• «Le combat pour la liberté de la presse ne peut être mené par le seul syndicat», selon Néjiba Hamrouni • «Si on musèle l'information, c'en est fini de la Démocratie», affirme Abdessattar Ben Moussa • «L'ANC doit jouer son rôle de contrôle» Les journalistes sont toujours sujets à des exactions mêlées de violence qui ne peuvent passer sous silence. Durant les deux dernières semaines les agressions contre la chaîne de télévision Elhiwar Ettounsi se succèdent à une cadence telle qu'on ne peut les imputer sur le compte du hasard, ni les qualifier d'actes isolées et innocents. Telle est la principale conclusion étayée par Tahar Ben Hassine Directeur général de la chaîne dans une conférence de presse tenue hier au siège du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) en présence de Me Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH), Sami Tahri, membre du bureau exécutif de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT)... Tahar Ben Hassine se contentera d'énumérer la chronologie des faits. Le 24 mai l'équipe de la chaîne a subi une agression physique et verbale de la part de commerçants « salafistes » lorsque le feu a été mis dans un des marchés de Tunis. Une journaliste étrangère de France 24 fut agressée. Le lendemain vendredi 25 mai, des correspondants de la chaîne ont été à leur tour attaqués dans le sud ouest tunisien, à Nafta, alors qu'ils couvraient un rassemblement de contestation. L'agression a été perpétrée par des éléments proclamant leur soutien au Gouvernement. Le 26 mai après des mises en garde, le local de la chaîne à La Manouba subira un assaut en forme de saccage. Des appareils de tournage ont été détruits et volés durant la nuit du 26 au 27 mai. Les investigations sont en cours pour déterminer l'identité des agresseurs. Jeudi 31 mai, les correspondants de la chaîne ont été agressés à Jebeniana. Des appareils de tournage ont été détruits par des sympathisants du Gouvernement qui tenaient une contre manifestation pour s'opposer à celle organisée par des citoyens qui protestaient contre la nomination du nouveau délégué. Samedi 2 juin, l'équipe de la chaîne au Gouvernorat de Sidi Bouzid a été investie sauvagement. Les caméras ont été détruites à l'intérieur de la salle qui abritait un meeting ministériel. L'agression a été perpétrée devant la délégation ministérielle par des délinquants connus dans la région par leurs agressions répétées contre les auteurs de manifestations anti-gouvernementales. Ces agressions sont- elles des actes isolés ? Tahar Ben Hassine tout en dénonçant ces attaques promet que «la chaîne n'arrêtera pas de travailler». En tant que citoyen tunisien, Tahar Ben Hassine pense que « ces actes sont l'expression délibérée d'un plan échafaudé pour terroriser les gens et s'approprier l'espace public». Chaque fois où la société civile manifeste, des milices s'y opposent. Il y a toute une politique dirigée pour mettre la main sur les structures de l'Etat. Le pouvoir essaye de mettre les médias sous sa coupe. Il utilise la violence pour intimider les journalistes et les pousser à pratiquer l'autocensure. « Si leur plan réussit, les prochaines élections seront semblables à celles organisées sous le président déchu, Ben Ali». Néjiba Hamrouni, présidente du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) réitère le soutien du syndicat à tous les journalistes agressés. Elle rappelle que trois plaintes en justice avaient été intentées contre le ministre de l'Intérieur Ali Laârayedh. «Le combat pour la liberté de la presse ne peut être mené par le seul syndicat. Des coordinations avec la société civile sont nécessaires. Nous avons attendu longtemps, parce que nous sommes dans une période de transition. Nous enregistrons chaque jour des réclamations faites par des journalistes agressés. Concernant les agressions contre la chaîne Elhiwar, nous ne voulons pas les imputer à une partie ou une autre. Nous sommes solidaires avec tous les journalistes. L'information est une affaire publique. Les actions en justice intentées par le Syndicat tardent à donner leur verdict. La lenteur encourage les agresseurs à récidiver. Il faut réussir à organiser des actions de défense pour que le journaliste ne paie pas les frais des luttes politiques. Rien ne pourrait justifier les agressions ». Elle précise que les comités dits de défense de la révolution ont un plan arrêté pour agresser les journalistes. De quelle légitimité se prévalent-ils ?, s'interroge-t-elle. Ils veulent influencer les prochaines élections. Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH), a exprimé la solidarité de la Ligue avec les journalistes. « Nous considérons que la liberté d'expression est la plus importante des libertés. Elle est à la base de la Démocratie et de la Justice. Si on arrive à museler l'information, s'en est fini pour la Démocratie », dit-il. Une équipe d'avocats a été constituée pour prendre la défense des journalistes agressés. Un séminaire sera organisé sur la liberté d'expression, en collaboration avec l'UGTT, le SNJT et l'Instance Nationale de Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC). Abdessattar Ben Moussa déplore le retour de l'information gouvernementale. Il appelle à un grand mouvement de solidarité pour protéger la liberté d'expression. Samy Tahri, membre du bureau exécutif de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), affirme que les tentatives de porter un coup à la chaîne Elhiwar, ne sont pas le fruit du hasard. C'est une pratique qui ne s'arrêtera pas tant que les journalistes et la société civile ne s'y opposent pas fermement. Les agressions ne concernent pas uniquement les journalistes d'Elhiwar. L'objectif est d'installer un sentiment de peur pour assurer le retour de l'information gouvernementale et de l'autocensure. Le sit-in de 53 jours devant les locaux de télévision commence à porter ses fruits, par le changement des équipes. En devenant gouvernementale et non publique, la télévision avec le parti au pouvoir, reproduisent le système absolutiste dans le pays. L'UGTT, le SNJT, la LTDH, et les différentes composantes de la société civile vont agir de concert pour défendre l'indépendance de l'information. Samy Tahri, rappelle que « la société civile est suffisamment immunisée pour empêcher le retour de l'absolutisme. L'UGTT a toujours défendu le secteur de l'information pierre angulaire de la transition démocratique ». Lotfi Azzouz Directeur exécutif de la section de Tunis d'Amesty International , a exprimé ses craintes pour la liberté de presse en Tunisie. « Elle est en danger au nom du sacré et à cause de certaines pratiques violentes. Le pouvoir exécutif doit assumer ses responsabilités dans la protection des personnes. Le pouvoir judiciaire doit être ferme et juste. Il est laxiste envers les agresseurs. L'Assemblée Nationale Constituante (ANC) doit assumer ses responsabilités de contrôle du pouvoir exécutif ». La mobilisation semble de plus en plus grande pour défendre la liberté d'expression dans le pays. Il y va de la réussite de la transition démocratique.