Le Club culturel de Radès a organisé lundi 09 avril à la Maison des Jeunes une conférence- débat autour de «Bourguiba au miroir de l'histoire». Y ont participé d'éminentes personnalités connues pour leur passé politique et historique, à savoir Ahmed Mestiri, Mustapha Filali, les deux furent membres du premier conseil constitutionnel et anciens ministres de Bourguiba au lendemain de l'indépendance, ainsi que des universitaires et des historiens comme Khaled Abid et Mohamed Dhifallah. L'ancien ministre Ahmed Ben Salah faisait partie des invités, mais il s'est excusé à la dernière minute. Le débat était dirigé par le Professeur émérite Abdeljalil Témimi, fondateur et directeur de la FTERSI (Fondation Témimi pour la Recherche Scientifique et l'Information). Les intervenants ont souligné le rôle joué par le leader Habib Bourguiba au sein du mouvement national ainsi que son apport à la Tunisie indépendante, en indiquant des réalités inconnues pour les nouvelles générations, sans pour autant omettre certaines erreurs commises par le « Combattant suprême » dans son parcours politique. Pr. Témimi prit le premier la parole, en tant que président du débat, pour présenter les deux anciens ministres de Bourguiba en tant que témoins et acteurs dans la première République, ayant côtoyé le leader Bourguiba durant plusieurs années, avant et après l'indépendance. Evoquant le thème du débat, il souligna l'importance de Bourguiba dans l'histoire contemporaine, cette personnalité qui reste et restera gravée dans la mémoire de tous les Tunisiens. « Personne ne peut nier le rôle historique joué par Bourguiba, ni ses positions politiques qu'il a prises et qu'aucun chef d'état arabe n'a osé prendre, a-t-il fait remarquer, c'était un homme d'Etat exceptionnel ! » Par ailleurs, il a appelé les historiens à dévoiler toute la vérité et rien que la vérité !
Bourguiba était un homme pragmatique
La parole a été ensuite donnée à M. Ahmed Mestiri qui a fait remarquer que les historiens, ayant vécu à l'époque de Bourguiba et quelles que soient leur fidélité et leur neutralité, ne sauraient être objectifs dans l'écriture de l'histoire, il y a toujours une part de subjectivité dans leurs analyses et leurs interprétations des événements. Pour ce qui est de l'histoire de Bourguiba, Ahmed Mestiri a souligné la nécessité d'en parler en bloc et avec objectivité : « il faut voir tout le film, a-t-il affirmé, pour en avoir une idée claire et globale, il ne suffit pas de prendre une ou deux séquences du film pour porter un jugement final sur tout le film. C'est pareil pour Bourguiba ; pour parler de cet homme politique, il faut l'avoir suivi dans tout son parcours, du début jusqu'à la fin, et ne pas insister seulement sur ses défauts ou ses échecs. Car, en fin d'analyse, Bourguiba n'est qu'un homme et tout homme est sujet à l'erreur. D'autant plus que Bourguiba a toujours avoué ses fautes ! » il a par ailleurs indiqué que Bourguiba n'avait pas de doctrine ou d'idéologie bien précise, c'était plutôt un homme pragmatique ; il a toujours envisagé des positions pratiques exigées par les circonstances, que ce soit pendant la lutte contre le colonisateur ou après l'indépendance, en politique intérieure comme en politique extérieure. Il a cité les moments forts et de faiblesse du règne de Bourguiba qui fut victime des manigances de ses proches et courtisans. « Aujourd'hui, a-t-il conclu, on doit parler de Bourguiba avec objectivité et sans parti pris : c'est un homme politique qui a fait des prouesses politiques, mais aussi des erreurs comme tout homme politique ailleurs ! Pris dans son contexte historique, Bourguiba avait plus de qualités que des défauts : le bilan du règne de Bourguiba est plutôt positif.»
Bourguiba était un homme de principes
M. Mustapha Filali a d'abord passé en revue les difficultés et les obstacles auxquels la Tunisie a fait face durant les années de lutte contre l'occupant et au lendemain de l'indépendance qui étaient d'ordre social, économique et politique. Il a mis en exergue le rôle primordial joué par le leader Habib Bourguiba dans le rassemblement du peuple contre la colonisation d'abord et pour l'édification de la première république après l'indépendance. « Cette volonté du changement, a-t-il déclaré, était fondée sur la philosophie bourguibienne qui consistait en un projet sociétal global portant des principes politiques bien déterminés, dont le plus important était l'union nationale… » Il a souligné que toute nation a ses propres principes spécifiques et que ceux de la Tunisie de Bourguiba reposaient sur trois concepts fondamentaux, à savoir, la langue, la religion et l'histoire. Ce sont là les trois concepts qui ont uni les Tunisiens des siècles durant, sans qu'il n'y ait aucun incident. Il a rappelé les débats houleux qui ont marqué les réunions de la Constituante de 1956 à propos de l'article 1 où certaines tendances représentées à l'époque par Chadli Ennaiefer, voulaient insérer le texte « La Tunisie est un Etat libre, indépendant, arabe et islamique », chose qui a suscité une opposition de la part de la tendance modérée présidée par Behi Ladgham. M. Filali a précisé que ce litige a été tranché par Bourguiba, qui avait proposé la formule suivante « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain : sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la république » Cet article, a-t-il conclu, a duré plus de cinquante années et fait l'objet actuellement d'un consensus au sein de la Constituante issue de la Révolution. Prenant la parole, M. Khaled Abid a mis l'accent sur le conflit politique qui a opposé Bourguiba à Ben Youssef. Chose aberrante, a-t-il fait remarquer, que ce conflit donne lieu à discussion ces derniers mois en Tunisie, quand bien même ce sujet serait exclusivement l'apanage des historiens qui sont en mesure d'étudier les archives et les témoignages pour éclaircir les choses au peuple. Il a ensuite énuméré les qualités des deux leaders (Bourguiba et Ben Youssef) et les différents rôles que chacun a joués lors du mouvement national, quoiqu'ils aient des idées différentes quant aux objectifs assignés. Il a exprimé ses appréhensions qu'une cette question qui refait surface ces jours-ci, dégénère en conflit susceptible de partager les Tunisiens, comme au lendemain de l'indépendance quand une guerre civile a failli se déclencher dans le pays. « Ce n'est pas le moment propice pour soulever un passé aussi blessant pour la mémoire collective, a-t-il conclu, il faut plutôt se consacrer aux choses les plus urgentes exigées par cette période transitoire! » Quant à M. Mohamed Dhifallah. Il a souligné la place qu'occupe Bourguiba dans les cœurs des Tunisiens, qu'ils soient des adeptes de sa politique ou des opposants, c'est qu'il est un symbole national aussi bien dans la lutte anticoloniale que dans l'édification de la Tunisie moderne. « Bourguiba fut l'un des premiers leaders à qui a été attribué le titre de Combattant Suprême, eu égard à son rôle de premier plan qu'il a joué dans la lutte contre l'occupant. » Il a enfin souligné la politique de Bourguiba qui est basée sur deux principes fondamentaux : la politique des étapes et le contact direct.