Combien de bobards nous a-t-on fait avaler, depuis notre enfance ? Depuis les premiers mots prononcés, les premières maximes apprises : "Tu ne dois jamais faire de mal à ton frère, tu ne dois jamais contrarier papa et maman ; et puis tu ne dois jamais croire que l'argent pourrait te rendre heureux, mon petit." D'accord, très bien, dites-nous cela et nous grandirons avec cette idée-là, nous nous la mettons bien dans la tête, nous irons à l'école en la répétant, nous passerons au lycée en y pensant, nous intégrerons l'université en l'analysant, et nous trouverons un travail en l'appliquant : Quand nous toucherons notre première paye, nous la refuserons en disant : " Non merci, mais ce n'est pas ça qui fera mon bonheur." Alors qu'est-ce qui pourrait faire notre bonheur ? Le fait de se regarder en train d'errer dans la rue ou de se débrouiller un petit cagibi qui sert de toit, au milieu d'une rangée de superbes villas dont le jardin est plus grand que l'habitacle. L'on s'assiérait devant le paysage, et l'on dirait : " Quel bonheur que d'avoir une maison de la taille de la moitié d'une chambre de ces villas ! " Le fait de prendre le métro le matin avec un ticket payé grâce aux quelques pièces traînant au fond de sa poche, de tenir une barre parce que la rame est bondée, et de sourire à la vue d'une super bagnole conduite par un chauffeur, alors qu'à l'arrière un monsieur en costume cravate très décontracté est en train de gesticuler en parlant au téléphone dernier cri. Tout cela en pensant : " Dieu que je suis heureux d'avoir un portable à la carte mère bousillée et des vêtements achetés pendant les soldes d'il y a six ans, et de prendre un métro qui va me ramener tard au boulot, ce qui me coûtera un questionnaire ! " Le fait de voir ces gosses servir de risée aux autres enfants du quartier, parce qu'on n'a pas pu leur acheter qu'un pull des fripes pour le jour de l'Aïd et qu'ils n'ont pas de tirelire à casser ; de les regarder sur le trottoir, alors qu'ils seraient en train de pleurer (de joie, ils remercient Dieu comme on le leur a appris !), l'on dirait béatement : " C'est un tel bonheur que nos enfants ne soient pas superficiels, et qu'ils acceptent leur sort ! " ? Tout va bien pour le meilleur des mondes... On se demande d'où est sortie une idée pareille. Sur quoi s'est-on basé pour produire une maxime transmise à travers les générations, qu'on se répéterait, qu'on se rappellerait dans les moments de crise, dont on titrerait l'épisode d'une série du genre " 7 à la maison ", et qu'on enseignerait à l'école ? Et que les professeurs de français donneraient en sujet de dissertation à leurs élèves : " L'argent ne fait pas le bonheur. En quoi la satisfaction personnelle ne peut-elle être apportée par l'argent ? Développer cette idée avec des arguments en vous basant sur des exemples pertinents. " Pourquoi ne donne-t-on jamais un tel sujet en demandant d'écrire un essai nuancé ? Oui, on serait gêné aux entournures que de bousculer l'habitude et de porter atteinte aux mœurs en disant que l'argent fait le bonheur. Pour ne pas créer une société qui ne pense qu'à la réussite matérielle et ne donne aucune importance aux valeurs humaines, à l'amour, à la fraternité, à la charité (pourquoi existe-t-elle ? n'est-ce pas pour rendre les besogneux heureux ?), à la quête de soi... tous les thèmes prônés par Paulo Coello, auteur de best-sellers. On est si peu de choses, comme dit la chanson, et l'on croit à si peu de choses également. Pour paraphraser " Desperate Housewives ", on répétera ce que dit Gabriel Solis (Eva Langoria) quand on lui répète la fameuse phrase : " C'est des salades qu'on raconte aux pauvres pour pas qu'ils se révoltent ". Sans penser du mal de nous, et se dire que nous sommes superficiels, âpres au gain, terre-à-terre, que tout ce qui compte pour nous c'est la couleur de l'argent, qu'on s'en fout de son odeur, que nous aimons gagner de l'argent par quelque moyen que ce soit ; sans aucun préjugé, mettons-nous devant cette évidence et posons-nous la question : "Est-ce vrai que l'argent ne me rend pas heureux ?" Sans argent, il est impossible de faire tout ce qu'on veut, du moins le maximum ; c'est pour cette raison que l'argent existe, d'ailleurs. Sans argent, on n'a pas de maison, et les SDF ne semblent pas contents de leur sort. Sans argent, on ne peut pas s'acheter des vêtements, et on meurt de froid, ou bien on a des vêtements bas de gamme et on est obligé d'en racheter parce qu'ils ne sont pas résistants. Sans argent, on peut frôler la dépression à cause du métro, ou prendre une retraite anticipée à cause de son rhumatisme car on a trop marché. Sans argent, on ne peut pas trouver l'homme de sa vie, sinon c'est la preuve qu'il est malhonnête et qu'elle passera le reste de sa vie malheureuse. D'autre part, "L'argent ne fait pas le bonheur" est ce qu'on se dit pour se rassurer, quand on sait qu'on n'est pas assez pourvu pour tout avoir, et qu'il y a des riches, mais qui sont moches parce qu'ils ne trouvent jamais l'amour. C'est faux, ils le trouvent, parce qu'ils sont justement riches, et ils se foutent de la sincérité de l'autre tant qu'il est là ou qu'il y a des gens riches mais qui perdent leur enfant par exemple, mais que l'argent ne leur rendra pas. Cependant, il ne s'agit pas de cela, les riches peuvent atteindre leur bonheur autrement, et quand on est pauvre il n'y a pas d'"autrement" ! Alors il faut se réveiller, mieux regarder autour de soi et se rendre compte qu'il y a des idées reçues qui veulent notre malheur. Alors que les Français plongeaient dans le romantisme, qu'ils croyaient pouvoir vivre d'amour et d'eau fraîche, que l'argent ne faisait pas le bonheur, et que plaie d'argent n'était pas mortelle (et les banqueroutes qui donnent l'idée de se suicider, c'est quoi ? Une étape avant la résurrection qui effacerait tout ? , les Anglais ont compris que le temps c'est de l'argent (time is money). En voilà du pragmatisme !