L'attentat perpétré avant-hier contre Mohamed Brahmi, Constituant à l'A.N.C., Coordinateur général du Mouvement « Echâab » et membre influent du Front Populaire a visé trois cibles en fait : le député qui refuse de suivre « la voie » (sekka) tracée par Ennahdha et la Troïka, le nationaliste arabe qui a rapproché « Echâab » du parti de la Gauche extrémiste (pas forcément à cheval sur les questions de l'identité arabo musulmane du peuple tunisien) et enfin le militant du Front Populaire, une coalition plus que jamais remontée contre l'Assemblée Nationale et le gouvernement d'Ali Lâarayedh, et qui se rapproche nettement de Nida Tounès principal rival d'Ennahdha. Pour n'être pas rentré dans les rangs, Mohamed Brahmi a payé de sa vie des « rectifications » politiques mal perçues par l'équipe dirigeante actuelle qui espérait sans doute compter sur sa collaboration pour provoquer l'éclatement du Front Populaire, rôle qu'Ahmed Néjib Chebbi allait peut-être jouer dans l'effritement et l'affaiblissement de l'Union pour la Tunisie.
La nouvelle «rédemption» de Chebbi
A propos de Chebbi justement, nous l'avons entendu avant-hier, immédiatement après le crime odieux, décréter la fin du Gouvernement et appeler à la dissolution de l'Assemblée Nationale dont il fait partie. Ce revirement express coïncide malheureusement avec la démission de plus de cent militants d'Al Jomhouri, dont Saïd el Aïdi qui paraît-il n'accorde plus de préjugé favorable au Président de son parti dans ses initiatives conciliantes avec la Troïka. Si Ahmed Néjib Chebbi compte s'être racheté en se rangeant de nouveau du côté de l'Opposition, il se leurre dangereusement. Le grand risque pour lui, à présent, est de perdre complètement le crédit dont il bénéficiait relativement au sein de l'Union pour la Tunisie et auprès des militants du Front Populaire. Ces deux coalitions de l'Opposition peuvent momentanément faire fructifier la « rédemption » de Si Néjib dans leur conflit avec la Troïka ; mais plus tard, personne ne traitera plus les yeux fermés avec le Président fondateur d'Al Jomhouri. Pas même les partis alliés de la Troïka à qui il vient de fausser compagnie. Jeudi soir, Ajmi Ourimi entretenait encore l'espoir d'une position plus nuancée de Chebbi vis-à-vis du Gouvernement. Mais avoir le cul entre deux chaises, est-ce une posture qui sied encore à Si Néjib et au duo qui le soutient, à savoir Maya Jéribi et le frère Issam? A propos de ce dernier, il semble en toute circonstance subir le droit d'aînesse que le frangin Néjib fait peser sur lui ! Mais alors où est passée Maya ? Cherchez la femme !
Un cran de plus dans la véhémence de l'Opposition
Mis à part donc le « rectificatif » de la bande à Chebbi, on n'enregistre pas encore de revirement notoire dans le rapport des partis avec la Troïka suite à l'assassinat de Mohamed Brahmi. A moins d'estimer l'appel d'Ahmed Mestiri (rapporté sur Facebook) à la dissolution de l'A.N.C. et de toutes les autorités issues de celles-ci, comme un soudain virage à gauche de ce « vieux » parti, désormais sans poids réel dans la balance politique et électorale. En revanche, nous pouvons remarquer que Nida Tounès, le Front Populaire et plusieurs autres petits partis de gauche et organisations (ou associations) de la société civile ont tiré les enseignements de leurs « erreurs » successives au meurtre de Chokri Belaïd. Cette fois, le Front de Salut National est très rapidement créé pour réunir d'emblée une trentaine de formations, en attendant le ralliement d'autres partis de l'Opposition, dont justement Al Jomhouri (si tant est qu'il existe encore, de fait !). Autre changement tactique de poids : l'Opposition appelle désormais à la mobilisation de la rue jusqu'à la chute de la Troîka.
Elle appelle donc à des manifestations « pacifiques » de longue haleine dans toutes les villes du pays, et ce faisant elle corrige « l'erreur » du 8 février dernier lorsque le cortège funèbre de Belaïd ne s'était pas achevé par une marche massive sur l'Avenue Habib Bourguiba. En même temps, elle s'adresse à l'armée et à la police pour leur demander de ne pas violenter le soulèvement de la population à défaut de le soutenir ! Quant à l'UGTT, nous n'avons pas le sentiment qu'elle a décrété la grève générale de vendredi avec la même conviction qu'au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaïd. La centrale syndicale s'apprêtait avant-hier à entamer sous son égide un troisième round de « Dialogue National » qui aurait pu « sauver la face » de la Troïka et lui faire gagner beaucoup de temps. Aujourd'hui, nous la trouvons comme embarrassée de devoir adopter une position peu conforme à son ambition de jouer un rôle de premier ordre dans l'assainissement du climat politique ambiant marqué par une nette recrudescence de la violence partisane.
Ennahdha plus homogène que jamais Comment réagit Ennahdha à l'assassinat de Mohamed Brahmi ? Tous les responsables nahdhaouis adoptent le même langage ! Même les figures de proue de l'aile des « colombes » crient au complot contre la Troïka et le parti de Rached Ghannouchi. Ni Abdelfattah Mourou ni Samir Dilou ni Hamadi Jebali n'ont « déraillé » cette fois. Le train d'Ennahdha ne quitte plus sa « sekka » royale. On le sent même co-piloté par plus d'un « guide » islamiste, ou du moins plus ouvert sur les « techniciens » chevronnés des autres partis et organisations religieux. En effet, la cause fédératrice est désormais le jihad contre l'Opposition anti « légitimiste » ! C'est une question de vie ou de mort pour toutes les formations intégristes aujourd'hui orphelines de l'appui symbolique des Frères Musulmans d'Egypte. Si donc il y a « rectification » au sein d'Ennahdha, c'est que cette fois-ci sa bannière abrite une vaste coalition de mouvances islamistes qui n'exclut pas ses formations les plus radicales. C'est pourquoi nous voyons mal la Troïka accuser des islamistes extrémistes d'avoir perpétré le crime contre feu Brahmi. Au fait, le chef du Gouvernement a prononcé le qualificatif « martyr » en évoquant ce jeudi le constituant assassiné. Concession lexicale qu'il n'a pas consenti après l'attentat visant Chokri Belaïd !
Télévision : des rectificatifs à la chaîne !
Parlons un peu maintenant de nos chaînes de télévision. L'assassinat de Mohamed Brahmi a quelque peu « échappé » à Nessma TV qui, vous vous en souvenez, avait remporté l'exclusivité sur la couverture et le commentaire des différents événements successifs à l'assassinat de Chokri Belaïd. Cette fois, c'est Hannibal TV, une chaîne rivale, qui a « sauté » la première sur l'aubaine comme pour rattraper sa défaillance de février dernier. Figurez-vous que même Ettounssiya 1 de Slim Riahi, n'a pas manqué le rendez-vous. Elle diffusa une drôle d'interview avec Ahmed Seddik (leader bâathiste tunisien). Pourquoi drôle ? Pour deux raisons au moins : l'animateur de l'émission est une figure inoubliable de la caméra cachée diffusée au mois de Ramadan 2012 sur la première chaîne nationale. En suivant l'interview et les postures du journaliste, nous ne pouvions nous empêcher de retrouver l'ambiance du divertissement d'il y a un an. Le sérieux quasi contrefait des deux protagonistes de l'émission, leur jeu de question-réponse dénué d'originalité, le décor presque sordide où se déroulait la rencontre, tout ou presque faisait penser à une « caméra cachée » ! Deuxième raison : les répliques d'un autre temps livrées par Ahmed Seddik. « Nous ne bougerons pas de nos positions », « nous ne nous retirerons pas de la place publique », « nous ne capitulerons pas », « nous ne transigerons pas », « nous les mettons en garde » : en bref, des formules qui ressuscitent la verbosité fallacieuse des anciens et actuels leaders nationalistes arabes, visiblement coupés de leur réalité sombre et honteuse. D'ailleurs, sur d'autres chaînes de télévision, nous avons déploré la même logorrhée stérile chez d'autres militants nationalistes de Tunis ou de Sidi Bouzid. Manifestement, le temps et les bouleversements historiques contemporains n'ont pas d'effet sur nos orateurs du panarabisme ! En ce qui concerne la Nationale 1, cette fois elle a laissé passer sans censure aucune et avec une parfaite netteté de son les slogans virulents dirigés contre Rached Ghannouchi. C'est ainsi que dans les VPR qu'elle a diffusés, les protestataires répétèrent à volonté la fameuse apostrophe : « ya ghannouchi ya saffeh ya qattel laroueh » qui fait du chef suprême d'Ennahdha le pire des dirigeants sanguinaires! Terminons avec Ettounssiya de Sami Fehri (captée sur la fréquence d'Al Hiwar de Tahar Ben Hassine) elle a porté le deuil durant une bonne partie de la journée et de la soirée de jeudi dernier. En même temps, elle diffusait des télétextes de mobilisation générale contre la Troïka. Comme pour prouver que psalmodie du Coran et Révolution anti islamiste peuvent aller de pair !