Nous ne pouvions être partout, hier, pour couvrir toutes les commémorations du 9 avril 1938. Il y eut d'abord la célébration officielle du côté de Séjoumi, au Mausolée des Martyrs. Très tôt, grand déploiement sécuritaire dans la zone, en l'absence de tout intérêt authentiquement populaire. Il faut reconnaître que du temps de Ben Ali, les habitants des quartiers environnants subissaient un vrai siège policier à cette occasion. Nous avons néanmoins relevé un détail de poids qui ressuscite les pratiques de l'ancien régime : à quelques jours de la commémoration, la municipalité d'El Ouardia nettoya l'endroit de tous les monticules d'immondices qui s'étaient formés entre le 9 avril 2012 et le 9 avril 2013. C'est vous dire à quel point la « Fête » est importante pour les riverains du mausolée des Martyrs. Côté célébration, il n'y a rien à rapporter sinon que ça ne différait presque en rien des commémorations précédentes : trop officielle et sans réelle solennité ! Escarmouches verbales, seulement ! Dans le centre de Tunis, entendez sur l'Avenue Habib Bourguiba, c'était beaucoup plus vivant et bien plus bruyant. Dès les premières heures du matin, les partisans d'Ennahdha squattèrent le perron du Théâtre municipal. A quelques mètres d'eux, juste à l'entrée du centre commercial du Palmarium, les « Ligues pour la Protection de la Révolution » tenaient leur minuscule meeting sur fond de banderoles hostiles aux « azlem » ! Vers dix heures, sur la voie d'en face (le terre plein du milieu était entièrement barricadé), commença la Marche de l'Union pour la Tunisie organisée par les cinq partis composant la coalition. A deux reprises, on craignit l'affrontement entre les deux blocs opposés. Mais il y avait un puissant et très long cordon de policiers à même de calmer tous les esprits. Vers 11 heures du matin, les militants et partisans du Front Populaire quittèrent la Place Mohamed Ali (devant l'UGTT) en direction de l'Avenue. A deux heures de l'après-midi, ils y étaient encore, mais moins nombreux. Entre eux et les Nahdhaouis, c'était à qui criait et injuriait le plus : ils s'accusaient mutuellement de vouloir la perte du pays et chaque camp prodigua à l'adresse de l'autre toutes sortes d'invectives et de calomnies. La bataille rangée fut donc seulement verbale et comme avec l'Union pour la Tunisie, on n'enregistra aucune agression physique entre les manifestants. A midi trente, du côté de Bab Souika, où les cinq partis de l'Union pour la Tunisie organisaient leur meeting populaire, l'ambiance était plutôt à la fête, si ce n'étaient les incursions (pas innocentes du tout) de quelques nahdhaouis et salafistes. La foule autour de la tribune géante ne céda pas à la provocation même lorsque les perturbateurs passèrent à l'acte et tentèrent de violenter certains participants. C'est à 14 heures 30 que s'acheva le meeting auquel furent invités quelques militants du Front Populaire dont en particulier Basma Khalfaoui, la veuve du martyr Chokri Belaïd. Trois blocs ! En somme, entre la « fête » sanglante de l'année dernière et celle de 2013, il n'y a pas photo. La journée d'hier s'est déroulée dans un calme relatif et l'on ne déplora que des échanges verbaux sans gravité. L'autre conclusion à tirer concerne le nombre des manifestants : il y avait en fait trois blocs bien représentés en masses humaines. Curieusement, les supporters d'Ennahdha nous parurent les moins nombreux. Par contre, le Front Populaire et l'Union pour la Tunisie étaient soutenus par 4 à 5 mille partisans. Il y avait en marge des trois grandes manifestations, de dérisoires sorties organisées respectivement par le Réseau Doustourouna, les Zouaoula, quelques Amazigh et un groupe de défenseurs des martyrs de la Révolution. Enfin, n'oublions pas les excentriques et les originaux qui ne ratent pas une occasion pour manifester en...solitaires ! Badreddine BEN HENDA
Les à-côtés de la «Fête» * Hier, il a fait un temps splendide. L'Avenue Bourguiba accueillit beaucoup de manifestants en tenue de printemps ou même d'été. Cependant, sur la Place Bab Souika, la plupart des manifestants s'abritaient du soleil avec tout ce qu'ils avaient à la main (journaux, brochures, sacs, cartables etc.). * Les commerçants de Bab Souika ont sans doute fait de bonnes recettes, notamment les gargotiers. Le rassemblement de l'Union pour la Tunisie s'étant tenu à l'heure du déjeuner, de nombreux partisans de la coalition se sont sustentés sur place entre midi et 14 heures ! Les cannettes de boissons gazeuses et les bouteilles d'eau minérale jonchaient les lieux à la levée du meeting. * La paperasse jonchait aussi les rues du centre-ville ! On en a tellement distribué de ces pancartes, autocollants, brochures, drapeaux et fanions en carton, qu'ils finissaient par encombrer leurs porteurs qui les jetaient n'importe où, ou plutôt là où il ne fallait pas ! * Parmi les documents distribués, nous avons apprécié celui qui montrait cinq photos de miliciens parmi ceux qui avaient l'an dernier violenté les manifestants du 9 avril. A ce propos, voilà déjà une année qu'on « enquête » vainement sur les violences de cette journée mémorable. Après la démission de 10 membres de la commission à qui l'affaire fut confiée, on peut parler d'une commission martyre ! L'année prochaine, nous la fêterons le même jour que les Martyrs de la Nation ! *Chokri Belaïd était l'absent présent de la Fête. Son nom fut scandé des centaines de fois par les manifestants anti nahdhaouis. « Qui a tué Belaïd ? » est incontestablement le slogan de l'année ! *Une nouveauté dans le commerce des manifestations : hier, du côté où se tenaient les partisans d'Ennahdha, nous avons croisé deux vendeurs de parfum « halal », du genre qu'on rencontre aux abords de nos mosquées ! Il faut dire que la scène politique en Tunisie sent de plus en plus mauvais et qu'elle a bien besoin de s'embaumer un peu plus souvent ! Mais, de grâce, que ce soit avec une fragrance autre que salafiste !