Noureddine Arbaoui est l'auteur du livre sorti dernièrement ‘'La fin du Bourguibisme. Lecture de la Révolution tunisienne''. Titre pour le moins provocateur qui présage d'un changement dans notre manière de traiter avec des faits de l'Histoire qui font notre mémoire collective. Va-t-on, aujourd'hui, relire l'histoire ou la réécrire ? C'est l'objet même de cette rencontre avec le responsable nahdhaoui actuellement, membre du bureau exécutif du parti de Rached Gahnnouchi et vice-président du bureau politique. -Le Temps : Le titre de votre livre ‘' La fin du Bourguibisme. Lecture de la Révolution tunisienne'' insinue le fait que la Révolution a finalement été provoquée pour en finir avec le Bourguibisme. Qu'en pensez-vous ? -Noureddine Arbaoui : Ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire. Quand on parle d'un Etat qui échoue, on parle notamment d'un échec économique, et pour le cas de la Tunisie on évoque la question de la marginalisation des régions de l'intérieur du pays. 1986 était l'année de la catastrophe économique tunisienne. Les choses ne se sont pas améliorées depuis. La Révolution tunisienne a été déclenchée pour en finir avec l'injustice sociale et les atteintes aux libertés que notre pays a connues depuis l'indépendance. Personne ne peut nier aujourd'hui que la politique de marginalisation des régions de l'intérieur a commencé au lendemain de l'indépendance et cela a continué et n'a fait qu'empirer. Le fossé entre les régions concernant notamment le développement s'est encore plus creusé. Ne me dites pas que Bourguiba n'a pas, par ailleurs, anéantis ses adversaires politiques tels que les yousséfites et qu'il n'a pas mis en sourdine plusieurs visages de proue du combat tunisien contre le colonialisme, comme Abdellaziz Thâalbi ou Moheddine Klibi et j'en passe...Il a en ce sens falsifié l'Histoire en confisquant les symboles du patriotisme qui étaient essentiellement islamiques et panarabes. C'est l'élite sadiki et zeintounienne qui a constitué l'essence de l'histoire du combat national. Il a installé un véritable culte de la personnalité. N'oublions pas sa fameuse déclaration où il disait « avoir fait d'une poussière d'individus, d'un magma de tribus, de sous tribus, tous courbés sous le joug de la résignation et du fatalisme...un peuple de citoyens. » Comment expliquez-vous le fait que des islamistes soient au pouvoir alors qu'ils n'ont jamais existé sur la scène politique ? On peut parler d'un choc stratégique qui a propulsé les islamistes au devant de la scène politique car on a toujours sous-estimé leur présence sur l'échiquier politique. Pendant les élections la formation politique la plus structurée et la plus organisée était celle des islamistes. Et si je parle d'Ennahdha c'est parce qu'il s'agit d'un parti bien enraciné dans l'histoire tunisienne depuis les années 80. Je suis fier que nous soyons un parti qui s'inspire de la religion et de l'esprit des traditions tout en étant partisan de la démocratie. Nous faisons l'exception, car nous partageons le pouvoir avec des partenaires politiques qui se qualifient de laïcs. Ne croyez-vous pas que c'est un écrit précipité. Deux ans c'est très peu sur l'échelle de l'Histoire pour parler des évènements du 14 janvier et les considérer comme étant une Révolution. Que répondez-vous à ceux qui considèrent le ‘'Printemps arabe'' comme étant une application d'un plan diabolique du grand Proche-Orient, tel que dicté par les Néo-démocrates américains... ? L'avènement de la Révolution n'est que le cumul d'un mouvement de rébellion de plusieurs décennies. L'immolation par le feu de Bouazizi quelle qu'en soit la cause était l'étincelle qui a allumé cette Révolution. On parle de Révolution car le phénomène a pris une tournure politique. Les gens qui lançaient des slogans contre l'injustice sociale, ont par la suite scandé des slogans politiques. C'est cette conscience politique qui a accompagné ce soulèvement qui nous permet de parler de Révolution. Par ailleurs, nier ce qualitatif à changement formidable qui s'est opéré dans notre vie de Tunisiens n'est autre qu'une ingratitude envers les martyrs qui ont donné de leurs sangs pour la liberté et la dignité. Maintenant si vous me dites que deux ans c'est très peu sur l'échelle de l'Histoire, je peux vous répondre qu'il s'agit là d'un recensement des évènements qu'a connus notre pays pendant la période allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2012. Car on a beaucoup lu des écrits sur cette période qui jusque-là, à mon sens, sont des commentaires plutôt qu'un récit chronologique des faits. Ce document peut servir d'un document pour relire ce pan de notre vécu de Tunisiens que même des politiques ne connaissent pas dans les détails. Comment peut-on écrire notre histoire pour éviter toute partialité Pour écrire l'Histoire il faut en connaître les faits. C'est ce que j'ai essayé de faire dans cet écrit en rassemblant des données sur la chronologie de la Révolution tunisienne. Il y a ceux qui prétendent maintenant que les partis politiques n'ont pas participé à la Révolution. Mais c'est archi-faux. Car la vraie opposition tunisienne ne pouvait pas s'exprimer dans des meetings. Les partisans de ces partis dont les islamistes et les communistes combattaient dans des structures syndicalistes, l'ordre des avocats ou des organisations des droits de l'Homme, etc.