Un temps pluvieux avec des éclaircies, une foule compacte et unie dans son refus de la violence. Le Djellaz n'aura jamais connu une telle affluence en ce 8 Février à jamais gravé dans les mémoires. Chokri Belaid, lâchement assassiné aura fédéré autour de sa mort militants progressistes, politiciens et surtout une immense frange de la population tunisoise que l'on pensait retournée à sa passivité et à son indolence. Au-delà de l'hommage unanime rendu au martyr de la Nation, ce sursaut citoyen se voulait aussi l'expression d'un ras-le-bol généralisé contre la violence et ses commanditaires. La spontanéité avec laquelle les Tunisiens se sont associés aux funérailles nationales de Chokri Belaid montre à quel point la communion populaire permet d'exorciser la peur. Peur de voir la cérémonie se transformer en tragédie, peur du chaos de voir dégénérer une situation devenue incontrôlée, peur de l'inconnu tout simplement qui a fait se tapir une minorité dans son foyer. Disons-le sans détour ; se retrouver au Djellaz avant-hier, ne relève pas d'un acte héroïque, des centaines de Tunisiens ont en effet offert leur vie à cette terre, des dizaines de milliers de présents étaient déjà là le quatorze Janvier et ont pris part à plusieurs manifestations s'exposant à la répression d'un appareil d'Etat dont la mue républicaine est restée au stade de slogans. Plus, la Tunisie n'est pas réductible à Tunis, le peuple s'est soulevé ailleurs, pour réclamer sa part de soleil à un pouvoir qui jusque-là n'a fait qu'approfondir les inégalités et généraliser le népotisme. Revenons à cette majorité « silencieuse » qui s'est exprimée et pas uniquement à Tunis. Sa très forte présence dans la rue sans aucune consigne politique est la preuve que la conscience citoyenne relève d'une réalité même si elle se manifeste encore par intermittence. La légitimité acquise par le vote n'est pas assimilable à un blanc-seing donné aux « Vainqueurs ». Cette légitimité devient illégitime à partir du moment où il s'avère qu'elle sert de couverture à un projet de société passéiste qui fait fi du mouvement de l'Histoire et des constantes de la géographie. Quand à la violence symbolique du pouvoir, vient se greffer la violence physique exercée par des milices parallèles, nous atteignons un point de non-retour qui fait se lever les plus « planqués » de nos concitoyens. Hors-champ, à contre-sens de l'histoire et dans un geste pathétique, quelques centaines d'afficionados du régime ont manifesté devant l'assemblée nationale pour exprimer leur soutien au gouvernement « Légitime ».A quelques kilomètres du Bardo, du côté de Montplaisir, le lexique djihadiste se substitue au lexique démocratique. Une petite poignée de militants est chauffée à blanc par un « sage » appelant au Djihad contre la contre-révolution. Sur les réseaux sociaux, les pages salafistes pour qui la science moderne relève d'une incroyance s'appuient sur Google-earth pour nous prouver qu'au Djellaz avant-hier, il y avait soixante mille personnes à tout casser. Des pages islamistes vont jusqu'à remettre en question la réalité de la mort de Chokri Belaid. Derniers soubresauts d'un pouvoir agonisant ? Gardons-nous de tout triomphalisme, la lutte ne fait que commencer, elle risque d'être longue et doit nécessairement se faire sur le plan politique si on ne veut pas qu'elle dégénère en un chaos irrécupérable. La vigilance est de rigueur, aux politiques d'assumer leurs responsabilités. La société civile a prouvé qu'elle avait du répondant. Paix à ton âme camarade Chokri.