La photographie considérée il y a quelques années comme art mineur par rapport à la peinture prend considérablement de l'importance dans le paysage pictural en Tunisie particulièrement et ce depuis la révolution du 14 janvier. Les galeries accueillent avec beaucoup d'enthousiasme les expositions photographiques et leur consacrent une médiatisation conséquente et ce à l'instar de Bac Art Center (Sidi Thabet) qui abrite jusqu'au 24 janvier une exposition intitulée « Près d'ici » de 18 jeunes photographes originaires de 10 pays arabes dont les travaux, pris en charge par le Goethe Institut, ont été réalisés entre 2013 et 2014. Pour assister au vernissage qui a eu lieu le vendredi dernier, le Goethe Institut, a mis à la disposition des journalistes et du public amateur d'art deux bus pour les transporter au Bac Art Center, magnifique lieu d'exposition excentré et peu accessible au grand public. Malgré cela, le public était peu nombreux à cet événement. Mais les présents ont pu apprécier les travaux exposés avec goût. Cette exposition est le fruit de 10 travaux d'ateliers dirigés par des photographes professionnels allemands et arabes au Caire, Casablanca, Alger, Tunis, Alexandrie, Beyrouth, Rammalah, Amman, Khartoum, Erbil et Dubai. Fusion de regards « Près d'ici » se veut une fusion de regards spécifiques mais différents issus de cultures avoisinantes du monde arabe aujourd'hui. Les jeunes photographes munis de leur appareil numérique ont choisi le thème de l'environnement proche d'eux pour s'exprimer sur ce qui rejoint le sujet-cadre du projet qui est le bouleversement du rapport de l'homme à la nature. Dans ce parcours artistique proposé, les présents au vernissage ont beaucoup apprécié l'œuvre du soudanais Mohamed Ahmed El Sadig qui met en relation l'homme à la terre ou encore à l'argile. Un rapport aussi loin que l'homme existe. Le Coran ne dit-il pas que « Dieu a créé l'homme d'argile ». El Sadig met en valeur et en lumière le corps à corps de l'homme avec ce matériau utilisé pour réaliser des ustensiles domestiques ou des œuvres d'art. Images inversées, gros plan sur le détail d'un objet, plan moyen, le photographe a utilisé toutes les techniques pour ressortir des moments sublimes : un regard inquiet, une moitié de visage nappé d'argile, pied et main malaxant la terre etc. une œuvre remarquable qui augure la naissance d'un grand artiste photographe. Fatima El Youssef d'Abou Dhabi et l'Algérienne Awel Haouati et l'Egyptienne Mai Al Shazly ont travaillé sur les thèmes du vide et de l'absence. Fatima a mis en valeur l'espace d'une demeure autrefois habitée et aujourd'hui démolie. Mémoire et souvenirs d'un lieu muet dont il ne reste que quelques couleurs de murs encore en état. Awel est allée prospecter le village de ses grands-parents. Une maison abandonnée dont l'âme de ses habitants plane encore d'où le titre « Absence ». Loin des espaces urbains envahis par le béton et la pollution, May se concentre sur l'intérieur d'une maison familiale et surtout sur les détails des objets dont un tourne disque ancien, des vieilles personnes : un père disparu sans doute dont le portrait figure dans un cadre. Intérieur-extérieur Les photographes femmes s'intéressent plus au monde intérieur alors que les photographes hommes s'attachent au monde extérieur. Le marocain Othman Benjakkal nous montre un bidonville aux tâches couleurs vives expriment de la sorte la joie de la vie malgré ses aléas. Le Palestinien Shadi Baker pose son regard sur la relation de l'homme avec le feu dans une région enflammée par la guerre. Gros plan d'un tapis cramé, du visage d'un homme inquiet face au feu se dégageant d'une chicha et plan large d'un souffleur de verre. Les tâches de lumière orangée donnent une aura aux clichés. Le Palestinien Qais Assali est préoccupé par les frontières qui séparent Israël de la Palestine. Le contraste est flagrant entre les deux pays séparés par un long et large mur en béton gris qu'il montre en contre-plongée. Hussam Manasrah fait le portrait d'un vieillard Hajj Ali, Palestinien résident en Jordanie, qui rêve un jour de regagner son pays d'origine. L'homme au regard absent derrière des lunettes épaisses attend la délivrance. Arrivera-t-elle ? L'Irak sauve qui peut. On vit comme on peut c'est ce qui apparait des clichés de Gailan Haj Omar. Puits de pétrole, camp de réfugiés, réfugiés en partance et coiffeur d'occasion expriment un monde en mode urgence. Boris Oue né en Abidjan mais vivant à Marrakech donne à voir le côté peu glamour de Marrakech, le revers de la médaille d'une ville touristique connue pour son charme. L'Egyptien Karim Aboukelila offre deux portraits contrastés une femme bien habillée exposée en plongée dans un paysage de déchets et un homme au look impeccable dans un marché au poisson au milieu de cageots vides. L'égyptienne Nadia Mounier, la seule femme-photographe qui ose montrer l'extérieur d'un centre urbain le Caire surpeuplé opposé à une campagne envahie par un sachet plastique bleu. Cela donne une beauté plastique à la photo même si ce sachet amoche le paysage. Les Tunisiens Tarek Marzougui et Mejdi Bekri ont fait des poubelles concentrées dans la capitale Tunis un moyen pour révéler l'état pourri du pays après la révolution. Des regards audacieux sur la situation réelle des pays arabes caractérisée par les faux-semblants et la précarité.