Le poste frontalier de Ras Jédir est de nouveau sur la sellette avec le flux des réfugiés fuyant précipitamment la Libye en proie encore une fois aux troubles sanglants opposant des milices armées. Le conflit, gagnant en ampleur et en intensité, fait de plus en plus rage, à Benghazi et autour de la capitale Tripoli, contraignant les familles libyennes, et les travailleurs étrangers à se convaincre à quitter les lieux, d'autant que certaines ambassades avaient déjà commencé d'évacuer leur personnel diplomatique accrédité et leurs ressortissants. Ce flux des réfugiés en provenance du territoire libyen à destination de Ras Jédir, même s'il a gagné en ampleur aux premiers jours de l'éclatement du conflit armé entre les deux milices rivales de Mistrata agissant à la solde des islamistes, et de Zenten, le bras armé des libéraux et des nationalistes, n'est pas à comparer, à vrai dire, avec l'exode massif spectaculaire enregistré en 2011 lors de l'avènement de la révolution libyenne. On est bien loin, en effet, des scènes des ruées ininterrompues des réfugiés, toutes nationalités confondues, sur Le poste frontalier de Ras Jédir quasi laissé à l'abandon du côté libyen, et du déferlement des marées humaines chargées de bagages de fortune et...de douleur, en marche vers le camp de Choucha dont il ne reste à présent que les vestiges de quelques tentes de fortune occupées encore quand même par les quelques dizaines de tenaces candidats à l'exil y vivotant. Dimanche 3 août, soit une semaine après l'avènement des premières ruées survenues dès la fin du mois saint de ramadhan, le flux de nos voisins libyens n'a rien de surprenant ; le calme est de rigueur le long de la route menant à Ben Gardane et Ras Jédir et le trafic routier est loin d'être des grands jours. Contre toute attente dans de pareilles circonstances, le nombre de voitures libyennes croisées en provenance des frontières était insignifiant, très en deçà de la normale, cependant que, au même moment dans l'autre sens, d'autres voitures étaient en route vers Ras Jédir pour rentrer au pays, en dépit des nouvelles peu rassurantes. Quant aux inconditionnels seigneurs du commerce informel, qu'il pleuve ou qu'il vente, ils sont toujours les plus en vue, tenant farouchement à leur besogne juteuse. Les seules voitures tunisiennes circulant dans les deux sens, en dehors des véhicules de l'armée et de la police, sont conduites par ces infatigables affairistes, facilement identifiables à l'état piteux auquel elles sont réduites et aux marchandises dont elles sont chargées ; « Le grand flux des réfugiés des premiers jours nous a contraints à interrompre nos activités que nous venons de reprendre, confie un de ces commerçants de retour de Libye, et qui a tenu à préciser que la voie jusqu'à Sabratha est sûre et qu'elle ne présente pas de danger ». Aucun signe de confusion n'était à signaler, et tout était sous contrôle de la police et de l'armée qui passaient au peigne fin toutes les entrées. Les ressortissants égyptiens, les plus nombreux des réfugiés, sont tenus de l'autre côté des frontières, et leur admission, en vagues successives, demeure tributaire des dessertes aériennes mises en œuvre et des avions affrétés pour leur rapatriement à partir de l'aéroport international de Djerba-Zarzis. La réunion tripartite tenue samedi 02 août au siège du ministère des Affaires Etrangères a abouti à un accord consistant à tout mettre en œuvre en vue de faciliter le rapatriement des quelques six mille (chiffre estimé dimanche dans la matinée) personnes croupissant sous un soleil de plomb, dans des conditions inhumaines. Un vol a été déjà affrété dimanche, trois autres sont attendus lundi 4 août, le premier à 08 h avec 269 à bord, un deuxième à 14 h avec 319 passagers à rapatrier et un troisième prévu à 01 h du matin avec 260 à bord. Les libérateurs d'hier,... aujourd'hui des prédateurs et des bourreaux Les Libyens, majoritairement en provenance de Tripoli, arrivaient éreintés par les longues heures d'attente, gravement affectés par l'évolution dramatique des faits et l'issue sanglante du différend opposant les frères ennemis. Interrogés à leur arrivée, ils tenaient tous à signaler les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles évolue une population prise en otage dans une ville (Tripoli) soumise à des pénuries de denrées alimentaires et de carburant, et à des coupures intermittentes d'eau et d'électricité. Ils n'ont de critiques à adresser qu'au gouvernement libyen en place, absent de la scène, inexistant, inefficace et nul face à des milices arrogantes agissant à leur guise, qu'au Congrès national et au nouveau parlement élu qui n'arrive pas à tenir sa première réunion. Ils en veulent à ces milices endiablées, armées jusqu'aux dents, qui ont réduit leur belle ville à feu et à sang, à ces fous héroïques qui se cherchent, qui se chassent, qui s'entretuent et qui sillonnent les rues et les quartiers de la ville pour terroriser la population, pour déloger les familles, pour violer, et pour voler. Ces milices, aujourd'hui rivales, et ces déchaînés meurtriers ont pourtant bataillé pendant huit mois ensemble contre le tyran commun, soutenus, salués et applaudis par tout un peuple, accueillis triomphalement en libérateurs, en héros par le tout Tripoli au mois d'août 2011 ; à présent, ils sont maudits, métamorphosés en idéologues ignares, en despotes insensibles aux souffrances et aux malheurs de leurs concitoyens, en prédateurs sans scrupules, en bourreaux sans foi, aveuglés par la passion dévorante du pouvoir. Voilà un pays potentiellement habilité à se propulser haut dans la hiérarchie des pays en verve, à devenir la perle de la Méditerranée avec les richesses de son sous-sol, avec l'important legs patrimonial archéologique témoin de sa longue et richissime histoire, avec cette diversité paysagère à couper le souffle, qui sombre malheureusement dans l'anarchie et qui risque d'être frappé par la malédiction de l'obscurantisme. Quel gâchis ! Dommage !