De notre correspondant particulier à Paris : Zine Elabidine HAMDA - La 29e Rencontre annuelle des Musulmans de France, organisée par l'UOIF, l'Union des organisations islamiques de France, d'obédience Frères Musulmans, se tient au Parc des Expositions du Bourget du 6 au 9 avril 2012. Cette rencontre est une sorte de foire islamique ouverte aux Musulmans de France. 100.000 visiteurs représentant toutes les associations islamistes de France y sont attendus. Sur 6 000 m², une foire commerciale est installée offrant des services aux futurs pèlerins, des voiles islamiques, des livres religieux, des exemplaires du Coran et même des pâtisseries orientales. Un véritable souk islamique où on peut trouver de tout. De plus, des orateurs se relaient pour débattre et discuter des questions de l'heure sur la scène islamique. D'après l'UOIF, la Rencontre a pour objectif de « rassembler les musulmans de tout bord, dans leur diversité, renforcer la relation entre l'UOIF et les Musulmans de France, approfondir la compréhension de l'Islam pour une pratique éclairée». Cette année, la Rencontre a un goût spécial. Depuis l'affaire Mohamed Merah de Toulouse, le président français Nicolas Sarkozy a été très offensif vis-à-vis des mouvements islamistes. Deux coups de filets anti-islamistes radicaux en une semaine ont permis l'interpellation de plusieurs membres de l'association dissoute Forsane Alizza et la mise ne garde à vue d'autres suspects. Nicolas Sarkozy a, dans la foulée, interdit l'entrée en France à des prédicateurs islamistes invités par l'UOIF. Il a opposé une fin de non recevoir à la visite des prédicateurs cathodiques, le frériste Al Qaradhawi et le salafiste Mahmoud Al Masri (Abou Ammar) .Les autorités françaises ont ensuite refusé un visa à d'autres prédicateurs islamistes invités par l'UOIF. Jugés extrémistes, les prédicateurs Akrima Sabri, Ayed Ben Abdallah al-Qarni, Safwat al-Hijazi et Abdallah Basfar ont été empêchés d'entrer en France alors qu'ils devaient assister, eux aussi, au congrès de l'UOIF. Pour les autorités françaises, leurs propos «représentent un fort risque de troubles à l'ordre public». Dans une lettre, rendue publique, adressée au Tunisien Ahmed Jaballah, président de l'UOIF, le Chef de l'Etat français a rappelé à l'ordre l'organisation : « Je ne tolèrerai pas que puissent s'exprimer au cours d'une manifestation publique organisée sur le sol français les porteurs de messages d'appels à la violence, à la haine, à l'antisémitisme, qui constituent des attaques insupportables contre la dignité humaine et les principes républicains ». Lors de son meeting électoral, lundi à Nancy, le président-candidat a développé un argumentaire détaillé des doléances de l'Etat français : «J'adresse un avertissement très clair qui doit être bien entendu: tous ceux qui tiendront des propos contraires aux valeurs de la République seront instantanément mis dehors du territoire de la République française. Il n'y aura pas d'exception, il n'y aura aucune indulgence (…) Sur le territoire de la République française, on considère que les hommes et les femmes sont à égalité. Quand on va à l'hôpital (…) même médecin pour les hommes et pour les femmes.» Il a ajouté l'exigence d'avoir à la piscine les «mêmes horaires pour les hommes et pour les femmes» et, à l'école, les «mêmes menus pour les enfants de la République laïque». Quel « islam de France » ? La nouvelle attitude du président Sarkozy ne s'explique pas uniquement, en pleine campagne présidentielle, par son côté électoraliste. L'émoi provoqué par le drame meurtrier de Toulouse explique aussi cette attention autour de prédicateurs radicaux qui sévissent depuis des années, et notamment en France. Lors de son accession au ministère de l'Intérieur sous la présidence de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy s'était attelé à monter de toutes pièces le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), représentant des Musulmans de France. Il a pesé de son poids pour y inclure l'UOIF au détriment des Musulmans laïcs et de la masse silencieuse non encadrée de fidèles. La volonté d'avoir un interlocuteur « représentatif » des musulmans a primé sur des considérations d'équilibre. Le résultat fut que le CFCM se transforma en une institution sans véritable ancrage au niveau social. L'UOIF a bénéficié d'une certaine notoriété, puis s'est mis, en quelque sorte, en réserve du CFCM depuis l'accession du marocain Mohammed Moussaoui à sa présidence. Fondée en 1983 par des étudiants musulmans tunisiens et marocains, L'UOIF a été dirigée au départ par des Tunisiens proches du mouvement Ennahdha avant de laisser la direction à la mouvance marocaine. Depuis l'année dernière, c'est le tunisien Ahmed Jaballah qui en est le président. Dans son adresse du 6 avril, ce dernier a déclaré que «les Musulmans se sentent blessés, stigmatisés, comme à chaque campagne électorale». «L'Islam est défavorisé, il est toujours vu à partir d'un prisme plutôt négatif», a-t-il ajouté aux nombreux journalistes venus pour couvrir la rencontre. «Ce qui compte, c'est le respect des lois: l'UOIF est une fédération responsable qui travaille dans le respect de la légalité depuis sa création», a-t-il dit pour conclure. Des considérations géostratégiques L'autre raison du revirement des autorités françaises relève de considérations géostratégiques. Depuis l'avènement de la révolution tunisienne, l'UOIF s'est investie à fond pour soutenir le mouvement Ennahdha durant les élections du 23 octobre. La classe politique française fut choquée de voir le mouvement islamiste tunisien rafler la moitié des sièges pour l'Assemblée Constituante réservés aux Tunisiens en France. Quelques déclarations émanant des nouveaux dirigeants tunisiens, jugées inamicales en haut lieu, ont fini d'assombrir les relations avec la mouvance islamiste. S'ajoute à ce désamour la sourde compétition pour la pacification de la Libye où les efforts de l'OTAN trouvent une résistance sur le terrain que certains à Paris n'hésitent plus à y voir la main de leur allié qatari. Face à une internationale islamiste qui n'hésite plus à jouer au grand jour, les autorités françaises ont finalement décidé de sortir le grand jeu. Pour le président-candidat, c'est une stratégie gagnante. Les derniers sondages, qui le placent en tête au premier tour de la présidentielle, en sont un début de preuve.