Avant-hier, la démission de M. Hafedh Ben Salah était bel et bien vérifiée et ne souffrait même d'aucune réserve. Cela faisait déjà quelques jours que le ministre de la Justice s'était mis en retrait, faisant part au chef du Gouvernement, Mehdi Jomaâ, de sa décision de se démettre. Hier, le bureau de presse du ministère faisait circuler une note dans laquelle on lit (nous traduisons) : « Le ministère de la Justice des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle informe que, ces derniers jours, des difficultés ont été rencontrées dans le traitement d'un nombre de dossiers inhérents à la Justice et qui ont fait l'objet de discussions et de concertation entre le ministre et le chef du gouvernement et qui ont abouti à une plate-forme idoine pour aplanir ces difficultés. M.Hafedh Ben Salah a été à son bureau aujourd'hui (hier), au sein du ministère et a directement poursuivi ses fonctions ». C'est, sans doute, l'une des rares fois qu'on a affaire à un communiqué qui se voulait laconique, mais qui n'infirme ni ne confirme la démission, en un premier temps, du ministre de la Justice. Mais, à travers l'ambivalence qui domine dans ledit communiqué, on décrypte la teneur des difficultés qu'il évoque, inhérente à la Justice et qui ne concernent guère les droits de l'Homme et la Justice transitionnelle. Que le communiqué révèle encore la tenue de discussions et de concertation entre le ministre et le chef du Gouvernement et qui ont abouti à une « plate-forme », cela, entre les lignes, signifie qu'il y eu dissensions, visions divergentes entre Hafedh Ben Salah et Mehdi Jomaâ et que la plate-forme n'est toujours qu'un modus vivendi, (c'est-à-dire, un accord qui ne signifie pas cohésion ni harmonie des vues) ; modus vivendi grâce auquel on sauve les meubles, évitant une sérieuse crise gouvernementale, en ces temps où l'on assiste, de partout, à une levée de boucliers. En fait, cela faisait un moment déjà que le ministre de la Justice faisait front au corporatisme des juges et ne trouvait réellement pas le moyen de décoder une certaine loi de l'Omerta qui règne dans certains arcanes. De surcroît, le syndicat des magistrats et l'Association des magistrats dont les rapports ne sont pas réellement idylliques dépassent leurs champs d'action respectifs avec des immixtions dans les prérogatives du ministre. D'un côté, on le presse de diligenter le réexamen des dossiers au cas par cas des juges limogés ; de l'autre, des forces occultes, roulant encore pour la justice instaurée par les gouvernements de la Troïka, tendent à l'en dissuader. Le dépit majeur, croit-on savoir, concerne le mouvement des magistrats et la reconduction de certains d'entre eux, à leurs postes après l'échéance de la retraite. C'est ce dossier volumineux qui aurait été à l'origine de divergence de vues avec le chef du Gouvernement. Car, une telle mesure a déjà suscité la protestation (avant même qu'elle ne soit décrétée) de l'Association des magistrats de la bouche de sa présidente Raoudha Karafi qui juge que la prorogation des fonctions d'un juge après la retraite se fait par décret du chef du Gouvernement, ce qui signifie une mainmise de l'exécutif sur le cops des magistrats. Elle suggère aussi que de telles mesures doivent être généralisées dans le cadre d'une loi organique portant l'âge du départ à la retraite des juges à 64 ans. Hafedh Ben Salah pencherait plutôt pour cette solution ce qui ne serait pas du goût de la présidence du gouvernement. Et ce serait, en définitive, pour éviter qu'on ne l'accuse de mainmise sur les juges que Hafedh Ben Salah aurait recouru à la démission. En fait, Hafedh Ben Salah est dans la situation inconfortable de quelqu'un qui est assis entre deux chaises. Entre deux feux, en d'autres termes...