• Pourvu qu'elle ne serve pas de prétexte comme des temps de l'ancien régime La Tunisie s'apprête à se doter d'une nouvelle loi sur la lutte contre le terrorisme devant remplacer la loi du 10 décembre 2003. Une conférence internationale a été organisée, hier, au siège du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, au cours de laquelle il a été procédé à la présentation d'une nouvelle loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent qui devrait être adoptée prochainement par l'Assemblée nationale constituante et remplacer celle de 2003. L'évènement est de taille à la lumière des menaces et attaques terroristes qui ne cessent de cibler la Tunisie, ces derniers mois. Aussi, la séance d'ouverture de la conférence a été rehaussée par la présence du Président de la République, Moncef Marzouki, du Président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jâafar, et du Chef du gouvernement, Ali Lâarayedh, outre les membres du gouvernement. Non à l'instrumentalisation Présentant les dispositions du projet de la nouvelle loi tunisienne sur la lutte contre le terrorisme, le juge Hafedh Lâabidi a indiqué que l'ancienne loi de décembre 2003 comportait plusieurs lacunes et qu'elle avait été instrumentalisée par l'ancien régime à travers son utilisation à des fins politiques pour limiter les libertés ainsi que pour réprimer les opposants politiques et les opinions différentes. Il a ajouté que du point de vue purement technique, la loi de 2003 donnait au crime de terrorisme une définition vaste qui englobe les crimes de droit commun et punit sur la base de la simple présomption, tandis qu'elle ne garantit pas suffisamment les droits de la défense et des procès équitables. La nouvelle loi a été élaborée par une commission composée d'experts des ministères concernés comme les ministères de la Justice, de l'Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères ou encore le ministère des Finances. La commission a travaillé durant près d'un an, et ses travaux ont été couronnés par l'organisation d'une conférence internationale sur le sujet, au mois de mais dernier. La conclusion a été de supprimer certaines dispositions de l'ancienne loi, d'en modifier certaines autres dispositions et d'ajouter de nouvelles dispositions. La nouvelle loi tient compte des conventions internationales pertinentes ainsi que de l'approche tunisienne, fruit de l'expérience. Commission nationale S'agissant de la teneur de la nouvelle loi tunisienne sur la lutte contre le terrorisme, le juge Hafedh Lâabidi a indiqué que cette nouvelle loi stipule, en particulier, la création d'une commission nationale chargée de la lutte contre le terrorisme appelée « commission tunisienne de lutte contre le terrorisme et son financement », et rattachée à la présidence du gouvernement. Elle est présidée par un juge de troisième classe et comprend 10 membres dont 9 experts représentant les ministères les plus concernés et un représentant de la commission des analyses financières. Son rôle est d'aider à la mise en place des programmes et des politiques en matière de lutte contre le terrorisme, de recueillir des données à ce propos et de produire des statistiques, parallèlement à la participation à la diffusion de la culture relative au phénomène du terrorisme, grâce aux diverses actions de sensibilisation. La création de cette commission rejoint une demande présentée à ce propos par différentes parties dont les syndicats de police. Le projet de loi donne des définitions précises des organisations terroristes et des crimes terroristes ainsi que les peines encourues. Il estime que le crime terroriste est l'acte qui est commis dans le cadre de la mise en application d'un projet individuel ou collectif visant, de par sa nature, à semer la terreur parmi les habitants ou à amener un Etat ou une organisation internationale à faire quelque chose ou à s'abstenir de le faire. Dans cette perspective, l'assassinat d'une seule personne commis de ce point de vue est un acte terroriste, comme les assassinats politiques. Les peines peuvent aller jusqu'à la prison à vie lorsque le crime porte sur l'assassinat d'une ou plusieurs personnes ou occasionne des préjudices énormes aux victimes. Le juge Hafedh Lâabidi a affirmé que l'objectif est la prévention du terrorisme au moyen de la dissuasion dans le respect des Droits de l'Homme lors de l'application de la loi. La nouvelle loi qualifie comme crimes terroristes l'appartenance à des organisations terroristes, le recrutement de personnes au profit des organisations terroristes à partir du territoire tunisien, la préparation des actes terroristes et l'incitation aux actes terroristes, ainsi que les actes de soutien aux terroristes comme la fourniture des armes et de l'argent, l'approvisionnement en denrées alimentaires et la mise de compétences et de l'expertise à la disposition de groupes terroristes, parallèlement à la rétention des informations relatives à des projets terroristes et à tout ce qui peut avoir un rapport avec des actes terroristes. Les avocats sont exceptés dans certaines limites, sauf lorsque les informations peuvent empêcher la commission d'un acte terroriste. Interception des communications La nouvelle loi confère au tribunal de première instance de Tunis la compétence d'examiner les affaires liées aux crimes terroristes et exclut la compétence des tribunaux militaires. Elle a élargi aussi la compétence de la justice tunisienne en la matière, comme l'examen d'une attaque terroriste ciblant un bateau portant pavillon tunisien ou un avion dans l'espace aérien tunisien. Concernant les méthodes d'enquêtes et d'investigations, la nouvelle loi permet à la justice et à la police judiciaire sous la supervision du juge d'instruction l'interception des communications des personnes et leur mise sur écoute. Pour ce qui est de la protection et de l'assistance des victimes des actes terroristes, la nouvelle loi a conservé les dispositions de l'ancienne loi de 2003, s'agissant notamment de l'assistance des victimes pour obtenir des réparations aux dommages qui leur ont été causés. En matière de coopération internationale, il a été stipulé le principe de ne pas fournir un abri sûr aux terroristes, ce qui implique le devoir de leur extradition, sauf dans les rares cas où il y a crainte réelle sur l'atteinte à leur intégrité physique et morale. Dans cet ordre d'idées, le président de la République Moncef Marzouki a insisté pour que la loi ne soit pas un prétexte à des mesures exceptionnelles justifiant des atteintes aux Droits de l'Homme, affirmant que la Tunisie rejette la violence et l'extrémisme et appelant à ce que le traitement sécuritaire du phénomène terroriste soit soutenu par des réformes et des révisions radicales des politiques de développement dans les divers domaines dans la mesure où le terrorisme est tributaire de nombreux facteurs exogènes et endogènes liés à l'incapacité des politiques de développement à satisfaire les aspirations populaires. De son côté, le ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, Samir Dilou, a réitéré le rejet de la Tunisie de la violence, soulignant l'importance du respect des Droits de l'Homme dans la lutte contre le terrorisme, car le terrorisme se nourrit souvent du non respect des droits de l'homme.