Du temps de Ben Ali et même au tout début des années 1980, l'enrichissement facile et rapide de certains individus ou de petits lobbies bien couverts par le régime en place, était une constante des plus déplorables économiquement et moralement. Les fortunes douteuses se construisaient en très peu de temps et l'on n'avait pas de tribune pour les dénoncer ni même pour en parler. Maintenant que les langues se sont déliées, les questions d'hier ont en partie trouvé réponses et quelques riches suspects furent nommément appelés à comparaître devant les tribunaux. Des dizaines d'hommes d'affaires se sont trouvés interdits de voyage en attendant leur mise en examen ou le règlement à l'amiable de leurs dossiers financiers. Entre temps, de nouveaux riches ont fait leur apparition sans que l'on apprenne la moindre information sur l'origine de leurs fortunes respectives. En tout cas, personne apparemment ne leur pose de questions là-dessus. Pourtant, il court beaucoup de bruit sur les véritables sources où puisent ces nababs express : blanchiment d'argent, trafic douanier, capitaux usurpés, transactions internationales louches etc. Aucune enquête sérieuse n'est menée pour fournir les preuves sur leur implication effective dans les trafics évoqués. L'actuelle équipe au pouvoir a paraît-il d'autres chats à fouetter, même si certaines mauvaises langues l'accusent de fermer les yeux sur les trafiquants de l'ère révolutionnaire. Réaction tardive ! La lutte contre les circuits de contrebande qui opèrent sur nos frontières avec la Libye et l'Algérie a en effet démarré avec beaucoup de retard. Et c'est manifestement cette soudaine vigilance qui a surpris les contrebandiers : il y a près d'un mois, ces derniers ont grondé à Ben Guerdane et tout récemment, ils manifestent du côté de Ghardimaou. Pas plus tard qu'avant-hier, ils faillirent mettre en feu cette ville frontalière du Nord-ouest. Certes, ce ne sont pas les petits « dealers » du mazout et de l'essence algériens ou libyens qui vont récolter les gros bénéfices du marché ; la fortune sourit plutôt à leurs fournisseurs qui disposent de grands moyens et jouissent de facilités diverses pour rentrer ou sortir illégalement toutes sortes de marchandises. Le marché des armes doit aussi rapporter des sommes faramineuses à ceux qui les importent chez le voisin libyen. Il paraît d'après des sources non officielles, que dans certaines villes de l'extrême –sud tunisien, les entrepôts d'armes illicitement rentrées dans le pays se comptent par dizaines. Nos autorités policières et douanières en ont découvert quelques uns seulement, mais il s'agit, à ce qu'il paraît, de cachettes de maigre contenu par rapport à celles non encore dénichées. Par ailleurs, il semble que la population de ces régions ne coopère pas toujours avec la police et la garde nationale. Qui sait ? Peut-être que le silence lui rapporte plus ! L'Etat ferme-t-il sciemment les yeux ? D'autre part, il y a lieu de s'interroger sur le butin que rapporte le marché des jihadistes envoyés en Syrie. Les journaux locaux et étrangers publient régulièrement des données chiffrées, certes pas toujours fiables, parfois même contradictoires, mais qui méritent de susciter des enquêtes publiques sérieuses. Actuellement, l'Etat tunisien ne paraît pas accorder à ce dossier l'intérêt requis et tend plutôt à minimiser, sinon à nier sa gravité. Nous n'avons pas non plus la certitude qu'il étudie celui des circuits de prostitution arabes qui envoient des filles tunisiennes travailler comme entraîneuses dans les boîtes de nuit orientales. Il est sûr que cette traite des femmes constitue un marché juteux pour ses petits et gros bras. Autre marché prospère, mais bien local celui-là : il tire ses profits du transport des phosphates de Gafsa et ce, aux dépens de notre SNCFT. M. Moncef Mimouni Secrétaire général de la Fédération Générale des Chemins de fer a déclaré dans une récente interview accordée à notre confrère « Attariq Al Jadid » qu'un vieux lobby de camionneurs s'est arrogé (ou presque) le droit exclusif d'acheminer le précieux produit gafsien vers les ports les plus proches. A l'en croire, les profits de cet ancien réseau recyclé se montent à plus de 60 milliards de nos millimes. Le responsable syndical a par ailleurs laissé entendre que la Troïka dirigeante laisse sciemment faire ces concurrents déloyaux, et ne lève pas le bout du doigt pour arrêter l'hémorragie en dépit des mises en garde répétées de la Fédération syndicale des Cheminots. Bonnet blanc... Donc, si notre Banque Centrale est actuellement à court d'argent (pour ne pas dire que ses caisses sont à sec) et qu'elle sollicite désespérément le secours du FMI ou celui de la Banque Mondiale, on ne peut pas en dire autant de certains particuliers qui profitent de mannes très généreuses miraculeusement ouvertes grâce au sésame de la Révolution et grâce au chaos que celle-ci a installé dans le pays. La Tunisie, pays en crise ?? La question peut surprendre plus d'un, surtout parmi ceux qui constatent au quotidien comment la Révolution tunisienne et le Printemps arabe ont fait éclore en moins de temps que les machines couveuses des poulaillers une classe de Crésus plus opulents et plus arrogants que ceux qu'avait enfantés l'ère Ben Ali. Sacrée Révolution que l'on croyait s'être déclenchée pour davantage de justice entre les Tunisiens. La voilà, hélas, qui en enrichit quelques uns seulement. Elle profite aussi, semble-t-il, à quelques capitalistes turcs et qataris. Pour tout dire, entre hier et aujourd'hui, c'est finalement « bonnet blanc, blanc bonnet » !