La stratégie nationale pour la promotion de la santé mentale élaborée récemment par le ministère de la Santé publique en collaboration avec les spécialistes en psychiatrie révèle que les Tunisiens s'enfoncent de plus en plus dans la dépression depuis la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. 80% des Tunisiens n'éprouvent plus la joie de vivre et 52% de la population souffrent de troubles mentaux. 28 % des cas présentent des problèmes de dépression et 20% de cas d'anxiété et autres troubles psychosomatiques. D'autre part, entre 30 et 50 % des patients accueillis dans les centres de la santé de base (dispensaires, hôpitaux...) souffrent de troubles de la santé mentale. Dans les rues de Tunis et ailleurs, il n'est pas d'ailleurs rare de voir des Tunisiens perdus dans leurs monologues. «La révolution déclenchée en 2010 a encouragé les gens à exprimer leurs revendications, mécontentements et attentes ; le tout dans un environnement difficile lié à la récession économique, mais également aux conditions de vie caractérisées par peu de confort et peu de loisirs», souligne le projet stratégie nationale pour la promotion de la santé mentale. Le mal-être psychique dont souffrent les Tunisiens a été confirmé par une enquête sur le climat émotionnel et l'appartenance sociale menée auprès de 882 adultes tunisiens volontaires durant la période allant de janvier à avril 2013. Cette enquête a montré qu'environ 80% des Tunisiens estiment que le climat émotionnel est plutôt «mauvais» à «très mauvais» durant les quatre mois sous revue. Les femmes sont plus vulnérables Les femmes sont plus touchées par le malaise post-révolutionnaire puisque l'écrasante majorité d'entre elles estiment qu'une «ambiance de colère et d'agressivité règne » dans le pays. Les hommes ont une perception plus positive de la situation Une étude du profil épidémiologique des nouveaux consultants de l'hôpital Errazi entre 2011 et 2013 a aussi révélé que sex-ratio des malades s'est inversé depuis la révolution. Jusqu'en 2010, il y avait en moyenne 1,23 homme pour une femme. Depuis 2011, ce ratio est passé à 0,87 homme pour une femme. Selon cette même étude du profil épidémiologique des nouveaux consultants, l'année 2011 a été marquée par une hausse importante des troubles anxieux puisque la chute de Ben Ali a été un grand facteur de stress et d'angoisse d'autant que cet incident était imprévisible, du moins par son ampleur et son timing. Durant l'année 2013, les troubles dépressifs étaient plus fréquents, en raison notamment de la morosité économique et de la multiplication des mouvements sociaux, lesquels ont causé des pertes de travail, des difficultés financières et des conflits familiaux. Des pathologies mal soignées Malgré leur forte prévalence, les troubles mentaux restent frappés du sceau du tabou, stigmatisés, et mal soignés. Les chiffres sont, dans ce cadre, très révélateurs. La Tunisie ne compte que 221 psychiatres, 25 pédo-psychiatres et 133 psychiatries cliniciens, soit à peine 1,7 psychiatre pour chaque 100.000 habitants, alors que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande un ratio de 10 psychiatres pour 100.000 habitants. Par ailleurs, la majorité des malades présentant des troubles mentaux consultent à l'hôpital Errazi, faute de services de psychiatre au niveau des établissements publics de santé dans beaucoup de régions. Sur un autre plan, la capacité d'accueil des unités psychiatriques ne dépasse pas les 0,9 lit pour 100.000 patients. La majorité des patients reçoivent, de ce fait, un traitement à domicile ou sont hospitalisés dans des cliniques ordinaires. La stratégie nationale pour la promotion de la santé mentale ambitionne de remédier à ces diverses faiblesses à l'horizon 2018 en garantissant une offre équitable de soins psychiatriques dans les diverses régions du pays, en investissant dans la formation des médecins de première ligne, c'est-à-dire ceux des dispensaires et des hôpitaux régionaux pour un dépistage précoce des maladies mentales et en mettant en place une stratégie de prévention basée sur le repérage des groupes sociaux vulnérables. La stratégie prévoit également le lancement de campagnes de communication destinées à lutter contre la stigmatisation des troubles psychiques et mentaux ainsi que la promotion de la recherche psychiatrique.