Les femmes célibataires et leur avenir professionnel étaient au coeur d'un séminaire maghrébin organisé sur deux jours par l'ONG de solidarité internationale Santé Sud présente en Tunisie depuis 1988. Intitulé « Pour une meilleur insertion sociale et professionnelle des mères célibataires au Maghreb », ce colloque fait suite à celui organisé à Casablanca en décembre 2013. Y ont assisté près de 180 professionnels algériens, marocains, français et tunisiens. Une occasion pour présenter le projet participatif mené par le réseau AMEN en Tunisie et les associations INSAF au Maroc et SOS Femmes en détresse en Algérie, en partenariat avec Santé Sud. Mis en place en 2013 et s'étalant sur trois ans, ce programme repose sur la capitalisation des acquis et expériences des partenaires pour la prévention de l'abandon des enfants hors mariage et la promotion de l'accès des mères célibataires aux droits fondamentaux et de développer leur émancipation économique et sociale dans ces trois pays du Maghreb et peut-être prochainement au Liban. Les objectifs de ce projet sont essentiellement le partage d'expériences réussies de réinsertion sociale et professionnelle de mères célibataires, la mise en place de modes de réinsertion innovants et efficaces et la construction d'un plaidoyer pertinent en faveur des mères célibataires et de leurs enfants dans la région du Maghreb. Un petit film de dix minutes a été projeté au cours du séminaire. Trois jeunes mamans célibataires tunisiennes y racontent en bref leur descente aux enfers et leurs souffrances quotidiennes. Des témoignages poignants et tristes de femmes toutes trois issues de familles défavorisées et victimes de violences familiales. Voulant échapper aux coups et insultes, elles se sont sauvées de chez elles mais sont malheureusement tombées dans la débauche et la prostitution, jusqu'au jour où elles ont appris qu'elles étaient enceintes. Elles dénoncent aujourd'hui le mépris total de la société pour elles et les humiliations subies lors de leurs accouchements par le staff médical et paramédical. En Tunisie comme partout au Maghreb, le quotidien des mères célibataires est loin d'être un long fleuve tranquille, comme en ont témoigné les différents intervenants au séminaire lors de leurs prises de parole. La liste est longue: stigmatisation, discrimination, vulnérabilité, détresse, instabilité, exclusion, traumatisme, rejet, culpabilité, angoisse, souffrance, violences... Dès qu'elles apprennent leur grossesse, la vie de ces femmes bascule. Très rapidement, elles se retrouvent seules, sans soutien matériel et psychologique, méprisées, en proie à toutes sortes d'humiliations. Le pire, c'est qu'elles ont très rarement choisi d'être mères célibataires. Bien souvent, l'enfant qu'elles portent est le fruit d'un viol, d'une situation socio-familiale dramatique, d'une immaturité psychologique et parfois même d'un inceste. En Tunisie, les chiffres officiels annoncent 1200 naissances annuelles hors mariage. Or, il est très difficile voire impossible de cerner à sa juste valeur l'ampleur de ce phénomène tant ce sujet est tabou dans certaines régions. Bien souvent, ces femmes sont accusées de salir l'honneur de la famille et sont chassées hors du cercle familial. Leur vulnérabilité psychologique ainsi que dans la majorité des cas leur manque de qualification dû à leur bas niveau scolaire en plus de la grossesse les empêchent alors de trouver un emploi décent pour subvenir à leurs besoins ainsi qu'à ceux de l'enfant à venir. Ces femmes sont alors amenées à vivre dans la rue où elles sont exposées aux pires dangers: agressions sexuelles, prostitution forcée, coups, insultes, drogue... Un cercle infernal auquel échappent heureusement certaines en trouvant refuge dans l'un des trois centres étatiques d'assistance sociale, situés à Tunis, Sfax et Sousse. Ces structures accueillent les mamans célibataires, les prennent en charge avant et après l'accouchement, leur offrent un précieux soutien moral, oeuvrent pour rétablir des relations entre elles et leurs familles et les pères de leurs enfants mais aussi facilitent leur insertion socio-professionnelle pour qu'elles puissent échapper à la précarité. Le travail étant une condition sine qua none pour que les mamans célibataires puissent élever leurs enfants dans la dignité, malgré le regard impitoyable que portent sur eux la société. Dans cette lutte quotidienne pour le respect et la dignité, la société civile tunisienne n'est pas en reste en matière d'accompagnement des mères célibataires et de protection des enfants nés hors mariage. Créé en 2012, le réseau AMEN Enfance Tunisie réunit aujourd'hui 12 associations gestionnaires de pouponnières, situées à Tunis, Sfax, Sousse, Monastir, Kairouan, Médenine, Mahdia, Nabeul, Bizerte, Gabès et Gafsa. Ces organismes caritatifs oeuvrent dans le domaine de la protection des enfants sans soutien familial, la facilitation de leur placement en adoption ou sous-tutelle et l'accompagnement des familles biologiques et des familles adoptantes. En quelques années, grâce aux efforts consentis par l'Etat et la société civile, aussi bien en matière de médiation, de protection des enfants et d'insertion professionnelles des mamans célibataires, près de 40% des enfants nés hors mariage ont pu regagner leurs familles et vivre avec leurs mères biologiques.