Yeux cernés, jambes usées, corps défaits, les badgés puisent dans leurs réserves pour survivre aux derniers jours d'une session sans amour, ni Glamour. On potasse les dossiers de presse pour boucler les derniers papiers qui tardent à se dessiner. A J-2 de la fin des hostilités, la dernière fournée a quelque peu déçu. Croenenberg, très attendu avec son adaptation d'un roman de Don De Lillo « Cosmopolis » a accouché d'un pensum insipide sur la dématérialisation du grand méchant Capital et la déshumanisation des boursicoteurs. Littéral, très premier degré, « Cosmopolis » suit l'espace d'une journée, un golden boy milliardaire, pris d'une soudaine envie de se faire couper les cheveux. Pour cela, il emprunte sa limousine géante pour traverser un New-york embouteillé par la visite du Président des Etats-Unis. Ce road-movie en limousine est entrecoupé de rencontres au cours desquelles, le jeune Golden boy fait étalage de son dégoût pour l'humanité, de sa folie dépensière et d'une libido débridée. So what ? Un film prêchi-prêcha, assommant d'artificialité et de formules à l'emporte-pièce.
Le cas de Sergei Loznitsa, grand documentariste biélorusse, reconverti dans la fiction est plus intéressant. Son premier long-métrage de fiction « My joy » avait retenu l'attention en 2010. « Dans la brume » programmé en compétition officielle s'est avéré en deçà des attentes. Cette réflexion sur le destin, la culpabilité, l'héroïsme et la trahison, à travers l'itinéraire de deux résistants biélorusses contre l'occupant allemand et d'un collabo qu'ils ont pour mission d'exécuter, est travaillée de bout en bout par une temporalité lente. Organisée en plans séquences qui privilégient l'inaction et la contemplation, « Dans la brume » interpelle par sa mise en scène, mais pêche par sa facture très classique de son canevas. Sobre et sans chichis, le film de Looznitsa pêche peut être, par excès d'humilité. A l'opposé de Loznitsa, Carlos Reygardes, le très sulfureux cinéaste mexicain de « Japon » et « Bataille dans le ciel » revient à Cannes avec « Post-tenebras Lux ». Hanté, abscons, fascinant, répugnant, difficile après une seule vision de ce film de disserter sur cette proposition de cinéma où s'entrelacent, récit biblique et méditation très contemporaine sur l'animalité tapie aux tréfonds de l'humanité. Copieusement sifflé par les bienpensants défenseurs des chiens ( joyeusement exécutés dans le film) et des humains, « Post-tenebras Lux » , interpelle ne serait-ce que par sa part d'obscurité fascinante.
La Doxa n'a d'yeux que pour « Amour » de Haneke ou « Holy motors » (allégrement descendus sur ses colonnes, pas pour les mêmes raisons) les plus cités dans les pronostics de la presse spécialisée. Une Palme clinique ou une palme Cahiers, notre cœur penche pour le sérieux outsider Mungiu dont le très beau film « Au-delà des collines » est probablement la seule vraie proposition sur l'amour dans toutes ses déclinaisons et ses paradoxes.
Entretemps, la vie suit son cours sur la Croisette, les défilés de Bimbos au teint hâlé par un bronzage aux uv redoublent de violence et d'intensité. Plus d'autre choix que celui de troquer les ténèbres des salles contre le spectacle vivant des belles au bois dormant.