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Marie-Christine Vergiat, députée européenne (Front de gauche)
l'invitée du dimanche
Publié dans Le Temps le 31 - 03 - 2013

Les gouvernements européens et les institutions financières internationales savent très bien que derrière Ennahdha il y a des politiques économiques qui les arrangent
Notre rubrique de cette semaine prend les couleurs du Forum Social Mondial et emprunte l'allure de l'altermondialisation, puisque notre invité est l'une des participantes à cette rencontre planétaire anti-Davos de la société civile mondiale luttant contre la politique injuste du néolibéralisme et pour une distribution équitable des richesses dans le monde, pour une démocratie économique et politique.
Les organisateurs de ce Forum y croient dur comme fer et sont persuadés qu'un autre monde meilleur que celui que nous offre le capitalisme sauvage reste une alternative très possible. Notre invitée de dimanche est militante associative et femme politique française, une ex PS qui a rejoint le Front de gauche, exactement comme l'a fait Jean-Luc Mélenchon, le leader de ce front. Elle partage non seulement le parcours avec ce militant coriace, mais aussi son franc-parler et son audace à évoquer des questions que d'autres négligent ou essayent de contourner. Les préoccupations du FSM étaient au cœur de la discussion que nous avons eue avec elle, nous avons parlé des difficultés des pays du Sud et des moyens à les dépasser face aux politiques qu'essayent de leur imposer les pays du Nord dont ceux de l'Union européenne contre laquelle elle n'épargne pas ses invectives.
Le Temps : qu'est-ce que vous pensez de la dette tunisienne ?
-Madame Vergiat : d'abord, je fais tout, à l'initiative d'un appel des parlementaires européens, avec mes amis du ( Centre de ressources sur le commerce équitable ), pour demander un audit de la dette tunisienne et notamment pour en sortir ce qu'on appelle la dette odieuse qui a profité au clan Ben Ali/Trabelsi. Je suis très sévère par rapport à l'attitude de l'Union européenne depuis la Révolution tunisienne, j'ai envie de dire qu'elle n'a rien compris à ce qui se passait, ni aux enjeux qu'il y avait là derrière. L'UE a soutenu l'ancien régime jusqu'au bout et j'en étais témoin y compris au Parlement européen, puisqu'on a eu toutes les peines du monde à y organiser un débat et il a fallu attendre le mois de février pour que ce débat ait enfin lieu.
Y a-t-il une autre issue pour la Tunisie autre que la dette pour se renflouer les caisses, d'après vous ?
-Après la révolution tunisienne qui s'est propagée dans d'autres pays arabes, il y a eu une conférence des donateurs qui s'est traduite par l'endettement supplémentaire, car on n'a rien donné ni au gouvernement, ni au peuple tunisiens, mais on a fait des prêts moyennant quoi la dette s'est encore accrue. Par ailleurs, la dette tunisienne est très élevée, mais quand on regarde l'endettement des Etats européens, on constate que, proportionnellement à son PIB, la Tunisie n'est pas si endettée que cela. Donc, c'est un faux problème, il faut, d'abord rendre au peuple tunisien la dette odieuse et les avoirs gelés dans soixante pays notamment en France, étant donné qu'elle est l'une des principales créancières de la Tunisie et aussi l'une des principales détentrices de ces avoirs gelés. Comme vous le voyez, on pourrait résoudre autrement les problèmes économique et social de la Tunisie, il y a des moyens de le faire si les institutions internationales y compris l'UE plutôt que de vouloir transposer leur politique austère cherchent réellement à aider et à soutenir la démocratie tunisienne.
Etes-vous pour la conversion des dettes tunisiennes en des projets ?
-Je trouve que ce n'est pas la solution idéale, mais c'est mieux que de réclamer la dette, parce que la convertir en nouveaux investissements c'est déjà éviter de l'augmenter. C'est d'une certaine façon en supprimer une partie, puisqu'on la transforme les prêts en des investissements actuels. Et si la France qui a, aujourd'hui, un gouvernement dit de gauche pouvait suivre l'exemple de l'Allemagne comme elle le suit dans d'autres politiques, là, elle serait bien inspirée, car la dette qu'elle détient à l'égard de la Tunisie est dix fois supérieure que celle détenue par l'Allemagne. Donc, ce serait une bouffée d'air pour les Tunisiens que de convertir cette dette.
Le statut de partenaire privilégié que l'UE va octroyer à la Tunisie est-il vraiment un privilège?
-C'est un statut pour imposer des politiques libérales et c'est le même que celui sous le régime de Ben Ali. Dans le partenariat proposé aujourd'hui à la Tunisie rien n'a changé, c'est exactement le même texte qui était sur la table au moment de Ben Ali qui est, aujourd'hui, offert au gouvernement actuel de la Troïka. Pour les questions économiques et sociales, strictement rien de changé, les questions étaient en cours bien avant le 14 Janvier à l'époque où on parlait encore du soi-disant « miracle tunisien ». Je fais partie des rares parlementaires européens qui ont dénoncé les négociations avec le gouvernement Ben Ali pour ce partenariat privilégié, et voilà qu'on remet sur la table la même chose. Vraiment, je ne trouve pas les mots pour décrire cette hypocrisie et ce cynisme que je vois mener par les institutions européennes. Ce statut de partenaire privilégié constitue la transposition des politiques qui font tant de mal aux peuples européens qu'au peuple tunisien : on demande toujours plus de libération pour les services et l'agriculture. Ce qui veut dire que l'UE continue à protéger ses soi-disant grandes entreprises européennes qui, en réalité, n'ont d'européen que le siège social, parce que ce sont de grandes multinationales qui font tout, en Europe, pour ne pas payer d'impôts, ce qu'on appelle l'optimisation fiscale. Donc, il ne faut pas opposer le peuple tunisien et les peuples, puisqu'ils sont dans la même galère, ils subissent les mêmes politiques, ils sont victimes des mêmes exigences des institutions financières reliées par l'UE et les autres institutions européennes. Il s'agit des réformes structurelles.
Ce sont les mêmes réformes qu'exige le FMI du gouvernement tunisien ?
-Absolument, dans la demande faite par le FMI à la Troïka, il y a les mêmes exigences : le démantèlement du code du travail, c'est-à-dire le démantèlement de la protection sociale, ce qui revient à dire, spécifiquement ici en Tunisie, suppression de la caisse de compensation qui a provoqué les émeutes du pain en 1984. Aujourd'hui, le FMI redemande la même chose, tout cela est simplement odieux.
-Mais ces entreprises européennes qui s'installent en Tunisie sont convoitées par les autorités tunisiennes qui prétendent qu'elles participent à la résolution du problème socio-économique du pays et accusent les grévistes et les sitinners de les pousser à partir vers d'autres cieux.
-Tout d'abord, s'il y a des manifestations populaires, c'est parce que la Révolution tunisienne a été provoquée par la crise économique et sociale. Donc, le peuple tunisien attend des réponses à cette crise que la Tunisie vivait il y a deux ans et vit encore, puisqu'une réponse n'a été apportée à toutes ces revendications. Et quand on voit que dans les accords avec les grandes institutions internationales il y a démantèlement du code du travail, on comprend très bien ce que ces entreprises européennes viennent chercher en Tunisie. Elles viennent chercher de la main d'ouvre à bon marché, ce qui n'est une solution ni pour les populations européennes, ni pour la population tunisienne, elles évitent de produire en Europe en raison du coût de production élevé et où elles suppriment des postes d'emploi et ne payent pas plus les employés du pays où elles s'installent, ce qui n'apporte rien en terme de stabilité au peuple tunisien, vu qu'elle ne viennent pas pour offrir de bons salaires mais pour réaliser des intérêts particuliers. Ces entreprises s'installent en Tunisie juste pour exploiter une main d'œuvre à bon marché, et tout ce qu'elles fabriquent repart immédiatement vers l'Europe, cela ne profite pas au peuple tunisien. A ce propos, la libéralisation de l'agriculture est un bel exemple, elle permet à l'industrie agroalimentaire européenne de venir produire les produits dont ont besoin les Européens et détruire l'agriculture tunisienne traditionnelle, ce qui est aberrant. Ces stratégies des grandes multinationales de l'agroalimentaire obligent, ainsi, les pays dont l'agriculture locale est ravagée à recourir à l'importation des produits agricoles dont ils ont besoin. Ce sont des solutions complètement folles en terme économique et eu égard à l'intérêt des populations.
Comment jugez-vous la manière des Européens de traiter avec le partenaire tunisien ?
-La façon dont les négociations se conduisent est, vraiment, scandaleuse, elle consiste à faire progresser la dette tunisienne, alors qu'il existe d'autres façons de travailler ensemble pour de réelles solidarités entre les deux rives de la méditerranée. Moi, ce qui m'affole c'est ce qu'on appelle la politique européenne de voisinage qui concerne l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen dans son volet méridional et qui a été augmentée d'1 milliard pour les seize pays, ce qui fait en moyenne 50 à 60 millions par pays, alors que la conférence des donateurs promettait des milliards. Si les pays de l'UE avaient, véritablement, envie de soutenir la Révolution tunisienne, les aspirations démocratiques et de répondre aux exigences économiques et sociales du peuple tunisien, ils devraient aider plus massivement les pays de la Révolution arabe qu'ils ne le font aujourd'hui où on assiste à la transposition des solutions qui ont fait leur preuve d'inefficacité en Europe et qu'on veut faire avaler à la Tunisie. Ce n'est pas ce qu'a demandé et ce que demande encore le peuple tunisien en mettant dehors Ben Ali. Pour moi, c'est surréaliste quelque part, on fait de grands discours sur le soutien à la démocratie et aux droits de l'homme dans les pays du printemps arabe et en même temps on soutient la principale la Troïka, et en particulier sa principale composante Ennahdha, parce qu'on sait que les autres qui sont déjà des satellites sont, en prime, en perte de vitesse. C'est, vraiment, incompréhensible. L'UE est en train de rater un moment historique en poursuivant les mêmes aberrations politiques que par le passé sans rien avoir compris à ce qui se passait dans ces pays notamment en Tunisie et sans rien comprendre aux aspirations du peuple tunisien.
Comment expliquez-vous que les pays occidentaux et les institutions financières accordent des crédits à un pays où la majorité Constituante refuse d'insérer le référentiel des droits universels de l'homme dans la constitution ?
-Je pense que les gouvernements européens ou les institutions financières internationales savent très bien que derrière Ennahdha il y a les politiques économiques qui les arrangent parce que j'aurais tendance à dire qu'elle est un parti conservateur musulman qui s'entend bien avec les partis conservateurs en Europe y compris les partis conservateurs chrétiens. J'aime mieux cela que de dire que c'est un parti islamique, parce que vous savez qu'en Europe on instrumentalise beaucoup trop cette question et que cela provoque de la haine et la montée de la xénophobie et l'islamophobie et une incompréhension totale de chaque côté de la méditerranée. Personnellement, je me bats pour qu'il y ait une meilleure compréhension des peuples de chaque côté des deux rives, parce que, vraiment, on a des intérêts en commun dont certains sont bien compris de part et d'autre. Je pense qu'il y a urgence à ce que de nouvelles élections soient organisées, que la constitution soit votée dans de bonnes conditions par l'ANC, en ce sens qu'elle ne doit pas être votée dans l'intérêt d'un seul parti, ce qui impose un consensus. On sait quels sont les sujets qui fâchent les progressistes et les démocrates qui se battent contre Ennahdha qui veut imposer sa conception des choses. C'est pourquoi je crois que les gouvernements européens auraient tout intérêt à pousser tout un chacun et faire pression pour qu'il y ait, effectivement, une constitution qui réponde aux aspirations populaires de la Révolution tunisienne. Pour ce qui nous concerne, moi et mes amis du Front de gauche , ceux du parti de la gauche européenne et ceux de la gauche unitaire européenne au sein du Parlement européen, nous mettrons toutes nos forces pour soutenir les partis progressistes et démocratiques qui se battent pour les mêmes valeurs que les nôtres et notamment nos amis du Front Populaire.
Plusieurs observateurs dans le monde accusent l'UE de fermer les portes de l'Europe aux demandeurs d'asile déboutés du camp de Choucha alors qu'ils sont les victimes de la guerre que l'OTAN a provoqué en Libye. Quel est votre commentaire à propos de cette situation dramatique ?
-Là encore, il y a un vrai scandale. Les gouvernements européens, le français et le britannique en première ligne, qui ont provoqué cette guerre en Libye, ont obligé plusieurs centaines de milliers à quitter ce pays où ils travaillaient et à chercher asile ailleurs. J'étais au camp de Coucha et j'ai vu comment le peuple tunisien a été exemplaire en accueillant à bras ouverts ces réfugiés. Après la fin de la guerre, certains sont retournés dans leurs pays respectifs, d'autres sont installés en Tunisie et il est resté quelques milliers de réfugiés dans ce camp. Pour la plupart d'entre eux, ils ont eu le statut de refugié par le HCR, c'est-à-dire qu'ils ont été reconnus internationalement comme étant des réfugiés politiques dont la moitié a été accueillie par les Etats Unis, le Canada, l'Australie, la Norvège, un petit peu par la Suède, quasiment pas par les pays de l'UE et aucun par la France et la Grande Bretagne, les causeurs de la guerre. Je trouve cela totalement scandaleux comme je trouve scandaleux qu'après ce formidable exemple que nous a donné le peuple tunisien en accueillant ces refugiés, on a fait tout un scandale sur la soi-disant invasion de l'UE par 23 000 Tunisiens avec tout ce qui s'est passé autour du camp de Lampedusa. Cette façon de traiter la question de l'immigration en Europe est dramatique et sur laquelle les progressistes des deux rives de la Méditerranée devraient travailler ensemble. L'immigration n'est pas un problème, c'est une richesse, elle l'a, toujours, été, c'est sain pour les économies de part et d'autre de la Méditerranée qu'il y ait des mouvements de populations, qu'il y ait des échanges. Aujourd'hui, on empêche les artistes et les étudiants de venir étudier en Europe au motif qu'ils viennent du sud du bassin et c'est insupportable. Les gouvernements européens font faire le sale boulot aux pays de la rive sud de la méditerranée, ils conditionnent leurs aides économiques au fait que les pays réadmettent, comme on dit en langage européen, leurs ressortissants lorsqu'ils sont rejetés des pays de l'UE et notamment de la France où, qu'il y ait changement de gouvernement ou pas, la politique en la matière n'a pas changé, elle est toujours la même. Tout cela est, pour moi, un vrai scandale et je crois qu'on a besoin d'unir nos forces de chaque côté de la Méditerranée autour de cette question pour travailler autrement et donner d'autres espérances et d'autres perspectives à nos peuples. Ces questions sont, pour moi, essentielles parce que c'est ce dont se saisissent les partis d'extrême droite qui montent en puissance, en ce moment, en Europe pour agiter les peurs et les haines face aux carences des gouvernements à répondre à la crise économique et sociale.
A propos de cette crise, comment évaluez-vous cette politique de rigueur qui frappe la Grèce et l'Espagne comme une foudre ?
-D'abord, je pense qu'il faut revenir aux origines de cette crise. Cela fait quarante ans qu'on nous bassine avec la crise, il y a eu la crise du pétrole de 1973, celle de la sidérurgie, celle du chômage, et aujourd'hui c'est la crise de la dette et de la dette publique plus particulièrement. Et cela fait une trentaine d'années qu'on a, systématiquement, cassé les instruments de régulation économiques et financiers dont disposaient les Etats. On a voulu que les banques centrales soient indépendantes, les banques nationales et aujourd'hui la banque centrale européenne. On a interdit aux banques centrales de prêter directement aux Etats membres, ainsi les Etats qui ont des problèmes financiers sont obligés d'aller emprunter sur les marchés financiers, et plus ils sont en difficulté, plus ils empruntent à des taux élevés. La crise de la dette a été, d'abord, une crise de la dette privée avec une faillite des banques, et on trouvé des milliards pour renflouer des banques sans mettre aucune condition aux aides qu'on leur a apportées à ce moment-là. Il fallait imposer des conditions, puisqu'elles étaient en difficulté notamment pour mettre un frein à la spéculation financière qui se déconnecte de plus en plus de l'économie réelle, c'est-à-dire celle de l'investissement, ce qui est un vrai drame. Une fois renflouées, ces banques sont allées jouer avec la dette publique en tapant sur les pays les plus en difficulté de l'UE, la Grèce en première ligne, et on a fait payer tout cela au peuple grec en le dénonçant avec un discours xénophobe qui est assez scandaleux, en particulier, en Allemagne. On a enfoncé la Grèce dans la crise financière en pressurant les Grecs : en diminuant leurs salaires, on a diminué les rentrées fiscales, et en diminuant ces rentrées, on a augmenté la dette. C'est un vrai cercle vicieux qui s'est mis en place et qui touche les pays européens les uns après les autres, et on entend parler sans arrêt, uniquement, de réformes structurelles derrière lesquelles, il y a le démantèlement de l'Etat social, du modèle social européen, la destruction du code du travail et de toutes les protections dont bénéficient les salariés, l'alignement de l'âge de départ à la retraite sur l'espérance de vie comme on dit dans les institutions européennes au lieu de dire augmenter l'âge de départ en retraite. A quoi sert de reporter cet âge tant que les jeunes et les séniors sont les plus frappés par le chômage ?
Quelles sont les solutions que vous préconisez pour dépasser cette crise ?
-Contrairement à ces mesures, il faut partager le travail, faire des investissements producteurs, arrêter la casse de l'industrie, notamment en France, et créer des fonds de développement économique et social en taxant l'argent là où il est, parce que ce que l'on constate, en Europe comme partout à travers le monde, c'est que l'écart entre les plus pauvres et les plus riches ne cesse d'augmenter. J'ai vu, récemment, une étude qui était faite sur les quelques milles milliardaires les plus riches du monde qui ont perdu quelques centaines de milliards au moment de la crise économique de 2008, mais aujourd'hui leurs comptes sont, totalement, renfloués et ils sont même plus riches qu'avant la crise, ce qui est scandaleux. Il faut trouver des instruments de régulation qui arrêtent cette spéculation financière et créer de réelles taxations sur les transactions financières et non pas des taxations à des taux dérisoires comme on entend parler, aujourd'hui, dans les institutions européennes. On le vote, nous, parce que c'est un moindre mal, mais ce n'est pas à la hauteur des enjeux, je le répète, il faut taxer l'argent là où il est et l'impôt sur les revenus c'est l'impôt le plus juste qui existe. En France, par exemple, 50% de la population ne paye pas d'impôts, c'est-à-dire tous les gens qui se trouvent au dessus et au dessous du SMIG. Donc, quand on paye l'impôt sur les revenus, c'est qu'on gagne de l'argent, et plus on en gagne, plus on paye cet impôt, parce que plus on est riche, plus on thésaurise. Cet argent doit être rendu à la production et c'est de cette façon qu'on arrive à produire et à résoudre la question du chômage.
Comment jugez-vous la situation d'insécurité qui sévit dans les pays du printemps arabe dirigés par les Islamistes et qui est responsable, en Tunisie, de l'assassinat de militant de gauche Chokri Belaïd?
-Je pense qu'il y a une instrumentalisation de la question sécuritaire dans les pays du Sud comme elle existe d'ailleurs dans les pays du Nord, parce que cela sert à jouer avec les peurs. Je ne dis pas qu'il n'y a pas problème et l'assassinat de Chokri Belaïd est là pour le démontrer. Je crains que l'instrumentalisation de cette peur serve à faire pression sur les électeurs aux futures élections et que les Tunisiens aient peur de pouvoir s'exprimer en toute liberté. Je pense qu'il faut des réactions par rapport à cela pour dénoncer ces ligues de soi-disant protection de la révolution que j'aurais tendance à considérer comme des forces paramilitaires qui sévissent dans un certain nombre d'autres pays à travers le monde et qui sont instrumentalisés par les régimes en place justement pour faire peur aux progressistes et aux démocrates et exercer une pression sur eux. Donc, il faut rester prudent sur ces questions-là et que ces forces dénoncent avec force l'attitude de ces groupes minoritaires qui cherchent à faire la loi et qu'elles demandent au gouvernement en place, tout d'abord, la vérité et la justice par rapport à l'assassinat de Chokri Belaïd et de prendre ses responsabilités, car ce n'est pas à des ligues factieuses de faire la police dans un Etat, mais c'est aux instruments de la police et de la démocratie d'assurer cela. L'UE se gargarise d'aider la Tunisie en la matière, donc, il faut peut-être la prendre au mot et vérifier ce qu'il est fait, en réalité, des fonds qu'elle accorde dans ce domaine.
Vous voulez dire que l'UE dispose de moyens efficaces pour exercer une pression sur le gouvernement de la Troïka pour qu'elle mette fin à cette impunité dont bénéficient ces hors-la-loi dont les Jihadistes ?
-C'est l'un des thèmes qui sont mis en avant par l'UE qui prétend qu'elle va être désormais vigilante en matière de démocratie et de droits de l'homme, puisqu'elle a failli à ce devoir par le passé. Donc, je crois que oui, il y a un vrai moyen de pression sur Ennahdha, si l'UE veut en faire usage, elle en a la possibilité. Plutôt que d'avoir des exigences en matière de libéralisme économique, elle ferait mieux d'utiliser ces moyens de pression. Il faut qu'on mette un terme définitif à l'impunité judiciaire dont jouissent un certain nombre de groupes en Tunisie actuellement.
-Au risque de nous répéter, on ne voit pas cette volonté de se racheter et cette vigilance de la part de l'UE face au refus du groupe Ennahdha au sein de l'ANC d'insérer le référentiel des droits de l'homme universels.
-Désormais dans quasiment tous les accords de l'UE, il y a un article 2 qu'on appelle la clause démocratie et droits de l'homme. Théoriquement, quand ces valeurs ne sont pas respectées, l'UE doit suspendre ses aides, or ces clauses ne sont jamais appliquées, on ne suspend jamais ces aides, parce que dans ce type d'accords, ce qui compte tout d'abord et avant tout c'est le libre échange. L'UE, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix non seulement pour la paix qui règne sur son territoire, mais également pour le respect de ces valeurs universelles, devrait arrêter de jouer avec ces questions-là et mettre en œuvre enfin les clauses démocratie et droits de l'homme. L'UE pourrait faire pression sur le gouvernement de Ennahdha pour que ces clauses soient respectées. Au lendemain de la Révolution tunisienne, le premier gouvernement a ratifié un certain nombre de conventions internationales que Ennahdha cherche à mettre de côté, d'ailleurs, du moins pour certaines d'entre elles, ce qui est insupportable. L'UE n'arrête pas de dire qu'elle a tiré les leçons qui s'imposent de la Révolution tunisienne en matière de démocratie et des droits de l'homme, alors qu'elle mette en œuvre ces principes, qu'elle mette en accord ses discours et ses actes, là, elle en a la possibilité d'autant plus qu'il y a des enjeux extraordinaires. La Révolution tunisienne nous a aussi redonné de l'espoir, à nous Européens, progressistes et démocrates, donc, il faut accompagner ce mouvement et être à la hauteur des enjeux.
Vous ne voyez pas que le slogan de la 12ème session du FSM « un autre monde est possible » exprime un optimisme un peu outré vu les difficultés de la conjoncture mondiale actuelle?
-Personnellement, je crois qu'il y a nécessité d'une régulation publique, car je ne crois pas à la concurrence libre et non faussée. Je suis persuadée que l'UE est à la pointe des combats du néolibéralisme actuellement. Et j'ai des craintes encore plus grandes quand je sais qu'il y a une négociation qui va commencer entre les Etats Unis et l'UE pour créer une grande zone de libre échange entre l'Amérique du Nord et le continent européen, qu'on a signé des accords de libre échange avec la Pérou et la Colombie au mépris des droits de l'homme dans ce dernier pays qui a le triste record des assassinats impunis de syndicalistes et que, par contre, on refuse de discuter avec les autres pays d'Amérique du sud et de signer des accords, parce qu'ils ne veulent pas des clauses de libre échange des politiques européennes et des conséquences en matière de réformes structurelles. Je crois qu'on a beaucoup à apprendre des pays de l'Amérique Latine dont certains ont refusé de payer aux institutions financières internationales, l'Argentine et l'Equateur, notamment, et il ne s'est rien passé. On n'en parle même pas d'ailleurs, car il ne faut surtout pas qu'ils soient montrés comme exemple. Donc, il y a des leçons à prendre les uns des autres. Je me répète, encore une fois, il faut mettre fin à cette spéculation financière éhontée qui ne semble plus avoir de limites et taxer les transactions financières et prendre l'argent là où il est, car, comme je l'ai dit plus haut, il y a des gens qui s'enrichissent tous les jours au détriment des plus pauvres, ce qui fait que les écarts de richesse ne cessent de s'accroître. Je travaille beaucoup avec les associations de solidarité envers les plus démunis et les plus précaires, l'une d'entre elles dénonce, toujours, la façon dont on traite ces pauvres sur le territoire national, alors qu'on se vante de monter le degré de développement du pays, un développement qui ne profite aucunement à ces laissés pour compte. Ce sont des choses qu'il faut mettre, véritablement, en pratique, il n'est pas admissible que dans pays riches tels que ceux de l'UE on traite la partie la plus pauvre de la population de la façon dont on les traite. Il faut se donner les moyens à ce que tout un chacun puisse vivre dignement en répartissant les richesses autrement, et cela est tout à fait possible. C'est la première chose à faire pour qu'un autre monde soit possible. Oui, oui ! Cet autre monde est très possible !
Comment vous trouvez l'organisation de cette 12ème édition du FSM ?
-Moi, je suis plutôt contente de la façon dont cela s'est passée. Les forums sociaux c'est les mouvements de la société civile, c'est des rencontres extraordinaires entre des gens qui viennent du monde entier. Je trouve qu'il y a une ambiance et des échanges extraordinaires, et la chose qui me frappe le plus c'est la présence des jeunes et notamment des jeunes tunisiens, et je pense que c'est un signe d'espoir.


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