Beaucoup de gens l'ont dit avant nous : les candidatures à la présidentielle tournent à la parodie et à la caricature. 73 dossiers présentés! De plus, des échos nous parviennent qui révoltent le plus flegmatique des observateurs : il paraît par exemple qu'une candidate dont personne en Tunisie (encore moins dans le monde) n'a entendu parler avant cette dernière semaine de septembre, a déclaré être soutenue par un milliard de personnes dans le monde et par les dirigeants des grandes puissances occidentales. Un ancien haut-fonctionnaire a même fourni le certificat médical qui atteste sa bonne santé physique et mentale. Un autre candidat a failli verser quelques larmes en se plaignant à la télévision de son manque de moyens pour rassembler un maximum de signatures ; un énième candidat s'est présenté comme indépendant alors qu'il est par ailleurs sur la liste d'un parti très connu ; on raconte aussi que certains parrains de candidats ont marchandé leurs signatures. A propos de signatures justement, il s'est engagé une drôle de compétition ces derniers jours entre les concurrents : chacun se prévalait du nombre de parrainages qu'il avait réunis ! Celui-là en a obtenu 15.000, l'autre 20.000, le troisième 30.000 et ainsi de suite jusqu'à 60.000 ! Un peu comme s'il s'agissait de voix déjà assurées en vue des élections. Chacun se dit par ailleurs candidat favori et surévalue ses chances pour devenir le troisième président (permanent et non provisoire) de la République tunisienne ! C'est la foire aux présidents chez nous ; en veux-tu, en voilà ! Et aux électeurs de se retrouver dans ce souk anarchique ! A l'aveuglette ! Parlons des électeurs justement : eux aussi ne sont pas exempts de reproches et méritent qu'on parle de leur souk non moins chaotique! Du temps de Bourguiba et Ben Ali, nombreux étaient ceux qui votaient les yeux fermés pour le parti au pouvoir, sans connaître les noms des candidats, ni même si ces derniers existent de fait ! Il y en avait qui participaient aux élections pour ne pas contrarier leurs patrons ou leurs épouses ou leurs enfants, voire leurs voisins ! D'autres ne cherchaient même pas à savoir s'ils étaient inscrits sur les listes des votants ou s'ils étaient considérés comme des défunts ! Aux élections d'octobre 2011, tous ces scénarios se sont reproduits, semble-t-il, à quelques différences près ! Il y en a par exemple qui se sont aveuglés sur le nom de leur parti favori pour cocher dans la case de son pire adversaire ; on parle aussi d'électeurs qui ont vendu leurs voix pour 30 dinars et pour encore moins (un petit paquet de biscuits entre autres) ! D'autres Tunisiens ont pris pour argent comptant les promesses et les slogans les plus surréalistes et donc les plus nettement mensongers. Une bonne partie de nos compatriotes ont acclamé des candidats peu fiables même pour des enfants de quatre ans ! On a également cru en la foi usurpée de certains concurrents et l'on s'est dit : plébiscitons ceux-là puisqu'ils vont à la mosquée et citent le Coran ! Les charlatans de tous bords ont trouvé eux aussi des « clients » à berner ! Expertise pour tous Aux prochaines élections, il n'est pas exclu que l'on déplore des mascarades similaires ! c'est pourquoi l'idée du certificat médical (ou de l'expertise médicale) n'est pas mauvaise ; à condition de la proposer tout aussi bien au sujet des candidats que de leurs électeurs ! Imaginez cinq millions de votants qui passent une visite chez un médecin assermenté pour prouver qu'ils ont toutes leurs facultés ! Et s'il s'avérait que la moitié d'entre eux est invalide, inapte aux élections ! Que faire dans ce cas ? Organiser les élections quand même ? C'est Guy Bedos, l'humoriste français connu, qui inventa dans l'un de ses sketches l'expression « permis de voter » ! En effet, bien des Tunisiens ont besoin de passer un examen pour apprendre à voter ! Eh oui ! Et quoi qu'en pensent les inconditionnels de la démocratie, l'élection n'est pas à portée du premier venu ! Les candidatures à des postes de haute responsabilité politique, non plus ! Or, ce qui se passe dans notre pays et dans la plupart des pays arabes et africains, c'est que la majorité est plus ou moins inculte en matière de scrutin et de pratiques électorales ! Pendant plus d'un demi-siècle, les gens de chez nous se sont habitués à la politique du troupeau ; ou alors ils s'abstenaient par peur ou par indifférence de voter ! Comment peuvent-ils maintenant tout changer dans leurs habitudes acquises durant des décennies voire plus ! On a beau leur dire qu'ils ont accompli la meilleure des révolutions, ils n'en croient pas encore leurs yeux et leurs oreilles et continuent d'élire des tyrans, de suivre des charlatans, d'applaudir des fous et de confier leur destin aux plus sanguinaires des brigands !