C'est dans le cadre d'une mission d'expertise que nous avons effectué un voyage à Monastir en deux épisodes. Le premier a consisté à visiter le palais de Skanes édifié pour les séjours d'été du Président Bourguiba à Monastir. La mission devait donc évaluer les œuvres d'art et de métiers d'art que le palais contient. Le deuxième, pour assister à la réouverture de ce palais au public suite à sa réhabilitation très réussie après 50 années d'existence, dont 25 ans d'abandon et d'oubli voulus et programmés. Nous avons découvert que ce petit palais (en fait une grande demeure) très simple, semble fonctionnel et renferme une mine de belles choses comme ces tapisseries réalisées à Gafsa, ces rampes d'escaliers en fer forgé, ces fresques de céramiques de Gorgi et de « Mouche » qui animent un parc de 50 hectares à l'époque, ces naqch hadidah...etc. Nous avons été surpris de trouver des trésors en métier d'art, en portraits de peinture dans ce palais aujourd'hui, enfin réhabilité. Le mérite de tout cela revient à ceux qui ont, quels qu'ils soient, pris la décision de réhabiliter cet espace historique et confier ce travail à un architecte très compétent et à son équipe très performante, mais aussi à notre collègue Salwa Zangar, pour avoir fourni les indications documentaires utiles et des informations multiples qui lui ont été fournies, à l'époque, par le président Bourguiba lui-même, sur son périple politique, sur ce qu'il a voulu faire de Skanes...etc. Nous relaterons très bientôt ce que nous avons découvert dans ce palais très modeste de SKANES comme œuvre d'art dans une livraison prochaine de ce journal. Nous exprimons déjà notre bonheur d'avoir assisté à la réhabilitation d'un espace qui a été pendant très longtemps méprisé et qui a connu la désolation, l'abandon et la liquidation de son parc paysager rien que parce qu'il faisait de l'ombre à leur gloire facilement acquise et qu'il a été surtout habité par Bourguiba, un homme que nous avons , à tort ou à raison, combattu et qui s'avère être à la lumière de ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays comme un grand Tunisien qui a prévu avec perspicacité, les méfaits actuels de l'ignorance. Le musée du costume traditionnel Le voyage au palais de Skanes nous a permis de revoir la ville même de Monastir. Nous pouvons dire qu'autant la visite du palais de SKANES nous a vraiment réjouis, autant celle de la visite de Monastir nous a attristés. La ville semble avoir perdu de son aura. Les rues et les chaussées sont défoncées, les détritus éparpillés un peu partout, les constructions illégales se multiplient....Monastir la belle, n'a plus rien à envier à toutes les villes de notre pays. C'est la désolation qui règne et qui pénètre partout et jusqu'aux espaces culturels. L'un des espaces que nous avons visités, en dehors du Ribat, est celui de ce qui est convenu d'appeler « Musée du costume traditionnel de Monastir » ; ce musée existe depuis les années 80 et a été instruit par notre collègue Adel Khaznaji et peut être aussi par Feu Fethia Skhiri. Est-ce une salle permanente d'exposition ou un musée pris dans son sens traditionnel ? Nous ne le savons pas. Ce qui est sûr, c'est qu'il rassemble un très grand nombre de costumes traditionnels féminins et masculins. Les collections proviennent de plusieurs régions de Tunisie mais des régions du Sahel, proposent, plus que les autres, des collections de Mokhnine, d'El Djem, de Monastir...etc. Les costumes exposés le sont dans des vitrines autrefois bien entretenues. Les costumes féminins sont les plus nombreux et ils couvrent des événements importants de la vie comme le mariage, la vie quotidienne...etc. Les costumes féminins de mariage montrent des composantes essentielles comme la fouta, blousa, mais aussi la Keswa de la mariée, quelques farmla, Kmaja sont également montrées. Des tuniques larges pour les nouvelles mariées avec ou sans ceintures, sont exposées. Les collections de costume sont nombreuses, diverses, très techniquement élaborées, utilisant des matériaux très riches. Ces costumes illustrent différents types de vêtements comme les vêtements de port extérieur ou les drapés, les vêtements coupés comme le burnous, la jallabia, le Koftane et la Jebba. Certains autres vêtements de dessous, comme le gilet, la robe, la chemise ou le seroual sont mis en valeur. Les costumes coupés le sont généralement dans du satin de soie et garnis de riches broderies en cannetille d'argent doré avec un fond qui disparait quelquefois sous la broderie. Les collections montées sont apparemment couteuses et significatives. Leurs significations anthropologiques sont aussi importantes que l'esthétique qui les sous-tend ainsi que les différentes symboliques qu'elles recèlent, c'est dire leur importance aussi bien au niveau de la tradition qui les ont vues naitre qu'au niveau de leur valeur que de la nécessité de les sauvegarder et de l'entretien continu que nous devons leur prodiguer surtout qu'elles risquent de disparaitre. En fait, les femmes tunisiennes du Sahel ou d'ailleurs, n'ont plus le loisir, ni le temps, ni l'argent d'ailleurs pour tisser ou broder elles mêmes leurs vêtements. De profondes mutations que connait le monde d'habiller de la femme et de l'homme, mais aussi le mode de vie augurent d'un avenir incertain pour le maintien de beaucoup de nos traditions. Comment faire pour les sauvegarder ! La solution de les conserver dans un musée est une mesure conservatrice du moins comme première mesure en attendant de s'en inspirer pour les faire évoluer et leur imprimer de nouvelles formes et fonctions. Nous constatons que la solution du musée, en principe valable, n'est pas accomplie dans de bonnes conditions à Monastir. Le Musée du costume vit des jours sombres. Aucune condition même minimale de sauvegarde n'est pourvue. L'entretien inexistant. Les aérations spécifiques à des musées du costume n'existent pas. Les vitres des fenêtres sont brisées. Le système électrique est défaillant. Les lampes et les projecteurs sont grillés. L'humidité règne sans partage et provoque des dégâts dans les costumes et des moisissures sur les broderies à fils d'argent surtout...etc. Sur le plan muséologique très rudimentaire, aucun document n'est disponible, pas de notice explicative, pas de carte postale offerte aux visiteurs...etc. Le personnel n'est pas formé pour fournir quelques indications ou commenter les collections même d'une façon lapidaire. Les entrées très rares sont émaillées d'incidents. Des visiteurs ont protesté devant le manque d'indication et d'entretien (toilettes qui fuient) et ont même exigé leur remboursement de 5,000 l'entrée dans un musée peu muséologique ! Nous sommes nous-mêmes désarçonnés devant tant de désinvolture muséologique. Où sont les responsables des musées nationaux ? Peut être sont ils en train de goûter leur victoire sur ceux qui les ont précédés ; certains cadres et chercheurs compétents et expérimentés de l'INP ne sont plus sollicités pour remplir la tâche pour laquelle ils ont été formés durant de longues années. Ces problèmes ne sont plus discutés ? Il n'y a pas encore de conseil scientifique de l'institution INP. Où pouvons-nous alors solutionner tous les problèmes vécus par l'INP et par la direction des musées. Il est temps d'impliquer dans la gestion, l'entretien de nos structures muséales des cadres compétents et jeunes. La solution d'octroyer à des archéologues, épigraphes, ou simples chercheurs la responsabilité de la direction de nos musées n'est plus de mise. Une politique muséale ne peut être conçue et gérée par une seule personne. Réaliser cela ne peut être fait qu'à travers un travail collectif où les compétences et les spécialistes formés dans ce sens sont surtout les jeunes qui doivent prendre en charge l'avenir de notre patrimoine, s'associant les chercheurs compétents et expérimentés et la société civile en charge de ce secteur. Octroyer la responsabilité d'un secteur aussi stratégique pour notre culture, notre mémoire collective et historique à une seule personne quelle qu'elle soit, n'est plus possible !