Quatre blessés : deux journalistes et deux policiers Le Procureur de la République demande un délai de 48 heures pour déloger les protestataires Des affrontements sanglants ont opposé, hier, des employés de la télévision nationale à des manifestants proches du parti islamiste Ennahda, qui campent depuis bientôt deux mois devant le siège de la chaîne pour réclamer son assainissement. Dès le matin, les nerfs étaient à vif dans les deux camps. Les tensions sont consécutives aux altercations qui s'étaient produits la veille. Attroupés près de plusieurs tentes dressées devant la siège de la chaîne publique, une quarantaine de campeurs arborant pour la plupart des barbes fournies pour les hommes et des voiles islamiques pour les femmes, ces protestataires accusent les journalistes d'Al-Wataniya (la chaîne nationale) de chercher à saboter l'action gouvernementale, voire de comploter pour renverser l'exécutif, dominé par le mouvement islamiste Ennahdha. «Média de la honte», «Nous payons nos impôts pour assurer vos salaires, respectez la volonté du peuple ou dégagez !», criaient les manifestants en brandissant une énorme pancarte où on pouvait lire « Canal 7, une chaîne de télévision à vendre ». Les protestataires qui se relayent depuis le 2 mars pour camper devant le siège de l'établissement reprennent ainsi des menaces exprimés par les dirigeants du mouvement islamiste Ennhadha. Lors d'un entretien accordé mi-avril à un quotidien, le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi avait évoqué la possibilité de « prendre des mesures radicales dans le domaine de l'information dont, éventuellement, la privatisation des médias publics». Le chef du comité constitutif d'Ennahda, Ameur Laârayedh, avait aussi évoqué une telle perspective. «Nous voulons épurer la chaine des journalistes corrompus qui ne cessent de semer la zizanie dans le pays. Al-Wataniya sert de porte-voix aux partis de gauche et ne respecte pas la volonté du peuple», déplore le porte-parole des manifestants, Faouzi Garaït, qui parle au nom de la Ligue nationale de défense de la révolution même s'il reprend dans ses déclarations presque mot-à-mot des propos prononcés tout récemment par des dirigeants d'Ennahdha ! Scènes de guérilla urbaine… En face des manifestants, des journalistes et employés de la chaîne se sont attroupés dans la rue pour crier leur colère et leur amertume face à un sit-in qui a largement détérioré leurs conditions de travail. Certains d'entre eux se sont déclarés prêts à évacuer eux-mêmes les protestataires, repliés derrière un cordon de policiers, tout près des véhicules de la police qui bloquaient l'entrée de la place. « Nous avons entendu que ministère public a décidé de lever le sit-in suite aux altercations qui ont eu lieu hier et aux tentatives de certains protestataires de forcer l'entrée de l'établissement, mais les policiers présents en grand nombre dès le matin n'ont rien entrepris. S'ils garderont longtemps cette attitude, nous serons obligés de défendre notre chaîne», peste une journaliste, qui accuse « le parti islamiste Ennahdha de vouloir mettre l'information en coupe réglée». Vers le coup de midi, les employés de la télévision nationale sont passés à l'acte, arrachant les tentes dressées par les protestataires et éventrant leurs matelas. Très peu de temps après, les mêmes employés ont réussi à casser partiellement le cordon formé par les policiers pour séparer les deux camps et à arracher la plus grande tente dressée sur place par les barbus. C'est à ce moment-là qu'un échange de jet de pierres a eu lieu. A 15h encore, les violentes échauffourées et les jets de projectiles se poursuivaient encore dans une ambiance de véritable guérilla urbaine. Bilan: quatre blessés, en l'occurrence deux policiers, un cameraman et un journaliste. Les deux policiers ont été blessés à la tête par des pierres en essayant de s'interposer lors d'altercations intermittentes entre les deux camps. Leurs collègues ont indiqué qu'ils attendaient le feu vert du procureur de la République pour lever le sit-in. Arrivé sur les lieux en fin d'après-midi, le procureur de la République a demandé un délai de 48 heures pour déloger les protestataires. Les employés de Wataniya ont, quant à eux, reçu l'appui d'une quarantaine d'ONG, qui ont dénoncé des « agressions systématiques contre le droit à l'information» et accusé le gouvernement de « laxisme complice». Le mouvement Ennahdha a, quant à lui, nié tout lien avec les protestataires. «Les accusations selon lesquelles Ennahdha pousse ces protestataires sont infondées. Notre parti cherche à restaurer le prestige de l'Etat et il n'est pas dans son intérêt de pousser les gens à protester contre la télévision nationale», a affirmé, hier, Noureddine Arbaoui, membre du Bureau exécutif du mouvement islamiste.