Yuhdaru damuhu ! (Le sang d'Untel est déclaré licite !) ... Si la Tunisie neuve, démocratique, mature, gouvernée par des institutions librement choisies est dans l'horizon de toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens, il ne suffit pas, pas du tout, d'écarter l'orateur dénommé Houcine Labidi, autoproclamé " imam " dans la mosquée la plus prestigieuse de la Capitale. La législation, celle que nos élus à l'Assemblée Nationale Constituante préparent, devra souligner qu'instruire et juger ne peut être qu'un acte confié au seul corps judiciaire à l'exclusion de toute autre instance.
Nul excès, nulle rhétorique, nulle passion dans cette position que je formule avec toute la sérénité du citoyen paisiblement patriote et lucidement républicain. Nulle envie de voir la justice brandir son glaive pour punir, mais plutôt pour prévenir et dissuader la barbarie et la mort, avant que le démon de l'inquisition n'étende sur nos ciels azuréens ou étoilés ses couvercles de nuits opaques.
Ecoutez plutôt, et voyez si j'exagère en prenant ce ton alarmé et solennel : L'homme, cet imam qui vient heureusement de perdre son minbar, son illégitime tribune supposée rassembleuse plus que toute autre, ce Monsieur donc, perçoit un incident dans la Cité, comme tout un chacun, fait son instruction tout seul, tout seul consulte son texte de lois, en fait tout seul lecture et interprétation juridique, tout seul prononce l'irrémédiable sentence, et seul enfin confie l'exécution à la foule de ceux qui lui ont donné leur Bon Dieu sans confession. C'est bien le cas de le dire, puisque, ils le croient si bien qu'ils lui confient leur prière et leur âme !
Le jugement terrifiant est sans appel. Mais qui ferait donc appel quand c'est Dieu qui décrète ? Car c'est bien ainsi que Labidi a parlé. "Mais non, a-t-il crié, ce n'est pas moi qui le dit, c'est Dieu ! L'artiste d'Al-Abdelyya est impie, tout impie est damné, et tout damné mérite que son sang soit rendu licite !... "CQFD (Ce Qu'il Fallait Démontrer). Il ne reste plus au fidèle le plus pieux, le plus pressé d'avoir son blanc seing pour le paradis que de se faire bourreau au service de Monsieur le Juge !
J'aimerais rester persuadé que le philosophe du Mouvement En-Nahdha, Monsieur Rached Ghannouchi, ne soit pas du tout de cet avis. Qu'il le dise surtout haut et fort du sommet de toutes les tribunes, sacrées ou profanes. Qu'il dise surtout que, et l'instruction et l'interprétation de la loi, même religieuse dans ce cas, et que le verdict enfin, sont erronés et que ces propos ne sont là que pour faire le nid d'une guerre civile. Interprétant hâtivement et à tort sa référence, l'imam passe allègrement de l'impie au damné et décide que celui-ci mérite la mort. Mais alors, comment donc M. Labidi nous expliquerait-il que le plus damné de tous les damnés (mal'ûn), Satan en l'occurrence, a eu de Dieu une « clémence » que monsieur lui-même a refusé à l'artiste. L'émir des démons, Ibliss, n'a-t-il pas sollicité et obtenu du Créateur un sursis jusqu'à la fin du monde ? Et puis l'impie lui-même n'est-il pas à l'abri de la peine capitale en vertu de ce verset magnifique : « Ne combattez sur la Voie de Dieu que ceux qui vous combattent et n'agressez point, Dieu n'aime pas les agresseurs » ?
A quand un institut ou une institution pour former les imams dans un pays dont les religieux deviennent oublieux ou incompétents, un pays qui a pourtant dépêché tant d'oulémas partout dans le monde et qui n'ont jamais condamné à mort un artiste.