Le cocktail politique, argent et ballon rond continue d'être très détonnant, dans la Tunisie de l'après Révolution. La décision prise lundi par la Ligue Tunisienne de Football (FTF) de ne pas qualifier le Club Athletic Bizertin (CAB) pour le deuxième tour du championnat au profit de Club Africain (CA) et de l'Espérance Sportive de Tunis (EST), les deux clubs phares de Tunis, au play-off sur la base d'un article controversé du règlement a été accueillie avec émoi et colère par les supporters et par les dirigeants bizertins. Le porte-parole du CAB, Bassem Zouaoui, a insisté sur la “décision malhonnête de la Ligue nationale” qui a éliminé le CAB du “play-off” du championnat, et demandé “l'ouverture d'un grand débat sur l'assainissement du football”. Le président du CAB , Mehdi Ben Gharbia, a même envisagé de retirer son club de toutes compétitions nationales et internationales afin de protester contre une décision qu'il qualifie d'«injuste». Il a également exhorté les supporteurs de son équipe à manifester «pacifiquement» contre cette décision qu'il dit «regretter profondément» et qu'il a qualifiée «d'injuste» étant donné que les trois clubs concernés par le play-off étaient à égalité à l'issue de la phase de poules. Mais les jeunes bizertins ne l'ont pas entendu de cette oreille. Peu après le verdict rendu par la ligue, des centaines de supporters bizertins en colère se sont rassemblés en ville, obligeant les forces de l'ordre à user de gaz lacrymogène pour disperser la foule. Dans la foulée, des agences bancaires et des boutiques ont été saccagées. Un supporter zélé est même allé jusqu'à brûler le drapeau national dans les rues de la ville! Pouvoir financier Les affrontements entre les protestataires et les policiers ont perdu d'intensité lundi soir après l'arrivée de renforts sécuritaires avant de reprendre le lendemain. C'est que les déclarations des dirigeants des clubs n'ont pas permis de calmer les esprits. Bien au contraire. Bien qu'il ait appelé les supporters de son équipe à “manifester pacifiquement”; le président du CAB, qui est aussi un homme d'affaires, un député à l'Assemblée Nationale Constituante et un membre fondateur du parti de l'Alliance Démocratique, a lancé une accusation à peine voilée contre le président du Club africain, le richissime homme d'affaires Slim Riahi “Des clubs qui ont un pouvoir financier exploitent cela en leur faveur au détriment des autres”, a-t-il lancé à l'antenne d'Ettounsiya TV que, hasard du calendrier, M. Riahi vient d'acquérir. Traduisez: Slim Riahi aurait, selon le président du CAB, usé de sa fortune pour obtenir des décisions en sa faveur. Homme d'affaires et fondateur d'un parti politique, à savoir l'Union patriotique libre (UPL) dont le slogan est «Tawwa» (tout de suite), M. Riahi n'en est pas à sa première controverse. Réputé avoir fait fortune dans le bâtiment et le négoce du pétrole en Libye, où il aurait entretenu des liens d'amitié avec les fils du dirigeant libyen tué Mouammar Kadhafi, il a été contraint par le gouvernement à promettre de quitter en juin la tête du Club Africain. Selon le gouvernement, la loi lui interdit de cumuler la présidence de l'équipe et celle de son parti politique. Pouvoir politique Le mélange des genres entre football, affaires et politique avait déjà menacé la première division en mars dernier quand l'EGS Gafsa a menacé de se retirer de la compétition pour protester contre des “injustices d'arbitrage”. Le vice président gafsien Khaled Bennour a accusé, en effet, les arbitres d'avoir refusé un but valable à son équipe. Selon lui, ils auraient été influencés par Adel Daâdaâ, président de Hammam-Lif et cadre du mouvement Ennahdha. Dans la foulée, le club de Gafsa a décidé de se retirer du championnat. Une mesure exceptionnelle. Dans le sillage de Gafsa, l'Olympique Béja a menacé, lui aussi, de jeter l'éponge après sa défaite (3-1) contre le Club Africain. En cause, entre autres, un penalty imaginaire sifflé contre eux et un autre qui leur aurait été oublié. Le président de la FTF, Wadîi Jari a pris la décision de suspendre les deux arbitres mis en cause par l'EGS Gafsa pendant deux mois. Pour calmer les dirigeants de l'Olympique de Béja et éviter l'implosion du championnat, il a très maladroitement promis de désigner des arbitres “compétents” et “au-dessus de tout soupçon”. Un peu comme si, jusque-là, les autres avaient été malhonnêtes. Autant dire que quand la politique et le sport flirtent ensemble, c'est tout le jeu qui est faussé. Le mélange sport-politique a peut-être profité aux politiciens. Jamais au sport! Walid KHEFIFI L'avis du spécialiste Abdessattar Sahbani, sociologue: “Le football est un sport éminemment politique dont la gestion ne doit pas être confiée uniquement à des techniciens” “Les liaisons entre le football, la politique et le monde des affaires trouve son explication dans la nature même de ce sport. Le football est, en effet, un sport de masse qui nécessite aujourd'hui de gros moyens financiers. L'organisation la plus riche au monde n'est-elle pas la FIFA? Le football est aussi éminemment politique. Une guerre entre le Honduras et le Salvador n'a -t-elle pas éclaté à cause d'un match de football? Durant les années 70 et à l'issue de troubles sociaux consécutifs à un match de footblall qui a opposé l'Espérance et le Club Sportif Sfaxien, des ministres et des politiciens ont présidé aux destinées des grand clubs comme Hassène Belkhodja (EST), Abdelaziz Lasram (Club Africain) et Hamed Karoui (Etoile Sportive du Sahel). Le régime avait vu juste à l'époque. Le football est un sport éminemment politique dont la gestion ne doit pas être confiée uniquement à des techniciens. Les conflits qui dégénèrent dans les stades relèvent toujours de l'hystérie de groupe appelée aussi hystérie collective. Cette hystérie s'explique par des comportements d'excessif enthousiasme ou d'excessive adulation de la part d'un groupe. Le phénomène est souvent amplifié par les médias qui parlent des matchs de football en utilisant un lexique guerrier. En ce qui concerne les récents évènements qui ont eu lieu à Bizerte, la FTF aurait dû consulter les politiques avant de prendre sa décision. De manière général, le sport en général et le football en particulier sont très mal gérés en Tunisie. Une révision de fond en comble des modes de gestion du sport est plus que jamais nécessaire”.