Savourer le suc littéraire de deux univers livresques aussi distants culturellement que géographiquement ne pourrait que stimuler l'ouverture sur l'Autre. Seulement, celle-ci n'en est pas une. Car elle devrait s'accomplir dans la mutualité et l'échange. Ceci dit, la littérature maghrébine d'expression française et, en particulier, les œuvres tunisiennes, ont suscité l'intérêt du milieu littéraire japonais au point d'être traduit à la langue japonaise pour permettre au plus large public de lecteurs de connaitre notre littérature. Et par conséquent, les fibres socioculturelles, historiques et religieuses qui l'alimentent. Dans le but de prendre connaissance et de renforcer cette interaction littéraire tuniso-japonaise, une série de conférences s'est tenue au mois de mars à la faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. Organisées par les professeurs universitaires Sonia Fitouri, spécialiste de littérature francophone : maghrébine et autres et la linguiste Nabiha Jrad, ces conférences ont été assurées par la japonaise Etsuko Aoyagi de l'Université de Tsukuba. Mais avant de parler de l'œuvre traduite, il importe de passer en revue les principaux axes de ses interventions. L'histoire du Haïku La littérature japonaise s'articule sur une période qui s'étend sur trois paliers temporels : l'ancien, le médiéval et le moderne tout en étant ouverte au contact culturel chinois, indien et, d'une manière générale, asiatique. Elle a, également, explicité l'histoire de la naissance de la célèbre forme poétique japonaise le haïku en présentant, respectivement, quatre poèmes. Le premier de Buson dont le rythme syllabique est 5-7-5, le second de Rayokon, le troisième de Bashô et le dernier est d'Eugène Guillevic. Se caractérisant tous par la brièveté et la portée sentencieuse teintée d'une coloration anecdotique, sarcastique ou encore pathétique. Bon nombre, d'ailleurs, d'écrivains occidentaux se sont inspirés de cette forme concise pour écrire des poèmes qui tiennent ouvert l'espace d'un dire, d'une part, baignant dans le réel et le songe et, d'autre part, désentravant les frontières entre l'Asie et le Maghreb, le japon et la Tunisie pour se croiser à l'autel du verbe. « Courants invisibles » Ce lien littéraire noué entre les deux pays se concrétise par la traduction du premier roman tunisien ''L'Etage invisible'' de Emna Belhaj Yahia, donnant en langue japonaise cet intitulé ''Minérai Nagaré'' dont le sens équivaut à ‘'Courants invisibles'', précise la traductrice. « J'ai découvert, dans ce roman, tout un monde de personnages et d'événements qui m'ont emportée vers un ailleurs inconnu de la part des Japonais. C'est l'une des raisons qui m'a incitée à le traduire », dit-elle. La lecture de quelques extraits de l'œuvre a fait l'objet d'un débat soulevant , notamment, un rapprochement souligné par la professeur Sonia Fitouri, en tant que comparatiste, portant sur la possibilité de receler des questions communes ahurissant aussi bien les écrivains japonais que maghrébins. Par ailleurs, l'universitaire Etsuko Aoyagi, a mentionné les écrivains maghrébins les plus réputés sur la scène littéraire japonaise tels que les Marocains : Tahar Ben Jalloun, Abdelkabir Khatibi ; les Algériens :Mohamed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Yasmina Khadra, Assia Djabar ; les Tunisiens : Albert Memmi et, récemment, Emna Belhaj Yahia. A la fin de son intervention, la conférencière a indiqué que le Japon est l'un des pays les plus producteurs, annuellement, de livres. «80.000 nouveaux livres par an, plus de 4000 maisons d'édition et 170 titres traduits», confirme-t-elle. En lisant cette statistique, on ne pourrait que se poser la question suivante : Quel est le sort du livre dans le monde arabe et, plus particulièrement, au Maghreb ? Prolifiques, les écrivains maghrébins d'expression française ou arabe continuent à militer par leurs plumes croyant au pouvoir du mot et au rôle du livre dans le processus de l'apprentissage et de l'acculturation. C'est la raison pour laquelle le lectorat maghrébin devrait s'intéresser à la panoplie d'ouvrages qui ressortent de son contexte arabo-musulman, méditerranéen et africain pour pouvoir édifier une passerelle culturelle avec l'Autre sur de bonnes bases. Et cette relance ne se réalisera qu'en connaissant voire maitrisant notre propre héritage littéraire.