C'est pendant les guerres que la mort se transforme en banalité quotidienne. En Tunisie, et surtout depuis quelques mois, le sang coule de plus en plus alors que l'on croyait vivre l'ère de la « Renaissance ». Hier et avant-hier, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme intégriste, la contrebande et la criminalité, il y eut trois morts : à Jebel Chaâmbi, un adjudant-chef de l'armée nationale et un jihadiste, à Mahdia un délinquant recherché par la police. Ceci sans compter les blessés légers et graves enregistrés ici et là depuis avril dernier, et en tenant compte du fait que la traque des membres présumés de la Qaïda et des salafistes armés risque de durer plus longtemps que prévu. Ce qui augure peut-être d'un été encore plus meurtrier que l'hiver et le printemps 2013. D'autre part, et pour des raisons autres que politiques ou criminelles, à Bizerte, un vieillard rendit l'âme au beau milieu des violences provoquées il y a quelques jours, entre les agents de l'ordre et les vendeurs à l'étal. Les Tunisiens (la famille du défunt en premier) attendent toujours les résultats de l'autopsie pour savoir de quoi le vieil homme est décédé. Cependant, force est de reconnaître que nos compatriotes commencent à s'habituer à ces morts presque quotidiennes et un peu aussi à ce climat de guéguerre qui ne dit pas son nom. Ce n'est pas comme lorsqu'on assassina Chokri Belaïd : après ce forfait, l'indignation populaire était à son comble. Tous les partis politiques (ou presque) condamnèrent alors l'attentat et ses auteurs, et rivalisèrent de mises en garde contre la spirale suicidaire où le pays risquait de s'engager. Aujourd'hui, on réagit bien plus timidement à la violence politique. On s'amuse même, comme nous le faisons un peu dans le présent article, à énumérer les événements sanglants de l'actualité comme s'il s'agissait de faits quasi ordinaires. Si bien d'ailleurs qu'un autre assassinat politique de la même gravité que celui de Chokri Belaïd risque de ne susciter que quelques molles récriminations puis de tomber dans l'oubli. Alarmisme justifié C'est que la contrebande des armes à feu nous surprend de moins en moins ; les menaces de mort sont devenues légion ; les délinquants et les criminels sont plus arrogants que jamais depuis qu'on leur confie des missions politiques ; les salafistes défient l'Etat, sa police et toutes ses autres institutions ; les appels au jihad et à l'extermination des impies se multiplient dans un climat d'impunité totale ; les criminels arrêtés et traduits devant la justice sont relaxés toute de suite après leur comparution ou bien sont condamnés aux peines les plus légères ; des assassins identifiés cavalent toujours et circulent peut-être en toute liberté dans nos cités ; les caches d'armes sont disséminées à travers tout le pays ; les partis politiques au pouvoir ne tiennent plus leurs engagements ; le Dialogue National trébuche à chacun de ses rounds ; les caisses de l'Etat n'arrêtent pas de se vider ; les accusations et contre accusations s'échangent quotidiennement ; la suspicion est ce que les politiques de tous bords se partagent le mieux. Quoi de plus pour préparer le pays à une vraie guerre, surtout que les horizons d'apaisement attendus par tous ressemblent plutôt à des mirages ! Nous voulons parler de cette damnée Constitution qui ne fera apparemment jamais l'unanimité autour d'elle, de cette nouvelle ISIE qui n'a pas encore vu le jour, de ces élections dont on commence à désespérer. Qui paiera le tribut ? A qui profite cette situation de mi-paix, mi-guerre ? Qui cherche l'escalade ? Qui parie sur cette instabilité pour en tirer des profits en tous genres ? Il ne peut s'agir, en effet, d'incidents fortuits résultant de la débandade post-révolutionnaire. Cela fait partIe au contraire d'une stratégie mûrement réfléchie qui ne veut certainement pas le bien à notre chère Tunisie, ni d'ailleurs au Monde Arabe et Musulman. Si, jusqu'à présent, la mise en œuvre de cette stratégie ne coûte aux Tunisiens que quelques vies humaines par mois ou par semestre, le risque est grand que dans les mois à venir, elle se solde par plus de violence et par plus de sang. En tout cas, les signes actuels ne sont guère rassurants. A gauche comme à droite, on se prépare au pire. Sur Face book, une manifestation monstre se prépare pour le 30 juin prochain, contre les islamistes au pouvoir chez nous et en Egypte. Il y a seulement deux jours, Abdelaziz Mzoughi appelait les partisans de Nida Tounès à se mobiliser pour une prochaine « guerre » contre les instigateurs du fameux projet sur l'immunisation de la Révolution. De son côté, Ennahdha relance les Ligues de Imed Dghij, Daâdaâ et Rekoba et tente d'amadouer les extrémistes religieux, ses alliés potentiels en cas de « conflits » politiques, électoraux ou autres. Les salafistes n'ont pas fait profil bas pour rien depuis le 19 mai dernier. Entre islamistes, on trouve toujours des terrains d'entente contre les « ennemis de Dieu ». A ce propos, l'association Femen et ses militantes exhibitionnistes s'invitent à la guéguerre ambiante, sans savoir réellement à quel camp leur cause rend le plus de services. Nous en sommes encore à la première semaine de juin 2013, d'ici le mois de Ramadan, qui sait si les escarmouches du moment ne se mueront pas en affrontements plus dramatiques et plus meurtriers. Ahmed Néjib Chebbi vient de tirer la sonnette d'alarme pour la énième fois : la situation du pays est très critique, prévient-il ! Qu'en déduire alors : que la guerre, la vraie, la meurtrière, est à nos portes ! Qu'il tient aux Tunisiens authentiques de la repousser, sans quoi, ils seront les premiers à en payer le tribut !