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Et que fait-on de la tunisianité?
Question de l'Heure : Tant de spéculations autour de l'identité
Publié dans Le Temps le 08 - 05 - 2012

Par Zine Elabidine Hamda - La Tunisie a vécu récemment deux commémorations mouvementées, celles de l'indépendance du 20 mars 1956 et celle des martyrs du 9 avril 1938. La commémoration du 1er mai l'a été heureusement sur une tonalité différente. Les agressions contre les journalistes de la télévision nationale, contre les artistes et les militants de la société civile par des hordes de barbus, durant ces dernières semaines, s'ajoutent à une liste d'autres actions qui se situent hors du cadre du droit et qui sont restées impunies.
La violence qui s'abattit sur les représentants des partis politiques démocratiques, de la société civile, des syndicats, des militants des droits de l'homme et des journalistes, sur des hommes et des femmes de bonne volonté, fut l'œuvre des forces de l'ordre sous l'autorité du 3e homme d'Ennahdha, M. Ali Larayedh, ministre de l'intérieur.
Au-delà des considérations conjoncturelles, que les uns et les autres, des deux bords, parmi les agresseurs et les agressés, peuvent invoquer pour justifier le recours à la violence ou le condamner, ce qui s'est passé notamment sur l'avenue Habib Bourguiba de Tunis a une signification hautement politique qui transcende les calculs politiciens et les ressentiments personnels.
Nous sommes là devant trois symboles qui fondent notre « tunisianité », ce qui fait que le Tunisien d'aujourd'hui est tunisien, qu'il n'est ni Libyen ni Français ni Algérien ni Saoudien ni Italien ni Qatari. Le martyre des Tunisiens de 1938, quelques citoyens, encore vivants peut-être, l'ont connu. La joie de l'indépendance acquise il ya 56 ans, une minorité d'un peuple jeune peut en témoigner. Mais tous, nous avons ces deux dates en partage. C'est un legs historique que nous recevons de nos aînés morts pour la patrie et de ceux qui l'ont libérée du joug de la colonisation pour que nous puissions vivre libres sur la terre de nos ancêtres. Le troisième symbole, c'est le lieu par excellence de la Révolution de la liberté et de la dignité qui porte le nom du premier président de la République, Habib Bourguiba.
Martyre, indépendance, révolution, trois lieux de mémoire qui fondent notre destinée de peuple et qui ne doivent être ni banalisés ni bafoués. Ceux qui leur opposent la shahda, la oumma et l'identité (al houwiya) se trompent de combat, si ce n'est de pays. Car ces trois socles qui fondent une large part de notre tunisianité s'inscrivent dans le processus historique de libération nationale. La Tunisie, notre patrie, a été forgée dans le sang et les souffrances de ses peuples successifs qui se sont transmis le culte de ce bout de terre dont le nom est porté par le continent.
Projet antinational
L'appel au califat, à l'imposition du niqab, la fermeture des lieux du savoir universel, les agressions contre les femmes, les journalistes, les syndicalistes, les artistes, la substitution du drapeau noir du wahhabisme au drapeau rouge national, bientôt l'appel au jihad contre les mécréants, ne sont, en définitive, que les péripéties d'un projet antinational qui se propose de brader notre identité tunisienne au bénéfice de symboles et d'intérêts culturels, politiques et financiers venus d'ailleurs, d'imposer une « finance islamique » à la place du système financier international, de substituer le « bédouinisme » à la République.
Il y a là, consciente ou inconsciente, une volonté de remodeler un pays récalcitrant, de domestiquer des consciences libres, de leur imposer des référents mémoriels qui ne sont pas les leurs. Par la violence s'il le faut. Les retrouvailles entre l'UGTT et l'UTICA, deux organisations nationales qui ont participé activement au devenir de l'Etat moderne, est un signal d'éveil qui devrait inciter tous les Tunisiens à préserver leur indépendance nationale contre toutes les tentations de l'ailleurs.
Une chose est certaine. Les projets antinationaux, importés ont toujours fait long feu sur cette terre de Tunisie durant toute son histoire. Les différents peuples qui se sont succédé sur cette terre, depuis les Numides, ont vu arriver des envahisseurs qui ont apporté avec eux leur culture, leurs croyances, leurs armes. Tous ont été défaits par l'Histoire. Carthage la phénicienne fut la première détruite et défaite dans une liste de civilisations et de cultures qui prirent pied sur cette terre. Partout dans le monde, les impérialismes (carthaginois, romain, byzantin, islamique, britannique, français, etc.) ont été battus et ils disparurent dans la vague d'émancipation des peuples du monde entier.
Malheureusement, l'école de la République nous a enseigné cette histoire, celle de Carthage et de Khair-Eddine, l'histoire officielle en somme, toujours du point de vue des puissants, des conquérants, jamais du point de vue des peuples, des opprimés, des colonisés, des conquis, des libérés. Chaque souverain, chaque chef, chaque leader qui prend le pouvoir réécrit l'histoire à sa convenance. Aujourd'hui encore, la tentation existe de réécrire le récit national du point de vue du conquérant. Les discours sur le califat et l'identité s'inscrivent dans l'histoire des conquêtes. L'islam politique – qui n'arrive pas encore à se désengager de son panislamisme jihadiste – rêve de reproduire une conquête qui a déjà eu lieu sur cette terre et dont on connaît le résultat. Elle a mené le pays au retard historique et à la colonisation française.
Obnubilés par l'identité arabo-musulmane
Cette même école, obnubilée par « la sauvegarde de l'identité arabo-musulmane », nous a enseigné les gestes d'Oqba, de Khair-Eddine, des Beys Mouradites et Husseinites qui gouvernèrent le pays. Sans accorder une importance à l'histoire. Devons-nous savoir – et prendre en considération la vérité historique dans notre compréhension de notre propre histoire – que le chef militaire Oqba Ibnou Nafaa est un Arabe, membre de la tribu Quraich (de l'actuelle Arabie saoudite) ? Qu'il n'est né ni à Kairouan, ni à Kasserine ? Que Khair-Eddine Pacha – que certains historiens officiels appellent « le Tunisien » (ettounsi) – n'est autre qu'un ancien esclave circassien offert au Bey de Tunis par le Sultan ? Qu'une fois sa mission terminée, il rentra en Turquie où il devint Premier ministre de l'Empire ? Les apôtres du salaf savent-ils que Mourad Ier, le fondateur de la dynastie mouradite n'est autre que Jacques Senti, esclave Corse, qui se maria à une jeune Corse pour enfanter Hammouda Pacha, constructeur de la fameuse mosquée de Tunis, qui lui-même épousa une odalisque, mère de ses enfants qui prendront le pouvoir après lui ? Savent-ils encore que le fondateur de la dynastie Husseinite est le fils d'un janissaire Grec, qui épousera lui aussi une jeune Corse, mère de Rachid Bey ? Les nouveaux apôtres de l'islam savent-ils que la plupart des souverains « islamiques » et de leurs ministres étaient des « étrangers » à la terre de Tunisie ?
L'histoire racontée dans les livres est riche d'épisodes de combats, de tueries, de pogroms que les historiens domestiqués maquillent en « ouvertures » (foutouhat), en entrée dans la lumière. Il est temps de réécrire notre récit national, de rétablir le sens historique de notre mémoire qui fonde la conscience nationale. Qu'on se le dise, sans fioriture et en toute honnêteté, les conquêtes arabes, entreprises au nom de l'islam, n'ont été que des conquêtes. Comme toutes les conquêtes, violentes, injustes et tragiques. Même asservie, la Tunisie a pu conquérir une centralité, faire de sa faiblesse une force.
Kairouan et Mahdia furent consacrées capitales du monde sunnite et du monde chiite. Chassée vers la périphérie, la nation tunisienne a su reconquérir le centre de l'histoire. C'est une partie du génie du peuple – des peuples ! - tunisien. Le premier discours du Professeur Hichem Jaiet, lors de son accession à la présidence de Beit Al Hikma, appelant à la refondation de la mémoire tunisienne, est de bon augure.
Le génie tunisien a courbé l'échine mais n'a jamais rompu. Il n'a accepté des envahisseurs que les valeurs sûres. Des envahisseurs guerriers, il a rejeté la violence de Hannibal et des Beni Hilal. Il a, au contraire, fait de Carthage le centre de la culture par excellence : musique, cinéma, danse et théâtre. Des Romains, des Arabes et des Français, il a gardé la langue, des Italiens les macaronis et la ricotta, des Andalous la cuisine et la chéchia.
La violence, la leur, il l'a jetée à la mer. De tous les éléments culturels porteurs qui leur sont arrivés d'ailleurs, les peuples de Tunisie ont fait des œuvres de culture et de savoir à Kairouan, à Tunis, à Mahdia, à Nefta. Les ruines des anciennes civilisations sont des monuments culturels sauvegardés, adoptés et montrés aux peuples visiteurs comme un patrimoine de l'humanité.
Tares toujours aggravées
Si l'islam a pu perdurer sur cette terre, c'est par sa forme modérée et réformiste qu'il a pu et su conquérir les âmes. N'oublions pas que la Tunisie a été la première nation, dans le monde islamique, à abolir l'esclavage en 1848 et la première à instaurer l'égalité entre les hommes et les femmes en 1956, sans contredire le message coranique. Ceux qui, aujourd'hui, choisissent « l'islam bédouin » se trompent d'époque. Il serait opportun qu'ils se mettent au diapason de l'ère nouvelle qui s'ouvre, qu'ils privilégient la cohésion sociale au recours à la violence, qu'ils n'oublient pas que la révolution imposée par le peuple aux dictateurs s'imposera à tous nos futurs gouvernants par le recours à la liberté et l'attachement à la dignité.
Les historiens nous apprennent que durant toute son histoire, les peuples qui habitèrent le territoire tunisien se sont toujours révoltés contre les envahisseurs. Certains livres d'histoire, portant sur le moyen âge, parlent même des « révolutions tunisiennes » à cette époque-là. L'histoire récente du pays, marquée par trois-quarts de siècle de colonisation française, déboucha sur la volonté du peuple d'écrire sa propre histoire. Une nation est née dans la lutte pour l'indépendance. Elle s'est constituée en Etat moderne dans les frontières actuelles. L'Empire islamique étant mort depuis les années 1920, l'indépendance de 1956 vint libérer le territoire, donner un espace à une nation en devenir. La conscience nationale s'est forgée dans la lutte pour l'émancipation. Ni le panarabisme ni l'impérialisme n'ont pu changer la pérennité de l'Etat-nation. Le panislamisme du sieur Qaradhawi n'y changera rien. C'est un esprit, respectable en soi, mais d'un autre âge.
Malgré les efforts et les mesures prises par Bourguiba et ses compagnons pour garantir l'égalité entre les hommes et les femmes, l'accès au savoir et à la sécurité, le progrès pour le plus grand nombre, la gouvernance du pays a souffert de son absolutisme. Le règne de Ben Ali n'a fait que reproduire le même système inégalitaire en en aggravant les tares (autoritarisme, culte de la personnalité, népotisme, corruption). Cependant, une révolution est passée par là. Un certain 14 janvier. Une révolution pacifique, moderne, dont le but premier et ultime est d'émanciper les hommes et les femmes et de parachever l'œuvre de libération nationale - qui a libéré le territoire national-, interrompue par les deux régimes autocratiques de Bourguiba et de Ben Ali.
Les Tunisiens sont aujourd'hui des citoyens émancipés. Ils vivent dans une république. Ils se sont choisis une destinée d'hommes et de femmes libres. Aucun pouvoir politique, qu'il s'exerce au nom des hommes ou au nom de Dieu, ne peut plus les domestiquer, les asservir, les martyriser. Il peut, tout au plus, les violenter, les humilier. C'est ce que certains sont tentés de faire à présent. Ils resteront cependant libres et émancipés. Libérés par la révolution ; émancipés des mesquineries, des veuleries, des bassesses, des turpitudes du refoulement et des frustrations, de la volonté de puissance et des affres de l'ignorance.
Longtemps mis à l'écart de la société tunisienne, emprisonnés, persécutés, exilés, martyrisés, des enfants de ce pays, en accédant aux charges de l'Etat, découvrent une société qui leur échappe, un peuple libre qui regarde vers l'avenir alors qu'ils glorifient encore un passé islamique qui ne leur appartient pas.
Ils commencent à connaître un peuple libre et rebelle qui veut bâtir une destinée dans le progrès et la créativité, qui veut participer à la marche de l'humanité alors qu'ils se plaisent dans la répétition de modèles surannés, importés, déclassés par l'Histoire. Libre à eux de se morfondre dans le passé. Ils ont, comme tout le reste de la population, acquis cette liberté. C'est le sens même de la liberté conquise par la révolution – à laquelle ils n'ont pas participé – qui est donnée à tous, sans distinction, et qui fonde désormais, et avant toute considération, notre tunisianité.
Cependant, il est du devoir du gouvernant de respecter la liberté du gouverné. Et c'est en respectant cette liberté qu'il fonde la sienne. Le gouverné d'aujourd'hui n'est plus un sujet de sa majesté. L'indépendance de 1956 l'a libéré de l'hégémonie et de l'impérialisme. La République de 1957 l'a transformé en citoyen. La Révolution vient de lui octroyer le statut d'individualité libre. Il est temps que tous les élus de la nation rédigent le nouveau contrat social qui doit régir les règles du « vivre ensemble » conformément aux valeurs de la révolution qui permettront au peuple de jouir de sa liberté, de préserver sa dignité et de travailler au bonheur de tous. Il y va de la spécificité de notre tunisianité et du devenir de notre nation libre.
Z.A.H


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