Transmise vendredi au président de la République et au chef du Gouvernement, la dernière mouture du projet de la Constitution aborde la dernière ligne droite de son parcours. La discussion article par article du texte par l'Assemblée nationale constituante (ANC) est prévue pour le 1er juillet prochain. Défendu par le mouvement islamiste Ennahdha et le Forum Démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), tous deux membres de la coalition gouvernementale au pouvoir, ce projet a également reçu le soutien d'Al-Joumhouri, l'un des principaux partis d'opposition dirigé par Ahmed Néjib Chebbi et Maya Jeribi. Fruit de plus de seize mois de débats houleux, le texte contient d'incontestables avancées. Il prône, en effet, un «Etat civil», qui «garantit la liberté de croyance et le libre exercice du culte». Le préambule du draft définitif du projet de Constitution adopte aussi «les principes universels des droits de l'homme» et garantit le droit de grève, l'accès à l'information, la liberté d'expression et l'égalité homme-femme. Ennahdha a également fait d'autres concessions. Partisan d'un régime parlementaire, il a accepté récemment l'existence d'un régime mixte. Que de chemin parcouru depuis début 2012, époque durant laquelle les élus d'Ennahdha prônaient l'inscription de la Chariaâ dans la Constitution. L'opposition conteste, quant à elle, plusieurs «ambiguïtés» contenues dans le draft définitif de la Constitution. Les opposants s'insurgent notamment le fait que la mention les principes universels des droits de l'homme s'accompagne de la précision : «Dans la mesure où ils sont en harmonie avec les spécificités culturelles du peuple tunisien.» Ils brocardent aussi tout un chapitre relatif aux dispositions transitoires qui retarde l'entrée en vigueur de la Constitution et la mise en place d'une Cour constitutionnelle parfois jusqu'à trois ans. Recours devant le Tribunal administratif Selon l'opposition, l'article 1er et l'article 141 énoncent deux identités et deux Etats qui s'opposent et s'annihilent. Pendant que l'article 1er et son consensus intrinsèque consacre la nature de l'Etat civil, l'article 141 stipule qu'aucune réforme constitutionnelle «ne peut porter atteinte à l'islam en tant que religion de l'Etat». Menant une bataille sur tous les fronts, les pourfendeurs de la dernière mouture de la Constitution se sont adressés à la Justice et au président de la République pour tenter de bloquer l'adoption du texte controversé. Vingt-trois députés de l'opposition et du CPR ont, en effet, introduit un recours devant le Tribunal administratif pour annuler les modifications apportées par la commission mixte de coordination aux rapports des commissions constituantes. Parallèlement à ce recours, soixante députés ont signé une pétition dans laquelle ils expriment leur opposition au projet de Constitution qui sera soumis au débat le 1er juillet. Ces mêmes élus ont dépêché une délégation au Palais de Carthage pour expliquer leurs griefs au président de la République Moncef Marzouki. Ce dernier aurait promis de s'opposer à l'adoption de la Constitution dans son état actuel, selon le député Hichem Hosni. Le porte-parole de la présidence de la République, Adnène Mansar, s'est, toutefois, empressé vendredi de déclarer que le président de la République provisoire fera connaître sa position sur la Constitution, au terme des concertations qu'il mène et une fois que lui serait remise la copie du draft final. «Seuls le président de la République et le porte-parole de la Présidence sont habilités à communiquer les positions officielles de la Présidence», a-t-il précisé dans une déclaration. M. Mansar a, cependant, indiqué qu' «il est impératif d'aboutir aux compromis nécessaires autour de la Constitution avant la discussion, en plénière, du texte fondamental, afin d'éviter la perte de temps et le recours au référendum qui pourrait diviser, à nouveau, les Tunisiens». Il a aussi estimé que «les efforts déployés dans l'élaboration de la Constitution n'excluent pas l'existence de plusieurs lacunes qui pourraient être évitées grâce au dialogue et au rapprochement des points de vue». Le référendum, un saut dans l'inconnu Le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfer, a, toutefois, indiqué que la position de Marzouki importe peu et que le projet de Constitution sera soumis au débat article par article dans les délais impartis. «Contrairement à ce qui a été diffusé, le président de la République, Moncef Marzouki, n'a aucune compétence pour refuser de signer le draft de la Constitution qui lui a été envoyé. D'ailleurs, ce même draft lui est soumis pour simple information et non pour solliciter son aval ou son feu vert», a-t-il précisé. M. Ben Jaâfer a, néanmoins, indiqué que l'ANC se pliera au jugement du Tribunal administratif s'il déclarerait le draft final de la Constitution nul et non avenu. «Nous exécuterons tout jugement qui sera rendu par le Tribunal administratif. Seulement, ce tribunal a pour mission de trancher dans les conflits à caractère administratif et je ne pense pas qu'il va s'ingérer dans les questions à caractère législatif». Au regard de ces tiraillements persistants, il semble extrêmement difficile à la Constitution en l'état de réunir les 2/3 nécessaires pour la ratification finale. Raison pour laquelle de plus en plus de députés évoquent la possibilité du recours à un référendum. « En cas de refus de reprise du dialogue national sur les articles controversés, nous irons droit vers le référendum. L'actuel draft de la Constitution n'obtiendra jamais les 2/3 des voix à l'Assemblée », a indiqué hier le député Samir Bettaïeb, membre du bloc démocratique (opposition). Aux yeux du président du bloc démocratique, Mohamed El Hamdi, l'option du recours à un référendum s'apparente à un saut dans l'inconnu. «Un référendum sur la Constitution est un processus dont les aboutissements sont incertains car on ne saura plus quoi faire en cas de rejet du texte par les Tunisiens », a-t-il fait savoir. Un rejet de la Constitution suite à un référendum risque, en effet, de remettre le compteur de la transition démocratique à zéro. Cela est d'autant plus vrai que l'organisation provisoire des pouvoirs publics ne dit pas s'il faut rédiger de nouveau un autre texte fondamental par la même Assemblée constituante ou élire une autre constituante…