» En effet, depuis le mois de décembre, répondant à une requête de Kamel Hamza, député UMP d'origine maghrébine, le Qatar a décidé d'investir 50 millions d'euros dans les banlieues françaises, officiellement pour venir en aide à des entreprises locales. De suite, certains ont dénoncé les relations « communautaristes » qu'entreprendrait le Qatar avec les populations des banlieues à majorité musulmane. L'ambassade du Qatar à Paris qui gère le dossier freine alors des deux pays en cette période électorale. Il se murmure même que le Qatar craindrait une victoire du socialiste François Hollande aux élections qui risquerait de remettre en question les autres investissements du Qatar en France. Que possède le Qatar en France ? La Qatar Investment Authority (QIA) et ses différentes branches – Qatar Holdings, Qatari Diar – investissent à coups de milliards de dollars dans un grand nombre de pays. En France, le Qatar a des acquisitions dans l'immobilier et l'hôtellerie de luxe. Il possède notamment l'hôtel Raffles à Paris (ex-Royal Monceau) et le Centre de conférences international de l'avenue Kléber à Paris (futur hôtel Peninsula). Il a en outre 22,7% de la Société fermière des casinos de Cannes (casinos, hôtels Majestic et Gray d'Albion). La famille régnante du Qatar possède à titre personnel des propriétés immobilières, dont le célèbre hôtel Lambert sur l'île Saint-Louis. Il possède aussi 5,8% de Vinci, 5% de Veolia Environnement et 1% de Suez Environnement. Coup sur coup, trois opérations d'investissement viennent de mettre le Qatar au devant de la scène. Le 19 mars, l'Autorité des marchés financiers (AMF) en France annonce que le Qatar a augmenté sa participation au capital du groupe de médias Lagardère SCA, dont il détient désormais 12,83 % des parts et 10,05 % des droits de vote, dépassant ainsi Arnaud Lagardère (9,62% du capital). Le fonds d'investissement Qatar Holding LLC pourrait encore augmenter cette participation et envisage d'entrer au conseil de surveillance de la société, selon l'AMF. Cette opération boursière fait suite à une entrée discrètement orchestrée dans le capital du groupe Total à hauteur de 2 milliards de dollars, devenant ainsi le troisième partenaire du groupe. La dernière opération remonte à deux semaines. Le fonds Qatar Holding a investi environ 680 millions d'euros pour acquérir 1,03% du capital du groupe français de luxe LVMH de Bernard Arnault. A l'échelle mondiale, le Qatar est en passe de devenir le premier investisseur avec un patrimoine de l'ordre de 210 milliards de dollars en 2012. Des acquisitions tous azimuts mais savamment orchestrées par deux outils de planification, le Qatar National Vision 2030 et le Qatar National Development Strategy 2011-2016 qui encadrent les acquisitions internationales dans la perspective de ne plus dépendre des hydrocarbures à l'horizon 2030. Harrods, London Stock Exchange, Barclays, Sainsbury, Canary Wharf (Royaume Uni), Volkswagen et Porsche (Allemagne) sont parmi les secteurs privilégiés. L'Emirat, dont la compagnie aérienne Qatar Airways est l'un des plus gros clients d'Airbus, lorgnerait même du côté d'EADS. Il aurait, selon Spiegel exprimé le souhait de prendre une participation de 15% dans le groupe aéronautique en rachetant la part du constructeur allemand Daimler. On comprend alors l'empressement de la chaîne Al-Jazeera de ne pas diffuser les images des assassinats de Montauban et de Toulouse. Cette décision répondrait à une injonction de l'Emir qui ne veut pas polluer les bonnes relations qu'il entretient avec la France ni mettre en danger les investissements du Qatar dans la perspective d'une alternance au sommet de l'Etat français.