Hamma Hammami vient d'annoncer l'initiative du Front Populaire pour la formation d'une large Coalition de Salut National. Ce projet d'alliance double ou triple ou même quintuple XL n'exclurait apparemment aucun parti de ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui l'Opposition démocratique. Autrement dit, Nida Tounès et tous les partis destouriens sont invités à en faire partie. Cela fait quand même quelques mois que des voix s'élèvent pour la réalisation de ce très large front opposé à la Troïka au pouvoir. Des partisans du Parti des Travailleurs ont même reproché à Hamma Hammami son radicalisme à l'égard de certaines formations dites de droite, selon les critères conventionnels. Certes, entre Mars et Mai derniers, le Front Populaire tendit la main d'abord à Al Jomhouri puis à Al Massar. Mais, le rapprochement ne se concrétisa pas avec la netteté conséquente. C'est seulement lorsque Basma Khalfaoui parla d'élargir le front contre Ennahdha- c'était il y a une vingtaine de jours-, que les observateurs commencèrent à voir venir le revirement de Hamma et cette ouverture sur toute l'opposition, y compris bien évidemment sur le parti de Béji Caïed Essebsi. Un autre facteur a peut-être favorisé l'assouplissement consenti par le Front Populaire et en particulier par son porte-parole : c'est à notre avis le geste symbolique de Si Béji lors du Dialogue National initié par Moncef Marzouki. Tout le monde se rappelle comment Nida Tounès suspendit sa participation et exigea la représentation de l'UGTT à ces rencontres. Or, nul n'ignore le poids que représente la gauche marxiste, socialiste ou nationaliste arabe (c'est-à-dire celle qui s'est coalisée dans le Front Populaire) dans l'orientation de l'action syndicale. D'autre part, les données objectives révélées par les derniers sondages sur les intentions de vote ont assurément « assagi » Hamma et ses partisans, désormais conscients de la nécessité d'une alliance bien plus forte que celle du Front Populaire pour détrôner Ennahdha. En effet, et malgré la sympathie et le soutien que récolta le Front suite à l'assassinat de Chokri Belaïd, la coalition ne parvint qu'à se maintenir en troisième place, loin derrière Ennahdha et Nida Tounès, obtenant selon les meilleures estimations entre 11 et 13 % des voix. Dans la compétition pour la présidence, Hamma Hammami tient le même rang que Moncef Marzouki (entre 2 et 3 % des voix) bien devancé par Bajbouj et également par Hamadi Jebali. Tactique pragmatique S'il s'avère que les leaders du Front ont bien lu et analysé les données avancées par ces sondages relativement fiables, quoi qu'on en dise, leur appel à la Coalition de Salut National s'inscrit dans une logique très pragmatique qui tranche avec l'hermétisme politique et idéologique prôné depuis longtemps par notre « extrême gauche ». En soi, l'appel est donc salutaire d'abord pour les partis qui composent le Front Populaire, lesquels n'ont pas d'autre alternative, du moins dans le contexte actuel, pour occuper les devants et ne pas subir la bipolarité Ennahdha-Nida. D'un autre côté, une coalition de la taille XXXL a plus de chances d'influencer l'opinion publique tunisienne dont une large partie est très déçue par les prestations de la Troïka et en particulier par celles d'Ennahdha. Cela donne au final, une Opposition qui se soude de plus en plus et une coalition dirigeante qui s'effrite ; ce qui est de nature à ébranler sérieusement la confiance insolente d'Ennahdha quant à son avenir au sommet du pouvoir. Le parti de Rached Ghannouchi aura en effet du mal à affronter tous ces partis ligués qui plus est pour le « sauvetage du pays ». Du point de vue tactique, l'initiative de Hamma Hammami autorise tous les espoirs en ce qui concerne la résistance aux desseins hégémoniques d'Ennahdha. Que le plus « large » gagne ! Il reste à savoir néanmoins quelle sera la réaction du parti islamiste et celle des 151 membres de son Conseil de la Choura. Depuis son avènement à la tête du pays, Ennahdha a démontré qu'elle n'a plus rien à apprendre en tactique politique ou politicienne. Ses manœuvres font désormais école parmi l'élite politique tunisienne et il est certain que les maîtres de ce parti ainsi que leurs conseillers locaux et étrangers ont plus d'un tour dans leur sac. C'est pourquoi nous sommes persuadés que les dirigeants nahdhaouis ne resteront pas les bras croisés face à la nouvelle donne dans les coalitions politiques. Ils peuvent certes jouer sur la fragilité de la nouvelle coalition plutôt trop hétérogène, et laisser le temps agir jusqu'à son implosion. Du reste, Ennahdha maîtrise bien l'art de « gagner du temps » comme celui d'en faire perdre à ses rivaux. Mais, il lui reste toujours la possibilité d'agrandir encore sa taille politique en s'alliant (ouvertement cette fois) à toutes les fractions salafistes et à toutes les formations opposées à Nida Tounès et au Front Populaire. Dans ce sens, Ennahdha peut effectivement compter sur un rapprochement avec quelques nouveaux partis destouriens. Une chance lui est déjà offerte récemment par Hamed Karoui qui, d'emblée, s'est déclaré comme l'un des adversaires principaux de Béji Caïed Essebsi. Quel paysage politique aurons-nous dans ce cas de figure ? Fort probablement, deux pôles XXXL ! Et que le plus « large » gagne !