Beaucoup de gens ont oublié qu'avant d'être, aujourd'hui, la cible des activistes religieux d'inspiration wahhabite fondamentaliste, en Tunisie, au Mali, en Afghanistan et autres pays arabes et islamiques, les mausolées maraboutiques et le maraboutisme en général avaient subi, il y a plus de cinquante ans, des attaques en règle de la part des leaders nationalistes arabes et islamiques laïcs et modernistes de l'époque héroïque des mouvements de libération nationale, des années 1950, et plus particulièrement les leaders Habib Bourguiba en Tunisie et Jamal Abdennasser en Egypte. Ils avaient été précédés dans cette tache , depuis les années 1920, par le dirigeant turc Ataturk, initiateur de la laïcisation de la Turquie.
En Tunisie, au lendemain de l'indépendance nationale, en 1956, le nouveau gouvernement national dirigé par Bourguiba, avait ordonné la démolition de plusieurs mausolées maraboutiques et l'interdiction des processions maraboutiques. Le leader égyptien Jamal Abdennasser avait fait de même en Egypte, pratiquement en même temps.
De nos jours, et par un étrange concours de circonstances, des mouvements islamistes, nés et prospérant dans le giron de mouvements révolutionnaires et nationalistes, spécialement dans les pays évoqués, montrent le même acharnement contre le phénomène maraboutique, et pratiquement au nom des mêmes slogans que ceux brandis par les leaders nationalistes laïcs de l'époque de l'indépendance , en l'occurrence la lutte contre l'ignorance.
Mêmes slogans
Les bâtisseurs » nationalistes laïcs, à l'instar de Bourguiba et Abdennasser avaient livré la bataille contre le phénomène maraboutique au nom de la libération des esprits de l'ignorance et de la superstition, comme condition préliminaire à l'adhésion à la modernité. Tous les penseurs réformistes de la renaissance arabe au 19ème siècle en Tunisie et en Egypte, quoique se réclamant de l'Islam, avaient combattu le maraboutisme populaire ou le culte des saints en tant qu'entrave majeure au progrès et à l'accession à la civilisation et à la science modernes.
Or, les activistes religieux d'inspiration wahhabite fondamentaliste, de nos jours, communément appelés salafistes, guidés par leur maitre à penser , Mohamed Ben Abdelwahhab et autres prédécesseurs plus anciens, estiment que le maraboutisme et le culte des saints sous toutes ses formes relèvent de l'ignorance et de la superstition, et constituent un acte d'impiété et un recul par rapport à l'enseignement islamique authentique, car le culte des saints est assimilé par eux au paganisme.
Aussi, le motif invoqué, aujourd'hui, chez la communauté internationale, pour défendre les mausolées maraboutiques et autres édifices religieux est qu'ils sont des monuments archéologiques et historiques qui méritent d'être sauvegardés et préservés en tant que témoins de l'action humaine à travers les âges. Ces mausolées maraboutiques sont des composantes du patrimoine archéologique et historique au même titre que les pyramides d'Egypte ou les ruines de Carthage. C'est ce que les deux parties, les laïcs modernistes et les islamistes fondamentalistes, sautant chacune à sa manière pardessus son temps, n'ont pas réalisé.
Cependant, un spécialiste a tenu à mettre en garde contre une certaine sacralisation du patrimoine archéologique et historique, disant qu'il ne voit pas une grande différence entre les ruées des touristes vers les sites archéologiques et les ruées des fidèles vers les sanctuaires religieux.