«Il est nécessaire de repenser le modèle du développement, d'engager le pays dans une transition vers un modèle de développement durable, intensif et équitable », recommande Abdeljalil Bedoui, économiste. «En Tunisie, le risque d'être chômeur n'est pas le même pour tous les diplômés. Si on appartient à une catégorie sociale défavorisée, on risque d'obtenir le bac avec une moyenne médiocre, d'être orienté vers une filière non noble, permettant d'obtenir un diplôme qui ne permet pas d'accéder facilement à un emploi ». Il ne s'agit pas là d'un simple commentaire psalmodié par jeune élève qui passe depuis hier son examen du baccalauréat, ni même d'un diplômé du supérieur au chômage et issu d'une région défavorisée. C'est plutôt un constat formulé par l'économiste tunisien Abdeljalil Bedoui en parlant « du défi de l'emploi et la nécessité de repenser le modèle de développement » dans notre pays. En fait, le chômage et les inégalités sociales et régionales qui sont le résultat d'une mauvaise politique adoptée depuis des décennies, étaient parmi les éléments déclencheurs de la Révolution. Deux ans se sont écoulés depuis cet événement sans que rien ne vienne changer à ce niveau. Réviser le modèle de développement inspiré du néolibéralisme, est une nécessité recommande l'économiste dans l'ouvrage publié récemment avec le soutien du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux. En fait, ce modèle était « à l'origine de l'aggravation du chômage, notamment chez les jeunes diplômés, de l'approfondissement des inégalités régionales et sociales, du développement de la précarité de l'emploi, de la dégradation des services publics, de « l'informalisation » de l'économie et de la détérioration des conditions environnementales », constate l'économiste. Un Casse-tête chinois et un phénomène social difficile à gérer, le chômage, reste parmi les principaux problèmes à résoudre en Tunisie pour résorber les tensions et assurer de meilleures conditions de vie aux citoyens. Mais la question n'est pas facile à résoudre et plus particulièrement concernant les diplômés du supérieur. C'est même « une problématique complexe, dans la mesure où elle trouve son origine dans une réalité multidimensionnelle », signale Abdeljalil Bedoui. L'économiste évoque en effet, les disparités entre les régions et l'écart qui existe entre la moyenne nationale et celle affichées dans les régions pour citer entre autres, l'exemple du gouvernorat de Gafsa où, le taux général du chômage est de l'ordre de « 28,3 % selon les chiffres de 2010 » alors qu'il ne dépasse pas les 5 % à Zaghouan. Cette disparité n'est pas fortuite ni même une fatalité, explique l'expert. Elle trouve ses origines dans le système de développement appliqué depuis des années lequel est imposé par les bailleurs de fonds : Banque Mondiale et Fonds Monétaire International. Victimes du système économique libéral, les jeunes diplômés du supérieur se trouvent en bas de l'échelle en termes d'insertion au marché de l'emploi. Le modèle du développement A cet égard, M. Bedoui met l'accent sur « la nécessité de repenser le modèle du développement en engageant le pays dans une transition vers un modèle de développement durable, intensif et équitable. Cette transition équitable ne pourrait en aucun cas être réalisée par le marché et nécessite par conséquent une mise en place de conditions préalables à sa réalisation ». Pour instaurer un modèle de développement intensif, il reste indispensable de diversifier les activités économiques et de promouvoir les activités à contenu technologique et les emplois à haute qualification, recommande Abdeljali Bedoui. Ce n'est pas tout, le spécialiste propose aussi « de consolider le tissu économique sur la base de construction de filières de production, de l'établissement de fortes articulations et l'adéquation entre le système productif et le système de formation et de la recherche ». Les solutions ne manquent pas. En effet, l'expert en économie propose également, de « renforcer l'intégration territoriale afin de permettre la valorisation des richesses et des spécificités de toutes les régions ». En plus de ces facteurs, M. Bedoui parle de l'importance de protection de l'environnement. « Pour être durable, ce développement intensif doit être attentif et respectueux de son environnement naturel, d'une part et équitable dans la répartition de la richesse entre les régions, les générations et les catégories sociales d'autre part ». Les efforts Les efforts fournis par les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir n'ont abouti à rien. « Jusqu'ici, la transition vers ce type de modèle n'a pas pu être réalisé dans le cadre d'une régulation purement marchande », explique M. Bedoui. Il précise à ce niveau que « cette dernière a débouché plutôt sur une permanence d'un modèle extensif se contentant de mobiliser des avantages comparatifs statiques consistant à exploiter et valoriser les richesses naturelles et à utiliser une main d'œuvre non qualifiée et à bon marché dans certaines activités orientées vers l'exportation. Dès lors, pour remédier à cette situation, l'Etat doit miser entre autres, sur « les créneaux porteurs » dans le domaine de l'industrie. Il est essentiel par ailleurs, de créer une synergie entre l'Etat et le marché en général et le secteur public et le secteur privé en particulier », recommande l'expert. Mais sera-t-il en mesure de convaincre le régime au pouvoir d'autant plus que nous sommes en phase transitionnelle ? Les partis politiques auront-ils l'audace et la loyauté de prendre en considération ces recommandations pour rassurer les jeunes chômeurs et gagner peut-être la sympathie d'un grand nombre d'électeurs ? Sana FARHAT Et l'emploi informel en Tunisie ? En Tunisie, la part du secteur informel dans l'emploi non agricole se situe entre 42 et 50 %, selon les chiffres de la Banque Mondiale affichés en 2008. Le chiffre n'est plus certes d'actualité, mais les mêmes sources précisent que 21,8 % parmi ceux qui travaillent dans l'illégalité sont des diplômés du supérieur. Ce constat inquiète les spécialistes qui parlent de la « tendance d'informalisation de l'emploi d'une part et de la participation non négligeable des diplômés du supérieur à cette informalisation d'autre part », critique Abdeljalil Bedoui. Autre constat pas très rassurant, c'est la tendance à la précarisation de l'emploi et à l'accroissement de son caractère assisté. L'économiste précise ainsi que « la part de l'emploi atypique dans l'emploi total à atteint environ la moitié avec 44 % des emplois créés sans aucun contrat ». La démarche adoptée lors de la « phase de la transition libérale » a eu un impact aussi bien sur les salariés que sur les employeurs, les caisses de sécurité sociale et le budget économique de l'Etat. « Même les entreprises qui pensent bénéficier de cet emploi précaire et flexible qui leur facilite l'utilisation de l'emploi et des salaires comme des variables d'ajustement à court terme, elle ne seraient par pour autant gagnantes à la longue en termes de productivité de travail, d'expérience et d'apprentissage des travailleurs, et leur attachement… »