La Justice est jugée par plusieurs observateurs et membres de la composante civile comme l'homme malade, mais qui est loin d'être à l'article de la mort. C'est la raison pour laquelle ces mêmes observateurs, dont notamment ceux qui appartiennent à la famille des magistrats, sont les mieux placés pour émettre des diagnostics et proposer les remèdes susceptibles de remettre sur pied, ce secteur sensible qui représente le troisième pouvoir d'après la conception de Montesquieu selon lequel « il faut que le pouvoir arrête le pouvoir » afin d'éviter l'abus vers lequel est porté naturellement toute personne.
Ainsi le pouvoir judiciaire est tenu de contrôler l'application de la loi, à l'occasion des litiges qu'il est appelé à trancher.
Le magistrat est seul maître de sa décision et il ne doit de ce fait subir aucune influence ni aucun ascendant. Cette faculté de juger de manière impartiale ne peut exister sans une réelle indépendance de la magistrature.
Celle-ci a souffert durant l'ancien régime par l'ascendant de l'exécutif sur le secteur de la magistrature, qui a fait que la plupart des décisions judiciaires étaient entachées d'irrégularités n'étant pas pour la plupart le fruit de la seule application de la loi par le juge et du seul fait de son intime conviction.
Le problème de l'indépendance de la magistrature est remis sur le tapis après la Révolution, avec plus d'acuité et il ne cesse de susciter les controverses les plus diverses au sujet, notamment depuis cette idée, de la création d'une instance provisoire de la magistrature avancée par les composantes de la société civile, dont l'Association et le syndicat des magistrats tunisiens. Cette Instance censée remplacer le Conseil Supérieur de la Magistrature devait être créée par un décret-loi, et adoptée par la Constituante. Ce qui n'a pas été encore fait, malgré l'enthousiasme du ministère de tutelle ainsi que le ministère des droits de l'Homme, dont le rôle est de promouvoir la justice transitionnelle par tous les moyens.
Conseil supérieur de la magistrature agonisant, mais toujours vivant
En attendant, les décisions concernant la situation administrative des juges en général, ont continué à émaner du même Conseil supérieur de la Magistrature.
Ce qui a suscité des réserves voire des critiques notamment de la part de l'Association et du Syndicat des magistrats tunisiens, qui sont même allés jusqu'à décider le sit-in au palais de Justice, au cours de la semaine dernière, afin de contester la légitimité de cet organe, que le ministère de tutelle utilise pour exercer son propre ascendant sur la magistrature.
Ces organisations ont entre autres, dénoncé que le mouvement des juges, nommés par décision dudit conseil, sont la preuve tangible de la volonté voire de l'obstination du ministère de tutelle, à maintenir coûte que coûte son ascendant sur le secteur de la magistrature.
La présidente de l'association des magistrats tunisiens, a affirmé à l'un des médias que le Conseil Supérieur de la Magistrature a été déclaré illégal par un arrêt du tribunal administratif.
Sur ce point le ministère de la Justice a fait paraître une mise au point, selon un communiqué en date du 6 octobre dernier dans lequel il déclare que l'arrêt en question en date du 3 février 2011, ne s'est nullement prononcé sur la légalité du conseil en question, mais concernait l'annulation de l'élection de certains membres parmi ce conseil, relative aux années 2007 à 2009.
Selon le communiqué, il y a eu non seulement une mauvaise interprétation de l'arrêt mais une présentation erronée, de l'un de ses paragraphes, signe d'une intention malveillante et pouvant amener à des poursuites pour faux à l'encontre de son auteur.
Les juges devant le fait accompli ?
Selon l'Observatoire Tunisien de l'Indépendance de la Magistrature c'est une « légalisation de décisions illégitimes en vue de les imposer de facto ».
Illégitimes car elles sont prises selon le même processus qui était pratiqué pendant l'ancien régime. Or c'est ce processus qui a longtemps nui à l'indépendance de la magistrature.
C'est cette hantise qui a incité entre autres l'observatoire pour l'indépendance de la Magistrature à avoir une telle réaction. Et c'est également tout à fait légitime.
Cependant, afin d'arrêter toute polémique et tergiversation et d'essayer d'aller de l'avant, l'idéal est que toutes les composantes de la société civile puisse se concerter avec le ministère de tutelle ainsi que le ministère de la Justice transitionnelle, pour inciter à l'adoption d'une Instance provisoire de la Magistrature qui prendra le relais de ce conseil agonisant même s'il est encore légal.
Car la légalité est la garantie de l'Etat de droit, et selon cette théorie redéfinie par le juriste autrichien Hans Kelsen, elle implique un strict respect de la séparation des pouvoirs, et en l'occurrence, seule l'indépendance de la Justice à l'égard de ces pouvoirs (exécutif et législatif) est en mesure de garantir son impartialité, dans l'application des normes de droit.